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Un conte pour enfants

Paris
Théâtre du Châtelet
03/31/2010 -  et 2*, 4, 6, 8, 9 avril
Scott Joplin : Treemonisha

Adina Aaron (Treemonisha), Grace Bumbry*/Christin-Marie Hill (Monisha), Willard White*/Xolela Sixaba (Ned), Stanley Jackson (Remus), Stephen Salters (Zodzetrick), Jacques-Greg Belobo (Simon), Jean-Pierre Cadignan (Luddud), Janinah Burnett (Lucy), Loïc Felix (Cephus), Mlamli Lalapantsi (Andy), Krister St. Hill (Parson Alltalk), Joël O’cangha (le Contremaître)
Chœur du Châtelet, Ensemble Orchestral de Paris, Kazem Abdullah (direction)
Bianca Li (mise en scène et chorégraphie)


(© Marie-Noëlle Robert)


Quel pianiste n’a pas, un jour ou l’autre, joué un ragtime de Scott Joplin… ignorant qu’il était aussi un compositeur d’opéra ? Fort malchanceux : les partitions de A Guest of honour et de Treemonisha, représentés une seule fois, sont perdues - Treemonisha, d’ailleurs, fut créé en 1915 dans une version avec piano. Plus que celle de Thomas J. Anderson, l’orchestration de Gunther Schuller s’est imposée et a été pérennisée par le disque en 1976, un an après la création scénique à Houston. Un travail honorable mais plus appliqué qu’inventif, ayant du mal conférer de l’unité à une partition où l’inévitable ragtime voisine avec le gospel quand il ne côtoie pas l’opérette viennoise, avec des saveurs très Europe centrale, ou le grand opéra à numéros. Treemonisha constitue finalement une sorte de passerelle entre l’ancien et le nouveau monde, conduisant à un ensemble un peu hybride, là où Gershwin composerait, avec Porgy and Bess, un authentique chef-d’œuvre. Si la substantielle Ouverture, par exemple, ne cache pas ses ambitions opératiques et montre bien que Joplin n’entendait pas passer seulement pour un faiseur de ragtime, on serait bien près de danser, au troisième acte, sur les syncopes de la Ronde des batteurs de grain. Cela dit, c’est bel et bien du ragtime que vient sa gloire, qui passa par le cinéma lorsque L’Arnaque grava dans les esprits la musique de The Entertainer.


Mais Treemonisha est aussi un opéra afro-américain, qui, avant Porgy and Bess délivre un message à replacer dans son contexte. Voilà, au-delà de l’opéra, un hymne à l’instruction et à la tolérance. Treemonisha, enfant trouvée au pied d’un arbre – d’où son prénom, formé du mot « arbre » et du prénom de sa mère adoptive -, empêche le lynchage du sorcier Zodzetrick qui l’a enlevée ; le méchant doit seulement être éduqué pour sortir de sa nuit, à l’instar d’une communauté encore sensible à la superstition : « Croupir dans l’ignorance est criminel en ces jours éclairés ». Instruite par une femme blanche, Treemonisha peut, une fois passées les épreuves d’une sorte d’initiation, diriger une communauté d’esclaves affranchis consciente des vertus de l’éducation : tout s’achève au fond sur un Sacre de la femme. Le livret du compositeur, dramatiquement frêle, peut parfois sembler schématiquement moralisateur, mais, à voir chaque jour la cruauté du monde, il n’est pas si sûr qu’il ait perdu son actualité. Sans crier au chef-d’œuvre, on saluera encore une fois l’initiative de Jean-Luc Choplin qui a su donner, à travers le musical ou la zarzuela, et bientôt la musical adventure qu’est la Magadalena de Villa-Lobos, une véritable identité au Châtelet, dont ses prédécesseurs avaient d’abord fait un second Opéra de Paris ou un second Théâtre des Champs-Elysées.


La production a des mérites et des faiblesses. On aurait souhaité, tout d’abord, une direction plus affûtée et moins plate que celle de Kazem Abdullah, qui n’évite pas les décalages de toute sorte, peu flatté de toute façon par orchestre approximatif et désordonné. La mise en scène de Bianca Li, plus heureuse comme chorégraphe, joue sur un premier degré illustratif, très limitée dans la direction d’acteurs, parfait écho de ces jolis décors de Roland Roure – également dramaturge - aux couleurs de féerie naïve, de conte pour enfants, un peu à la Chagall, où la fantaisie se charge de symboles : drapeau américain ou nuit étoilée à la fin, où tous chantent leur foi en un avenir lumineux. Rappelons que tous deux remplacent une équipe ayant déclaré forfait. La distribution, elle, tient bien la route par son homogénéité. Belle voix bien conduite, avec de superbes pianissimi dans l’aigu, Adina Aaron campe une Treemonisha à la fois forte et juvénile. On aime aussi le Remus de Stanley Jackson, léger mais stylé et nuancé, dont l’air du troisième acte constitue un joli moment d’opéra. Le baryton mordant de Krister St. Hill en Pasteur Alltalk, le ténor agile de Loïc Félix en Cephus se distinguent. Deux vétérans, enfin, complètent l’ensemble. Incertain au début, Willard White a encore fort belle allure dans son air du troisième acte. Quant à Grace Bumbry, elle rejoint la cohorte de chanteurs qui font leurs adieux – en l’occurrence, en juin 1997 à Lyon dans la Clytemnestre d’Elektra - et ne peuvent s’empêcher de retrouver les planches qu’ils ont brûlées. Certes, à plus de soixante-dix ans, elle cherche un peu son souffle, la voix est usée, mais elle arrive encore à souder ses registres et phrase comme jadis, en particulier le récit du premier acte, sans parler de la présence dans un rôle qui n’est pas celui de la Comtesse de La Dame de pique et où il faut chanter. Le Chœur, à qui reviennent des numéros parmi les plus réussis de Treemonisha, contribue largement au succès de la soirée.



Didier van Moere

 

 

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