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Aléas des découvertes

Paris
Salle Pleyel
11/06/2009 -  
Leonard Bernstein : Concerto pour orchestre
Nadia Boulanger : Fantaisie pour piano et orchestre
George Gershwin : Rhapsody in Blue

Patrick Ivorra (baryton), David Greilsammer (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Steven Sloane (direction)


S. Sloane (© Christoph Fein)



Deux hommages en ce vendredi soir à Paris: l’un, au Théâtre des Champs-Elysées, à Mstislav Rostropovitch, au moment même où se tient la neuvième édition du concours auquel il a donné son nom; l’autre, salle Pleyel, à Nadia Boulanger (disparue voici tout juste trente ans, le 22 octobre 1979), alors que la cinquième édition du «Concours international de chant-piano Nadia et Lili Boulanger» s’apprête à débuter au Conservatoire d’art dramatique.


Pour célébrer celle qui enseigna au Conservatoire américain de Fontainebleau dès sa création (1921) et en prit la direction en 1948, l’Orchestre philharmonique de Radio France, quitte à programmer des compositeurs originaires des Etats-Unis, aurait pu profiter de l’occasion pour opter, parmi ceux venus rechercher son enseignement, pour des musiciens qui, moins célèbres que Carter, Copland et Glass, sont peu souvent joués sous nos latitudes, tels Diamond, Harris, Piston, Rorem, Sessions ou Thomson. C’était même presque un tour de force que de réussir à en choisir deux qui, bien qu’admirant sa personnalité, ne passèrent pas par la «boulangerie»: Gershwin, qui reçut d’elle à peu près la même réponse que celle que lui fit Ravel, auquel il avait également demandé de lui donner des leçons («Que pourrais-je vous enseigner que vous ne sachiez déjà?»); Bernstein, qui, s’il se rendit assidument rue Ballu après-guerre et fit d’elle, en 1962, la première femme à diriger un concert entier avec le Philharmonique de New York, ne fut cependant pas son élève.


Qu’à cela ne tienne, car cette courte soirée offrait la possibilité de découvrir deux partitions rarement données, à commencer par le Concerto pour orchestre (1986/1989) de Bernstein. D’une durée totale d’une demi-heure, il n’était originellement formé que de deux mouvements: destinés, sous le titre de Jubilee Games, au cinquantenaire du Philharmonique d’Israël, ils devinrent ensuite le centre d’une structure en quatre mouvements. Dans les «Free-Style Events», Bernstein, plus éclectique que jamais, semble avoir voulu se mesurer à Berio ou à Lutoslawski: sections aléatoires, intervention d’une bande préenregistrée, orchestre murmurant «sept» ou «cinquante» (en hébreu), en écho aux préoccupations numérologiques qui président à la construction de l’œuvre. Malheureusement, le résultat ne va guère au-delà du vacarme que produit un effectif particulièrement fourni (flûte et clarinettes par quatre, saxophone alto, riche percussion, harpe, mandoline et piano). De facture plus traditionnelle, «Mixed Doubles» obéit à la fonction virtuose et individualiste du concerto pour orchestre, présentant un thème, sept variations et un épilogue, dont le principe consiste à mettre en valeur à chaque fois différents couples d’instruments (ou groupes d’instruments). Mais, à la différence du «Giuoco delle coppie» du Concerto pour orchestre de Bartók, les couples sont mixtes et s’expriment généralement sans l’accompagnement du reste de l’orchestre: successivement violons/violoncelles, flûte/cor, trompette/contrebasse, clarinettes/trombones, onze timbales (pour le seul Adrien Perruchon)/percussion, deux violons, flûte alto et piccolo/clarinette basse, hautbois et cor anglais/basson et contrebasson, alto/violoncelle. «Diaspora Dances» ne constitue qu’une pâle imitation de la verve rythmique caractéristique de l’auteur de West Side Story et «Benediction» se conclut sur la brève intervention d’un baryton solo (Patrick Ivorra, membre du Chœur de Radio France), qui chante un extrait du Livre des Nombres.


Bref, il arrive qu’entendre certaines pages permet de comprendre pourquoi elles sont négligées, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’expérience manque d’intérêt et qu’elles doivent donc rester à tout jamais oubliées. Ces risques méritent amplement d’être courus, même si, après l’entracte, il en va hélas de même avec les vingt minutes de la Fantaisie pour piano et orchestre (1912) de Nadia Boulanger, qui n’avait pas été exécutée depuis sa première parisienne aux Concerts Lamoureux le 9 février 1913, trois semaines après sa création à Berlin. Le soliste en était Raoul Pugno, avec lequel elle écrivit le cycle Les Heures claires, à l’affiche des solistes du Philhar’, dès le lendemain à Radio France. Tout concourt d’abord à évoquer les Variations symphoniques de Franck – thème puissant entonné par les cordes graves et suivi d’une série de variations, orchestration dense – mais ce laborieux décalquage évolue vers un propos narrativement et stylistiquement décousu: une «fantaisie» implique certes un certain degré de liberté, mais le manque de rigueur devient ici indigeste, mêlant le maître Fauré, Liszt et Dukas, harmonies modales et gammes par tons.


«Cohésion formelle», «qualités d’écriture de premier ordre», «partie soliste remarquablement efficace», pièce «constamment inspirée» méritant «assurément une place de choix au sein du répertoire pianistique français», si l’on en croit Dania Tchalik dans les notes de programme: la déception est d’autant plus grande que la prestation hésitante et timorée de David Greilsammer, partition sous les yeux, n’arrange rien, et que la fusion avec l’orchestre se fait mal. La redécouverte de cette Fantaisie n’en est pas moins, d’une certaine façon, à porter au crédit de Nadia Boulanger, en ce qu’elle démontre la lucidité du choix qu’elle fit d’arrêter de composer après la Première Guerre mondiale, alors que sa sœur cadette Lili (1893-1918), Premier Grand Prix de Rome en 1913, était parvenue en quelques années seulement à faire la preuve de son génie.


Mais il ne faudra pas hésiter à donner une deuxième chance à cette Fantaisie au disque, annoncé pour l’année prochaine, où elle sera couplée avec une autre intéressante rareté, le Second concerto de Tansman, et la Rhapsody in Blue (1924) de Gershwin. C’est sur ce tube que le concert prend fin, mais sans apporter la moindre consolation. Steven Sloane (né en 1958), Generalmusikdirektor à Bochum (depuis 1994), principal guest conductor de l’American Composers Orchestra (depuis 2002) et chef principal de l’Orchestre symphonique de Stavanger (depuis 2007), est indéniablement un chef expérimenté, mais il n’offre qu’un accompagnement bruyant et raide. Quant à David Greilsammer, décidément pas dans un bon jour, il enchaîne maniérismes et complications inutiles, déstructurant un parcours certes... rhapsodique, mais qui ne nécessite pas de couper ainsi les cheveux en quatre et de chercher midi à quatorze heures.


Le site de la Fondation internationale Nadia et Lili Boulanger
Le site de David Greilsammer



Simon Corley

 

 

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