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Mécanique meurtrière et absurde

Paris
Athénée - Théâtre Louis-Jouvet
04/07/2010 -  et 18 novembre (Rouen), 9 décembre (Villefranche-sur-Saône) 2009, 8, 10, 11, 13, 14, 16, 17 avril (Paris), 4 juin (Valence) 2010
Philip Glass : In the Penal Colony

Stephen Owen (L’officier), Michael Smallwood (Le visiteur), Mathieu Morin-Lebot (Le condamné), Gérald Robert-Tissot (Le soldat), Nicolas Henault (Un soldat)
Quintette à cordes de l’Opéra national de Lyon, Philippe Forget (direction musicale)
Richard Brunel (mise en scène), Catherine Ailloud-Nicolas (dramaturgie), Anouk Dell’Aiera (scénographie), Bruno de Lavenère (costumes), David Debrinay (lumières), Benjamin Hacot (sons), Axelle Mikaeloff (conception des mouvements)


S. Owen, M. Morin-Lebot (© Jean Louis Fernandez)


Dans la colonie pénitentiaire (2000) de Philip Glass a été donné en création française en janvier 2009 à Villeurbanne. Cette coproduction de l’Opéra national de Lyon (sur le site duquel une documentation comprenant le texte intégral du livret et sa traduction peut encore être consultée), de l’Opéra de Rouen et de la Compagnie anonyme fondée par le metteur en scène Richard Brunel est également «coréalisée» par l’Athénée, où elle est actuellement présentée.


S’il n’a pas écrit de pièces de théâtre, Kafka n’en a pas moins stimulé l’imagination des compositeurs lyriques, depuis Gottfried von Einem (Le Procès) et Aribert Reimann (Le Château) jusqu’à Philippe Manoury (K...) et Michaël Levinas, qui travaille actuellement sur La Métamorphose pour l’Opéra de Lille. Sur un livret de Rudolph Wurlitzer (né en 1937) qui structure la nouvelle de Kafka (1914) en un prologue, seize scènes et épilogue, Glass a composé un «opéra de chambre» qui n’a pas volé cette qualification: moins de 80 minutes, un quintette à cordes et quatre rôles seulement – deux chantés (l’officier et le visiteur), un parlé, mais pour seulement deux phrases (le soldat), et un muet (le condamné), auquel s’ajoute ici un troisième acteur jouant le rôle d’un autre soldat.


Malgré la venue de Robert Badinter pour la première parisienne, le propos va au-delà d’un plaidoyer contre la peine de mort, certes toujours d’actualité aux Etats-Unis, ou même plus généralement du thème de l’inhumanité de l’appareil d’Etat, car les interrogations et tergiversations du visiteur interrogent la conscience du spectateur. «Je m’oppose à cette procédure et je refuse d’intervenir»: confronté à une situation aussi extrême, qui se refuserait à entretenir également l’illusion de ménager la chèvre et le chou? Par lâcheté? Par compromission? Par cette espèce de fascination que finit par exercer la répulsion face à un tel spectacle? Par volonté de non-ingérence et par respect des «coutumes» locales? Par peur de l’autorité? Autant de questions qui sont loin d’être théoriques, comme l’a montré la récente reproduction de cette expérience dans laquelle la plupart des participants d’un jeu télévisé se laissent convaincre de soumettre une victime à des décharges électriques fictives, mais dont ils ne doutent pas qu’elles sont réelles.


Au demeurant, Richard Brunel place d’emblée le témoin étranger dans une position d’accusé: après qu’une voix a annoncé «La cour!», acteurs, musiciens et chef vêtus en juges prennent place dans la salle, au premier rang, face au visiteur, qui se tient seul sur scène, complet d’été et panama blancs, tel un Aschenbach sous les tropiques, audioguide à l’oreille. Puis les magistrats quittent la robe, révélant ainsi les costumes de Bruno de Lavenère, qui l’uniforme de cérémonie et les gants blancs (l’officier), qui la combinaison jaune du condamné, marquée «Department of corrections», qui la tenue de combat sombre avec béret et chaussures montantes (soldats, mais aussi chef et musiciens, qui s’assoient finalement côté jardin, toujours au parterre).


Bien évidemment, sous les lumières crues de David Debrinay, la scénographie d’Anouk Dell’Aiera ne se hasarde pas à représenter la herse qui grave la teneur des sentences dans la chair même des condamnés: des piquets permettent de fixer des toiles tendues, notamment les mystérieux «dessins» de l’ancien commandant, l’inventeur de l’ubuesque machine à supplicier et à exécuter, derrière lesquelles on peut deviner sans peine le déroulement de l’insoutenable rituel, cierges compris. Autour de la grande estrade tournante, quelques chaises empilées seront ensuite installées pour accueillir le maigre public de ce cérémonial – les deux soldats, travestis en rombières à bibi et colliers de perles. La mise en scène de Richard Brunel, qui s’est illustré la saison dernière dans un excellent Albert Herring de Britten à l’Opéra Comique (voir ici), accompagne sobrement la puissante progression dramatique, jusqu’à cette inversion totale des valeurs par laquelle le bourreau s’étonne de ne pas susciter la pitié du visiteur, auquel il a expliqué que le nouveau commandant mettrait fin à ces atroces pratiques.


Pour évoquer sans pathos cette mécanique meurtrière et absurde dans son fonctionnement comme dans ses dysfonctionnements, le style de Glass, qui n’abandonne que rarement sa froide assurance, sa déclamation sans fioritures et sa distance expressive à base d’imperturbables ressassements d’accords parfaits mineurs, convient parfaitement, même si à la tête des musiciens de l’Opéra national de Lyon, Philippe Forget tire de la partition autant de sentiment que possible. Investissant leur rôle avec conviction, Stephen Owen en officier et, davantage encore, Michael Smallwood en visiteur chantent bien, de façon idiomatique et, ce qui ne gâche rien, ils sont surtitrés en français.


Le site de Philip Glass
Le site de Michael Smallwood



Simon Corley

 

 

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