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Mystique et tragique

Marseille
Opéra
02/12/2010 -  et 14*, 17, 19 février 2010
Gian Carlo Menotti: The Saint of Bleecker Street

Karen Vourc’h (Annina), Atilla Kiss (Michele), Giuseppina Piunti (Desideria), Dmitry Ulyanov (Don Marco), Juliette Galstian (Assunta), Pascale Beaudin (Carmela), Sandrine Eyglier (Maria Corona), Marc Scoffoni (Salvatore)
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille, Jonathan Webb (direction)
Stephen Medcalf (mise en scène), Jamie Vartan (décors), Katia Duflot (costumes)


(© Christian Dresse)


L’Opéra de Marseille peut s’enorgueillir d’offrir une nouvelle production magistrale d’un chef-d’œuvre encore trop peu connu de Gian Carlo Menotti (1911-2007). Les quelques trente opéras qu’il a composés abordent différents genres, comme ces comédies burlesques enlevées en un acte telles que Le Téléphone ou Amalia al Ballo, représentées le 2 février dernier à Tours. Conspué en son temps par la critique avant-gardiste, Menotti parvient à toucher un public populaire, au point que ses œuvres tiennent l’affiche des mois durant dans les théâtres de Broadway, même La Sainte de Bleecker Street, grand opéra en trois actes, un de ses ouvrages les plus ambitieux, qui y est créé en 1954, et donné en traduction française à Lyon en 1968 et à Marseille en 1970. Ses partitions poursuivent leur chemin, sans traverser de véritable purgatoire. L’Opéra de Marseille y contribue, avec des représentations triomphales de Maria Golovine en 2006.


La Sainte de Bleecker Street est une œuvre remarquable à tous égards, et d’abord par le livret, écrit en anglais par Menotti lui-même, qui pose des questions d’une actualité toujours brûlante, par exemple celle de l’intégration, à travers la situation de cette communauté d’émigrés italiens à New York. Et surtout le conflit entre la foi et le doute, le souci de réussite mondaine, conflit qui ronge l’âme de Menotti, et qu’il transpose à travers les relations entre Annina, jeune fille malade qui présente les stigmates du Christ et souhaite prendre le voile, que sa communauté traite comme une sainte capable d’accomplir des guérisons miraculeuses, et son frère Michele, agnostique désireux d’assimilation à la société américaine, rebelle qui devient un criminel, veillant jalousement sur sa sœur pour la protéger contre ce qu’il estime une exploitation religieuse et superstitieuse, au point que sa maîtresse délaissée l’accuse d’amour incestueux. Les personnages possèdent une réelle épaisseur humaine, l’action dramatique une tension constante, qui ne retombe que pour un final plus apaisé.


Musicalement, Menotti se présente ici comme un digne héritier du vérisme et surtout de Puccini, prolongeant le style de Tosca ou de Turandot, avec une riche pâte symphonique, d’amples mélodies d’un lyrisme prenant, épicées de rythmes et d’effets percussifs plus «contemporains», et même de couleurs et d’accents déchirants (par exemple à la fin de l’acte II) qui évoquent Berg. On admire l’art consommé avec lequel il intègre des éléments très divers, chant, conversation, rire, fêtes bourdonnantes ou cantiques religieux extatiques, dans un continuum qui s’écoule avec un naturel parfait.


Cette production joue la carte d’une fidélité exemplaire à l’œuvre, hormis le fait qu’on se contente d’un décor unique. La vue limitée d’une rue new-yorkaise barrée par des pieds d’immeubles en brique rougeâtre, avec bouche de métro et feux de circulation, remplace sans problème les intérieurs d’habitation ou les terrains vagues prévus par le livret. Ce décor hyperréaliste de Jamie Vartan va de pair avec les costumes de Katia Duflot, d’une précision documentaire: on se croit dans un film de Vincente Minnelli avec Ava Gardner! La mise en scène et la direction d’acteurs de Stephen Medcalf sont d’une efficacité parfaite, d’autant que la distribution des rôles colle miraculeusement aux personnages sur le plan de l’aspect. Karen Vourc’h prête à Annina humilité et maigreur maladive, Giuseppina Piunti procure à Desideria, élégance et sensualité un brin tapageuses, et Atilla Kiss, avec santiags, blouson de cuir et banane de rocker campe au mieux le frère rebelle soucieux d’américanisation. Notons quelques superbes idées visuelles qui ne semblent pas indiquées dans le livret, un Christ vivant, crucifié et décharné, qui apparaît de manière saisissante sur un panneau qui se lève au moment de la transe d’Annina, mi-kitch, mi-choquant, auquel répond Michele attaché en croix à un grillage à la fin de l’acte I, Desideria agonisant dans une mare de sang à la fin du II, et enfin Annina s’effondrant au pied du même panneau de bois, ne soutenant pas la posture du crucifié, au dernier accord. Ces images fortes ponctuent le drame et hantent la mémoire bien après le spectacle. Tant et si bien que la qualité du livret et de la mise en scène permettrait aux personnes peu sensibles à la musique de savourer un magnifique spectacle théâtral!



Mais la musique et son interprétation se situent à la même hauteur! L’orchestre, dirigé avec beaucoup de précision par Jonathan Webb, spécialiste réputé des opéras contemporains, restitue toutes les subtilités de cette partition originale, comme son lyrisme flamboyant. Les chœurs, très présents, paraissent également parfaitement réglés. Karen Vourc’h, soprano limpide au timbre éthéré, offre une merveilleuse incarnation de cette jeune fille pure, rayonnante et lumineuse, en même temps qu’épuisée et souffrante. Elle use d’un extrême ambitus dynamique, alternant éclats puissants et parlando sotto voce. Peut-être économise-t-elle un peu sa voix, qui semble parfois manquer à peine de souffle, mais très intelligemment, elle se réserve pour donner tout leur poids expressif aux phrases les plus importantes. Le ténor hongrois Atilla Kiss impose une forte présence scénique et une voix de bronze très puissante dans ce rôle écrasant de Michele, tour à tour aimant, vindicatif, éructant ou plaintif. L’emportement et le déchaînement paroxystique se manifestent parfois au détriment de la précision d’intonation.


Dans le rôle bref mais marquant de Desideria, la maîtresse de Michele, la mezzo Giuseppina Piunti impressionne par ses accents farouches et son intensité tragique, autant que dans sa Carmen à Toulon en novembre-décembre derniers. La soprano québécoise Pascale Beaudin prête une voix délicieusement ronde à Carmela, qui s’entrelace avec celle de Karen Vourc’h en de magnifiques duos. Juliette Galstian, mezzo d’origine arménienne, manifeste un timbre plus corsé et un cantabile très gracieusement galbé. Enfin la basse russe Dmitry Ulyanov s’avère impressionnante de puissance mais aussi d’humanité dans le rôle du prêtre Don Marco.


Cette œuvre magnifique servie par un plateau vocal d’une remarquable qualité nous a ainsi souvent mené au comble de l’émotion, et au bord des larmes, il faut bien l’avouer!


Notons qu’émus par la tragédie d’Haïti, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, les chœurs et le personnel administratif et technique ont décidé de donner gracieusement un spectacle dont les recettes ont été versées à la Fondation de France pour venir en aide à la population haïtienne. Ils ont été immédiatement rejoints par les chanteurs solistes, et tous ont offert le 16 février un concert magnifique, avec des ouvertures, des chœurs et des airs fameux de Verdi, Bizet, Mozart, Rossini et Donizetti, qui ont confirmé l’excellence de toute la distribution, et permis de révéler que même deux petits rôles (énoncés «un jeune homme» et «une jeune femme») y étaient tenus par de jeunes chanteurs exceptionnels, rivalisant sans complexes avec leurs aînés : tout d’abord le ténor toulousain Kevin Amiel, d’un abattage incroyable, et surtout d’une santé vocale éblouissante, enchaînant sans frémir les dix contre-ut du redoutable air «A ce jour de fête» de La Fille du régiment de Donizetti. Et aussi la ravissante soprano portugaise Eduarda Melo, à la voix très pure, ronde et veloutée, au cantabile élégant, dans un air de Suzanne des Noces de Figaro. Tous deux se sont unis devant le chœur pour un «Brindisi» de la Traviata à se damner.



Philippe van den Bosch

 

 

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