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Le maître et l’élève

Paris
Salle Cortot
11/30/2009 -  
Dimitri Chostakovitch : Quatuors n° 3, opus 73, et n° 11, opus 122 – Préludes pour quatuor à cordes, trompette et piano (création)
Boris Tishchenko : Quatuor n° 4, opus 77 (création française)

Antoine Acquisto (trompette), Muhiddin Dürrüoglu (piano), Quatuor Danel: Marc Danel, Gilles Millet (violon), Vlad Bogdanas (alto), Guy Danel (violoncelle)


Le Quatuor Danel (© Derek Trillo)



Un «Comité Tishchenko 70» a été fondé à Paris au printemps dernier – le jour même des soixante-dix ans de l’intéressé, né le 23 mars 1939 à Saint-Pétersbourg – sous l’égide de l’Association internationale «Dimitri Chostakovitch», dont il fut l’élève. Il a suffi de quelques mois pour mettre sur pied plusieurs manifestations : deux concerts à Paris, le premier ayant été précédé d’une conférence de Frans Lemaire; un autre le 24 février à New York, comprenant sa Cinquième symphonie (in memoriam Chostakovitch), et, le 5 mars à Montpellier, sa Dante Symphonie n° 3 «Inferno».


Le second concert parisien, dans l’écrin idéal de la salle Cortot, permettait de retrouver le Quatuor Danel, qui y a présenté l’intégrale des Quatuors de Chostakovitch voici trois ans (voir ici). Il en a choisi deux pour l’occasion, en exergue et en exorde de cette copieuse soirée: le Onzième (1966), dont il souligne les contrastes, enlaidissant et abêtissant délibérément le propos du Scherzo puis appuyant avec rage dans le Récitatif, tout en laissant s’exprimer la virtuosité de l’Etude et la déploration de l’Elégie, pour conclure sur un Moderato fantomatique; le Troisième (1946), dont il fait ressortir les frictions entre néoclassicisme (Allegretto initial, Moderato final) et intensité expressive (Adagio poussé à son paroxysme), avec à nouveau un Scherzo d’une mise en place parfaite.


L’Association Chostakovitch s’est notamment donné pour mission de faire jouer des œuvres rares du compositeur russe, tels ces sept Préludes (1935) extraits de la musique écrite pour le film Les Amies de Lev Arnshtam et annoncés en «création mondiale». Pourtant, les notes de programme – remarquablement documentées – font état d’une première à Moscou par le Quatuor Borodine en 1985, peu après la découverte des manuscrits jusqu’alors dispersés, puis d’un enregistrement pour Melodiya. Trois de ces Préludes ont même déjà été donnés en décembre 2004 au Théâtre des Champs-Elysées, en marge du cycle Chostakovitch de l’Orchestre national de France (voir ici), et Mark Fitz-Gerald vient de reconstituer entièrement la partition à partir de diverses sources, dont la bande-son originale, pour un enregistrement récemment sorti chez Naxos.


Toujours est-il que ces sept Préludes – il y en aurait eu douze à l’origine – offrent près de vingt minutes de Chostakovitch en tout ou partie inédit, ce qui se refuse d’autant moins qu’elles ne manquent pas de substance. La formation instrumentale requise – quatuor, piano (Muhiddin Dürrüoglu) et trompette (Antoine Acquisto) – évoque bien sûr le Premier concerto, antérieur deux ans seulement. Hormis dans les troisième et sixième pièces, le climat est plus profond et lyrique que persifleur ou burlesque, la trompette faisant d’ailleurs silence dans trois des morceaux, dont deux sont confiés aux seules cordes. Les trouvailles abondent, témoignant d’un art consommé de la suggestion avec des moyens très simples, comme cette note répétée dans la deuxième pièce par le second violon sur un rythme iambique obstiné: musique suffisamment déviante pour avoir provoqué l’ire de Kabalevski avant même la sortie du film, emboîtant le pas du célèbre article anonyme de La Pravda sur le «chaos» de Lady Macbeth, paru quelques jours plus tôt.


Achevant ses études auprès de Chostakovitch de 1962 à 1965, Boris Tishchenko fut-il son «élève favori»? En tout cas, le maître – beau geste – instrumenta le Premier concerto pour violoncelle du jeune homme, destiné à Rostropovitch. Depuis lors, son catalogue, dont on peut entendre une partie grâce à Olympia et Northern Flowers, s’est enrichi de deux opéras, trois ballets, sept symphonies, un «cycle choréosymphonique» intitulé Béatrice (formé de cinq Dante Symphonies) et douze Sonates pour piano. Le Quatrième (1980) de ses six quatuors est dédié à la veuve de Chostakovitch, Irina, et, par coïncidence, cette création française intervient le jour même des 75 ans de celle qui est également la vice-présidente de l’Association Chostakovitch.


De grande ampleur (trois quarts d’heure) et d’un seul tenant, ce Quatrième quatuor comprend toutefois quatre mouvements nettement distincts, les deux derniers étant reliés par un Interlude, sorte de cadence pour violoncelle seul. Le premier dure près de vingt minutes et rappelle la période ultime de Chostakovitch: monologues de l’alto, puis du violoncelle, accompagnés ou non par les autres instruments, menant progressivement à un point culminant de conflictualité et d’exaspération. Dans les mouvements centraux, l’atmosphère n’est guère plus détendue, entre raréfaction presque feldmanienne, parfois autour d’une seule note, et vindicte d’un rythme pointé. Sur une basse régulière et quasi immuable, le dernier mouvement surprend par un swing trop détendu pour ne pas paraître suspect ou, à tout le moins, énigmatique: de fait, le dernier mot, interrogatif, revient au violoncelle en scordatura, comme sur la pointe des pieds.


Même si la répétition de certains procédés – silences, écriture en canon – peut finir par lasser, la partition n’en possède pas moins une charge émotionnelle qui fait forte impression. Venu à Paris pour cet hommage, Tishchenko déclare que jamais son Quatrième quatuor n’a été aussi bien joué. Messiaen exprimait systématiquement de la sorte sa satisfaction à ses interprètes, au concert comme au disque, mais le compliment n’est ici certainement pas de pure forme. Car les Danel, qui ont entrepris pour cpo une intégrale des dix-sept Quatuors d’un autre proche de Chostakovitch, Mieczyslaw Weinberg (1919-1996), ont non seulement mis leur excellence technique au service de ce quatuor techniquement et physiquement exigeant, mais se le sont approprié avec un engagement qui ne peut que forcer l’admiration.


Une liste exhaustive des œuvres de B. Tishchenko
Le site de l’Association internationale «Dimitri Chostakovitch»
Le site du Quatuor Danel
Le site de Northern Flowers



Simon Corley

 

 

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