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Une soirée qui ne manque pas de sel

Paris
Conservatoire à rayonnement régional (Auditorium Marcel Landowski)
11/09/2009 -  
Carl Philipp Emanuel Bach : Symphonies en fa, Wq. 183/3, H. 665, et en ré, Wq. 183/1, H. 663
Philippe Hurel : D’un trait
Enno Poppe : Schrank (création) – Salz

Frédéric Baldassare (violoncelle)
Ensemble 2e2m, Pierre Roullier (direction)





9 novembre 2009: alors que l’Europe entière, y compris la place de la Concorde, est réunie à Berlin, 2e2m et son directeur artistique, Pierre Roullier, proposent une halte à «Hambourg, port d’attache», cité à laquelle Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788), succédant en 1768 à Telemann comme Kapellmeister, a associé son nom. C’est que le premier concert parisien de la saison de l’ensemble coïncide avec le sixième et dernier de la «résidence» qu’Enno Poppe (né en 1969) y a effectuée tout au long de l’année 2009. Or, le compositeur allemand professe une admiration pour la «valeur extraordinaire» du deuxième des fils de Maria Barbara et Jean-Sébastien Bach, en qui il voit un «intellectuel de la musique, atteignant un niveau de réflexion exceptionnel à propos de tout ce qu’il abordait dans ses écrits, comparable en cela seulement à Rameau». En même temps, «peu de ses contemporains ont découvert et exploré autant de domaines d’expression». Dès lors, cette musique qui «nous indique[nt] une issue vers l’air libre» a constitué pour lui «un point de référence essentiel dans les années 1990».


Cette référence et même cette révérence inattendues inspirent un programme remarquablement stimulant, précédé d’une présentation d’Omer Corlaix: de quoi faire changer d’avis à tous ceux qui penseraient encore que la musique contemporaine est nécessairement ennuyeuse et cérébrale. Et c’est donc à 2e2m, et non à quelque ensemble «baroqueux», qu’on doit de pouvoir entendre à Paris des œuvres du trop rare C.P.E. Bach, en l’occurrence deux de ses dix-huit Symphonies (en fa puis en ), sélectionnées parmi son ultime série de quatre, datée de 1776. Ecrites «à douze voix obligées» (deux flûtes, deux hautbois, basson, deux cors, quintette à cordes, continuo de clavecin), ces brèves symphonies en trois mouvements enchaînés frappent par leur langage heurté, fait de ruptures, de contrastes brutaux, de silences, de transitions hardies, d’ambiguïtés tonales et de surprises harmoniques: un régal revigorant, plein d’énergie, d’alacrité et de verdeur, avec des cordes (un musicien par partie) qui jouent pleinement le jeu, sans vibrato.


Entre les deux symphonies, Frédéric Baldassare sort du rang et, alors que le noir se fait autour de lui, se place devant ses camarades pour donner D’un trait (2007) de Philippe Hurel (né en 1955), qui décrit lui-même cette pièce en ces termes: «quelques éléments "énergétiques" particulièrement violoncellistiques [...] qui s’enchaînent, se catapultent et se transforment de façon non prévisible». On ne situe donc pas loin, dans l’esprit, des déroutantes embardées de C.P.E. Bach: dix minutes spectaculaires, dans le ton d’une improvisation, l’interprète relevant avec brio le défi de cette formidable vitalité.


La seconde partie s’ouvre sur la création de Schrank de Poppe. Il ne sera pas dit qu’on ne passera pas par Berlin en ce 9 novembre, puisque c’est là qu’il étudia avec Friedrich Goldmann et Gösta Neuwirth et que c’est de cette époque que date la conception de certains des onze numéros sortis de «différents tiroirs» de cette «armoire» (Schrank), mûris par le temps. L’effectif (flûte, hautbois, clarinette, saxophone, trio à cordes, piano/synthétiseur et percussion) n’est employé au complet que dans la première pièce, au demeurant la plus brève, et se déploie ensuite dans des formations allant, selon les pièces, du solo (percussion, flûte) jusqu’à l’octuor, en passant par le duo, le trio ou le sextuor. La durée des mouvements est également très variable (de 30 secondes à 4 minutes), pour un total de 27 minutes durant lesquelles la qualité de l’écriture ainsi que la diversité des combinaisons instrumentales et des styles ne cessent d’éveiller l’intérêt, entre une sorte de perpetuum mobile haletant pour flûte seule (n°4), une danse ironique très années 1920, entre Chostakovitch, Schönberg et Poulenc (n°6), une autre danse grinçante et déglinguée (n°8) et un violoncelle méditant avec un synthétiseur aux sonorités d’orgue Hammond accordé en trente-deuxièmes de tons (n°10).


Pierre Roullier fait suivre sans interruption Salz (2005), qui requiert exactement le même instrumentarium: cinq crescendos, progressant chacun en cinq temps eux-mêmes formés chacun de cinq «vagues», soit 125 vagues menant inéluctablement, et avec une parfaite efficacité dramatique, à un paroxysme final – une montée en puissance d’un quart d’heure rigoureusement et implacablement construite, comme un certain Boléro. Quant au sel (Salz), dont cette soirée n’aura jamais manqué, il faudra se contenter de ces quelques mots sibyllins de Poppe: «Le sel est essentiel à nos vies. Mais en mer, nous mourons de soif.»


Le site de l’Ensemble 2e2m
Le site de Philippe Hurel



Simon Corley

 

 

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