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Moins porno que baroque

Geneva
Grand Théâtre
02/04/2010 -  et 7, 10, 13, 16, 19 février 2010
Alban Berg : Lulu
Patricia Petibon (Lulu), Julia Juon (la Comtesse Geschwitz), Silvia de la Muela (l’Habilleuse, le Lycéen, le Groom), Robert Wörle (le Professeur de médecine, le Prince, le Valet, le Marquis), Bruce Rankin (le Peintre, le Nègre), Pavlo Hunka (Dr Schön, Jack l’éventreur), Gerhard Siegel (Alwa), Hartmut Welker (Schigolch), Sten Byriel (le Dompteur, l’Athlète), Wolfgang Barta (le Banquier, le Directeur de théâtre), Jean Lorrain (le Commissaire de police), Emilie Pictet (la Fille de quinze ans), Monique Simon (Sa mère), Magali Duceau (la Décoratrice), Heikki Kilpeläinen (le Journaliste), Alexandre Diakoff (le Serviteur), Michael Tschamper (le Clown)
Orchestre de la Suisse romande, Marc Albrecht (direction)
Olivier Py (mise en scène)


(© GTG/Gregory Batardon)


Prudence ? Effet de pub ? On nous avait conseillé de ne pas emmener les moins de seize ans, en raison de « l’appel à des images qui, quoique de plus en plus usuelles et répandues, restent rares et inhabituelles sur une scène lyrique et pourraient choquer un spectateur non averti ». Tobias Richter promettait même aux coincés de leur rembourser leur place. Il y avait, il est vrai, le précédent de Tannhäuser, qui avait mis son prédécesseur Jean-Marie Blanchard dans la même situation – cette Lulu a d’ailleurs été commandée par lui. On ne plaisante pas, dans la cité de Calvin. Le public, en tout cas, a très favorablement accueilli le spectacle, en l’absence du metteur en scène directeur de l’Odéon, retenu à Paris par la première du Tramway nommé désir – qu'il a confié à un autre trublion, le polonais Krzysztof Warlikowski.


Pas de quoi fouetter un chat pourtant : seulement quelques projections porno, assez floues d’ailleurs, au dernier tableau. Olivier Py s’attaquant à Lulu, cela laissait certes augurer quelques audaces sulfureuses. Mais le metteur en scène ne se montre pas forcément là où on l’attend. Les échafaudages métalliques ont disparu, au profit d’un décor unique beaucoup plus réaliste, celui d’un quartier chaud où des enseignes lumineuses annoncent la nuit, la mort, le sexe – très symboliquement, une boucherie est mitoyenne d’un sex shop. Des néons ? Bien sûr, mais aux couleurs vives, criardes même, cette fois : fini le noir et blanc. Le pop art rejoint Grosz et Dix. On reconnaît néanmoins la patte du metteur en scène : de hautes structures glissent le long de la scène comme la nef de Tristan au premier acte, la grande roue – du jeu, du destin – rappelle celle de Tannhaüser. Des mots, des bribes de phrases résument ce qui se joue dans l’opéra : « Mein Herz ist schwer », « I hate music », « Ich bin frei », « Meine Seele ». Olivier Py prend le parti opposé à la perspective qu’avait adoptée, à Lyon, Peter Stein : celui de la profusion baroque, avec un côté Almodovar, celui du mouvement aussi. Laissant voir ce qui se passe à chaque étages des maisons, la scène est sans cesse animée, parfois dans l’esprit du cinéma même si le film disparaît pour mieux intégrer à l’action la scène de l’hôpital. Un ostinato tragique semble pousser chacun vers une mort obsédante – femmes à tête de mort et, parmi les costumes de Lulu, un habit de squelette. Rien à voir, décidément, avec le huis clos art déco de Peter Stein : on reste d’ailleurs au cirque, à travers par exemple le clown omniprésent. L’œuvre, du coup, perd un peu de sa force, de sa cruauté, de son horreur, donnant plutôt le sentiment d’une infinie tristesse, suggérée par une direction d’acteurs très souple, mais toujours aussi précise et éloquente. Il y a presque quelque chose de résigné dans cette lecture qui refuse l’intimisme, jusque dans la mort de Lulu sous la neige et sous les coups d’un Jack l’éventreur – déguisé en Père Noël – réincarnation de Schön, qu’elle rejoint ainsi dans une mort à la fois sacrificielle et fusionnelle. Reste à savoir si cette production marquera autant que d’autres, à commencer par Tristan ou Les Contes d’Hoffmann.


La distribution est remarquable d’homogénéité, chaque rôle trouvant son interprète. Si tous pourraient être cités, de l’Alwa passionné, à l’aigu sonore, de Gerhard Siegel au Peintre stylé de Bruce Rankin, de la Geschwitz d’une classe distante de Julia Juon au Schön tourmenté mais sobre de Pavlo Hunka, on soulignera la performance de Patricia Petibon, qui triomphe là où une Natalie Dessay avoue ne pas oser se risquer. Un aigu brillant, une maîtrise parfaite de la tessiture, une incarnation magnifique surtout l’installent d’emblée parmi les grandes Lulu. Sa capacité à se métamorphoser impressionne, enfantine et monstrueuse, énigmatique et violente, Marylin au sommet ou pute sur le trottoir, plus victime mortifère que dévoreuse impavide, perdue dans sa quête solitaire d’une sorte d’absolu. Les chanteurs donnent aussi le meilleur d’eux-mêmes grâce à la direction de Marc Albrecht, veillant toujours à ne pas les couvrir, attentif aux moindres nuances, d’une fluidité et d’une clarté toutes chambristes, inscrivant l’opéra de Berg dans la grande tradition polyphonique allemande, privilégiant d’abord le lyrisme plutôt que la tension, pour mieux faire progresser le drame, dont la violence se libère à partir du deuxième acte.



Didier van Moere

 

 

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