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Do you want Magic ?

Paris
Palais Garnier
06/07/1999 -  et 10, 13, 16, 19*, 22, 25, 28 juin, 1er juillet 1999
Georg Friedrich Haendel : Alcina
Renée Fleming (Alcina), Natalie Dessay (Morgana), Kathleen Kuhlmann (Bradamante), Susan Graham (Ruggiero), Juanita Lascarro (Oberto), Timothy Robinson (Oronte), Laurent Naouri (Melisso)
Orchestre et Choeurs des Arts Florissants, William Christie (direction)
Robert Carsen (mise en scène), Tobias Hoheisel (décors et costumes), Jean Kalman (lumières)

Les magiciennes meurent aussi. En clôturant son Alcina par un détournement aussi spectaculaire qu’inattendu (la protagoniste poignardée par Ruggiero), Robert Carsen résume d’un geste toutes les contradictions conceptuelles et la cohérence formelle de sa vision. Contradictions mineures dans l’esthétique (il faudra un jour nous expliquer en quoi les costumes guindés et les tables à roulettes de nos arrières grands-parents sont moins inactuels que l’habit dix-huitième), plus gênantes dans la dramaturgie. Cette Enchanteresse, qui s’étiole telle une Maréchale entre sa soubrette et son Quinquin, incarne-t-elle l’ivresse d’un amour suspendu dans l’éternel, d’un érotisme destructeur, d’une fuite hors des canons étriqués de la bourgeoisie – lorsque ses petits souliers ne sont plus au fond très différents de ceux que retrouve avec soulagement Bradamante ? Cohérence néanmoins de la réalisation jusqu’à cette conclusion parfaitement assumée, et amputée du lieto fine le plus improbable imaginé par Haendel (outre les ballets et l’ultime choeur, la partition ne souffre d’ailleurs que de coupures anecdotiques). Car la production est d’une beauté à couper le souffle, effaçant très rapidement l’impression initiale de déjà-vu par des effets théâtraux saisissants (les apparitions d’Alcina au faîte de sa gloire), des éclairages et des jeux d’ombres subtils, une direction d’acteurs admirable de vitalité et de finesse. Intelligence et émotion se conjuguent dans ce climat d’érotisme doux-amer où le metteur en scène excelle (" Ama, sospira ", " Un momento di contento ") comme dans ce portrait de femme qui privée d’amour voit s’évaporer ses charmes – même si ces derniers ont toujours paru très humains. Interprétant Haendel avec liberté mais respect (bien mieux sans doute qu’avec Orlando ou Sémélé), Carsen pose enfin un jalon supplémentaire dans son propre parcours créatif, jouant avec lucidité et ironie de l’auto-citation (le couple de domestiques tout droit sorti des Noces de Figaro), maniant avec dextérité le rituel de l’habillage - déshabillage et la disparition progressive des repères spatio-temporels pour aboutir à une libération collective qui n’est pas sans évoquer celle de La Flûte Enchantée par la ferveur ou de Nabucco par la dimension sacrificatoire.

Quel dommage alors que les propositions de Christie n’égalent pas en originalité celles de son partenaire ! S’appuyant sur ses merveilleux instrumentistes (Hiro Kurosaki, formidablement délié partout et éblouissant dans son solo, Emmanuelle Haïm, continuiste à la fois rigoureuse et fantasque, agitant " Si, son quella " d’inquiets frémissements), le chef leur renvoie son infinie musicalité dans la conduite de la phrase, son sens de l’étagement dynamique mettant tour à tour en valeur les beautés de chaque pupitre – et quels reflets de lune chez les vents ! Mais la pulsation rythmique paraît obéir au caprice, le choix de certains tempos laisse songeur (que se passe-t-il donc dans ce trio ?), les transitions, toujours négociées au prix d’un savant virage sur l’aile, n’offrent guère de contrastes dramatiques et semblent peu soucieuses des nécessités expressives. Le contact n’est pas non plus idéal entre fosse et plateau (peu de décalages, mais des reprises de souffle qui paraissent parfois réglées au petit bonheur).

Du trio de dames, ceux qui ne comptent pas au nombre de ses inconditionnels attendaient Fleming avec curiosité et méfiance. Elle se montre remarquable, tant par la beauté vocale – sans souci d’une tessiture assez basse – que par la qualité du style, l’implication du geste et des mots qu’on a connus plus flous. " Ombre pallide ", à la vocalise molle et approximative, trahit sans doute le manque de familiarité avec ce répertoire et l’inadéquation d’une technique prédisposée à l’élégie lyrique. Mais les récitatifs frissonnent de sève, " Si son quella " trouve une nostalgie étreignante, et le bouleversant " Ah, mio cor " supporte la comparaison avec celui d’Arleen Auger, ample et déchiré jusque dans l’appui du grave, enflant et amenuisant le texte sur la vague d’une dynamique souveraine, rétractant la main et les traits du visage dans les replis d’une intime souffrance. Idéale opposition avec la Morgana – Suzanne de Natalie Dessay, carnassière espiègle sur ses pattes d’insecte, voix d’opale aux inflexions manquant un peu de chair (la tessiture encore) et à l’italien avare de consonnes, mais au phrasé admirablement fin et précis, s’offrant avec une insolence réjouissante des variations qui ne sont probablement pas d’appellation contrôlée, mais affichent une irréprochable tenue théâtrale et musicale. Que manque-t-il à Susan Graham ? De la présence d’abord, tant elle paraît constamment engoncée et anonyme, de l’aisance ensuite. Ce timbre si beau et limpide s’applique à conserver son égalité dans des registres qui lui sont interdits et ne dispose guère dans le grave d’une marge de manoeuvre pour l’expression et le drame. La phrase est souple en dépit d’un souffle trop court, la vocalise bien plus facile qu’à Fleming (" Sta nell’iracana " est son meilleur moment), mais le sang n’y est pas, et " Verdi prati " passe presque inaperçu. Kuhlmann, avec quelques lambeaux de voix, rend à Bradamante la vigueur de ses attaques et de ses rythmes, Naouri est comme toujours parfait dans le second degré du vieux précepteur, la jeune Juanita Lascarro incarnant un Oberto plutôt corsé et Timothy Robinson un Oronte scéniquement brillant.



Vincent Agrech

 

 

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