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Feu et émotion pour Jenůfa

Madrid
Teatro Real
12/04/2009 -  et 6, 8*, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 22 décembre 2009
Leos Janácek: Jenůfa

Amanda Roocroft*/Andrea Danková (Jenůfa), Deborah Polaski*/Anja Silja (Kostelnicka), Miroslav Dvorský*/Jorma Silvasti (Laca), Nikolai Schukoff*/Gordon Gietz (Steva), Mette Ejsing (Grande Mère Buryja), Károly Szemerédy (Le contremaître), Miguel Sola (Le Maire), Marta Ubieta (Karolka), Elena Poesina (Jano)
Chœur du Teatro Real, Peter Burian (chef de chœur), Orchestre du Teatro Real, Ivor Bolton (direction musicale)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et décors), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Marion Hewlett (lumières)


D. Polaski & A. Roocroft (© Javier del Real)



Avec cette mise en scène de Jenůfa le nouveau Teatro Real a rendu justice aux cinq grands opéras du compositeur de Hukvaldy, le Tchèque Leos Janácek (Jenůfa, Katia Kabanová, La Petite renarde rusée, L’Affaire Makropoulos, De la maison des morts). En outre, on a pu y voir, il y a quelques années, une mise en scène de Robert Wilson de l’opéra Osud (Destinée). Il ne manque que Les Aventures de M. Broucek, opéra considéré comme mineur, de même qu’Osud, et ses deux partitions de jeunesse, négligées même en République tchèque. Les directions artistiques successives du théâtre ont persisté dans une voie aussi judicieuse que payante, puisque Janácek est maintenant présent et habituel pour le public madrilène. Jenůfa avait précédemment été donnée à Madrid en 1993, dans une mise en scène de Mario Gas, avec la très regrettée Leonie Rysanek dans le rôle de Kostelnicka. Il y a trois ans on a aussi vu aussi Jenůfa au Liceu de Barcelone.


Les deux protagonistes principales, Roocroft et Polaski, on remporté un vif succès, fort justifié. Amanda Roocroft possède une voix empreinte de douceur et en même temps dramatique, puissante et percutante. Elle a campé un personnage délicat et émouvant, sublime dans sa faiblesse et sa dimension de victime. Mais finalement la victime, ici, est davantage le bourreau, Koctelnicka, et l’interprétation de Deborah Polaski nous donne la double dimension de ce personnage qui ne sera jamais la Kabanicha de Katia Kabanová, mais seulement une mère qui essaye de faire au mieux pour sa fille (qui n’est pas sa fille, mais les rapports de famille sont ici très complexes). Au début, on a l’impression d’une femme rigide et sévère. Mais au deuxième acte éclatent l’humanité et l’émotion du drame. C’est la crise, une crise en forme de catastrophe avant la catastrophe suprême du troisième acte : le meurtre de l’enfant. Le deuxième acte a été le plus touchant dans cette mise en scène pleine d’émotion, et les deux femmes arrivent à des sommets dramatiques rarement vus et entendus.


Les deux ténors sont à la hauteur des femmes dans ces scènes pleines d’électricité. Le Slovaque Miroslav Dvorský, qui, dirait-on, domine tous les répertoires, incarne un Laca subtilement défini, entre homme aigri et amant noble, avec une voix toujours splendide, d’un lyrisme qui traduit très bien l’exaltation. Nous l’avions d’ailleurs déjà beaucoup apprécié l’an passé, également au Teatro Real, dans L’Affaire Makropoulos. Le jeune Autrichien Nikolai Schukoff, dans le rôle guère sympathique de Steva, qui présente aussi une double dimension, à la fois type amusant et égoïste irresponsable, procure à ce personnage une nuance pas tout à fait négative, comme si sa voix, belle et lyrique, faisait jaillir un brin d’humanité dans cet enfant gâté.


Le dernier acte culmine avec les interprétations de ces quatre géants, et l’émotion bat son plein dans les deux dernières scènes : la découverte du cadavre (grand contraste entre Roocroft, anéantie, et l’expression tragique, ahurie, de Polaski, avec un climax dans un cri bouleversant) et le duo final entre Roocroft et Dvorský, donnant l’apparence d’un énigmatique happy end, car on se demande évidemment ce qui va arriver au sein de ce couple dans l’avenir. Mais le troisième acte permet aussi de reconnaitre la qualité d’autres voix, comme Mette Ejsing, Károly Szemerédy, Miguel Sola, Marta Ubieta ou Elena Poesina.


Le plateau vocal est donc superbe, et les prestations dramatiques d’un niveau superlatif. Mais cela n’arrive pas par hasard. Le chef Ivor Bolton, avec son excellence technique incontestable, donne une émotion et une chaleur permanentes aux deux actes les plus intenses. Le détail et l’ensemble, les moments lyriques et les éclats tragiques, tout est dominé par ce formidable maestro, y compris un chœur d’un niveau fort respectable, dirigé par Peter Burian.


Et il faut aussi louer la mise en scène de Stéphane Braunschweig, créée à l’origine pour le Théâtre du Châtelet à Paris. Il est un grand directeur d’acteurs, ce qui nous vaut les formidables interprétations du quatuor de protagonistes, comme certainement des autres personnages. Braunschweig est aussi l’auteur des décors, dépouillés, sans rien d’accessoire. Sa mise en scène ne cherche pas la beauté pour elle-même, et sa réussite tient à sa concentration sur les gestes théâtraux et vocaux essentiels qui procurent intensité et émotion à ce beau drame, chef d’œuvre d’un compositeur qui réussit là son premier véritable opéra à l’âge de 49 ans. Les ailes du moulin familial ne protègent pas les amoureux, ils en témoignent pour nous transmettre une dimension d’énigme et de tragédie. Braunschweig réussit encore une fois admirablement dans Janácek, après son Affaire Makropoulos d’Aix-en-Provence.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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