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Les absents ont toujours tort

Paris
Salle Pleyel
03/31/2010 -  
Toru Takemitsu : Saegirarenai kyusoku
Franz Schubert : Sonate n° 22, D. 959
Ludwig van Beethoven : Variations sur un thème de Diabelli, opus 120

Stephen Kovacevich (piano)


S. Kovacevich (© David Thompson/EMI Classics)


A près de soixante-dix ans, Stephen Kovacevich est l’un des plus grands pianistes vivants, l’égal des Freire, Lupu ou Perahia qu’André Furno invite comme lui à Piano ****. Malheureusement, le public parisien semble l’ignorer, comme autrefois pour des artistes tels qu’Annie Fischer ou Alfred Brendel: les absents ont toujours tort, c’est bien connu, mais les rangs de la salle Pleyel ont rarement paru aussi déserts, même si l’on y remarque entre autres Martha Argerich, dont Kovacevich fut le troisième mari, ainsi que Nicolas Stavy. Il se présente certes une fois de plus dans la capitale avec des œuvres qu’il a déjà données ces dernières années, mais il s’y montre tellement captivant que le regret de ne pas pouvoir l’entendre dans d’autres répertoires qu’il a notamment défendus au disque est vite oublié.


Au demeurant, le début de son récital sort quelque peu de l’ordinaire, puisqu’il a choisi le cycle Pause ininterrompue (1952-1959) de Takemitsu. Inspirées par des poèmes de Takiguchi Shuzo (1903-1979), ces trois pièces brèves, dont la durée ne dépasse pas deux à trois minutes chacune, consistent en des haïku musicaux tenant à la fois de Webern et de Debussy. Ne se laissant pas gagner par le caractère contemplatif du recueil, Kovacevich adopte une allure relativement rapide, privilégiant les éléments de continuité, tant dans le discours que dans les références: Berg et Debussy ne sont pas loin, sauf peut-être dans la deuxième pièce («Calmement et avec une réverbération cruelle»), dont l’écriture est plus nettement typique des années 1950.


En mars 2006 à Gaveau, le pianiste américain avait déjà interprété la Vingt-deuxième sonate (1828) de Schubert (voir ici). Hormis quelques accrocs, en particulier dans l’Allegro initial, on y retrouve l’alternance de hauteur de vue beethovénienne et de poésie d’une infinie délicatesse, l’Andantino énoncé d’emblée tel un Voyage d’hiver hagard et mécanique, comme si le Wanderer avait déjà traversé la tempête qui se déchaîne dans la section centrale, mais aussi la légèreté du Scherzo et la fluidité du Finale, qui va toujours fermement de l’avant.


Pas d’évolution considérable non plus dans les Variations Diabelli (1823) de Beethoven, partition fétiche s’il en est pour Kovacevich, qui l’a enregistrée à deux reprises et pour laquelle il suffit de remonter à janvier 2008 au Châtelet (voir ici). Il en magnifie la nature kaléidoscopique, entre force vitale, élan irrépressible (Dixième variation) et volontarisme (Vingt-huitième), mais aussi gourmandise dès l’exposition du thème, caractère ludique (Quinzième, Vingt-et-unième à Vingt-troisième) et puissance introspective (Quatorzième, Vingtième, Vingt-neuvième, Trentième). Cette grande diversité d’impressions se fonde sur un jeu d’une qualité exceptionnelle: malgré de menus accidents – mais bien peu osent affronter ces 52 minutes en concert – voilà en effet un beau piano, riche de sonorités et de couleurs, d’une merveilleuse subtilité (Vingt-sixième) et d’une virtuosité transcendante (Vingt-septième).


Les spectateurs attendent-ils vraiment un bis après un tel monument? Toujours est-il que Kovacevich s’excuse de ne pas en offrir, expliquant (en français) que sa «tête va éclater». Et c’est alors qu’on se rend compte qu’il a assuré ce concert alors qu’il n’était sans doute pas au mieux de sa forme: certains, bien-portants, s’en seraient fort bien contentés...



Simon Corley

 

 

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