About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Prima la musica

Paris
Palais Garnier
09/14/2009 -  et 19*, 22, 26 & 30 septembre, 2, 5, 7, 11 & 14 octobre
Charles Gounod : Mireille
Inva Mula (Mireille), Charles Castronovo (Vincent), Franck Ferrari (Ourrias), Alain Vernhes (Maître Ramon), Sylvie Brunet (Taven), Anne-Catherine Gillet (Vincenette), Sébastien Droy (Andreloun), Nicolas Cavallier (Maître Ambroise), Amel Brahim-Djelloul (Clémence), Ugo Rabec (le Passeur)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Marc Minkowski (direction)
Nicolas Joel (mise en scène)


I. Mula (© Opéra national de Paris/Agathe Poupeney)


Pour une rupture, c’est une rupture, surtout quand on songe, en voyant cette Mireille si naïvement désuète, au dernier spectacle de Gerard Mortier, le Roi Roger iconoclaste de Krzysztof Warlikowski. Les gallistes d’hier, que le précédent directeur prenait un malin plaisir à provoquer, tiennent leur revanche : les voici joellistes. La contestation a changé de camp. De toute façon, à l’Opéra, c’est toujours la guerre des deux roses. Sur trois fronts. Celui des chiffres : chacun brandit les siens, hausse du fonds de roulement pour l’un, hausse des abonnements pour l’autre. Un point partout ? Celui du répertoire : Gerard Mortier n’aurait pas inauguré une saison avec Mireille pour la terminer avec La Donna del lago ! Cela dit, nuançons : le pourfendeur du star system a invité Dessay, Netrebko et Villazón, le puccinophobe a concédé Tosca et Butterfly à un public honni. Le défenseur de l’opéra français du dix-neuvième, lui, a ressuscité Œdipe d’Enesco à Toulouse – avant sans doute de le reprendre à Paris – et n’est pas fermé à la création, comme en témoignent certaines commandes – deux ans après le Capitole, on verra cette saison le Faust de Philippe Fénelon. Mais c’est sur le troisième front que la bataille fait rage : celui des mises en scène.


Le combat est d’autant plus acharné que le nouveau directeur a tenu à mettre lui-même en scène cette Mireille ressuscitée des cendres de l’Opéra-Comique – sa seule mise en scène de la saison. Pour imprimer sa marque et consommer, d’emblée, la rupture, quitte à s’attirer les railleries du camp adverse. Mais ne nous y trompons pas : la guerre est idéologique ; à travers les mises en scène, deux conceptions de l’opéra s’affrontent. Pour l’un, à l’ego quasi messianique, l’opéra était une terre de mission, pour l’autre, qui croit aux vertus de la tradition, c’est un lieu de plaisir. L’un rêvait d’inventer l’opéra de demain, l’autre veut maintenir celui d’hier – le « restaurer », disait perfidement son prédécesseur jamais en mal de formules. Le premier, utopiste, s’adresse d’abord à des citoyens, le second, pragmatique, d’abord à des mélomanes. Un nouvel avatar, au fond, du sujet de Capriccio, vieille querelle des anciens et des modernes remontant aux origines du genre : d’abord le théâtre ou d’abord la musique ? Désormais, la réponse est claire : Prima la musica.


A partir de là, faut-il brocarder une Mireille au premier degré, qu’on représentait ainsi dans nos provinces il y a cinquante ans, ce retour à l’opéra de mamie ? Si l’opéra de Gounod, incontestable chef-d’œuvre, méritait ce retour, il n’est pas sûr qu’il intéresse la nouvelle vague. On voit mal un Olivier Py faire danser la Farandole par ses travestis… encore que, sait-on jamais, le trublion de la mise en scène pourrait apprécier – et détourner, évidemment – le mysticisme de Gounod… Nicolas Joel, en tout cas, assume, crânement même, ces gestes convenus allant de la minauderie à la grandiloquence, cette Farandole de patronage, ce Val d’enfer où l’on ressort le bric-à-brac des vapeurs et des éclairs. Finalement, comme la machine est bien huilée, ça ne fonctionne pas si mal : il raconte et illustre une histoire. Et les décors du fidèle Ezio Frigerio, d’un réalisme stylisé, sont loin d’être ratés – le champ de blé, rappelant L’Angélus de Millet, vaut bien, après tout, les meules de foin de Laurent Pelly dans L’Elixir d’amour ; ils évitent, même si les dames ont bien sorti, grâce à Franca Squarciapino, leur costume d’Arlésienne, le pittoresque régionaliste. Sauf celui du Val d’enfer, où la nappe gluante des eaux du Rhône fait plutôt sourire – elle a déclenché des huées lors de la première. Les lumières, quand elles remplacent le décor dans la scène de la Crau, sentent le Bob Wilson du pauvre. On peut néanmoins incarner la tradition avec plus de subtilité. Entre la restauration et la révolution, il y a la réforme. Comme nous avons eu déjà l’occasion de l’écrire, entre l’opéra de mamie et le Regietheater, l’espace est vaste (lire ici). Nicolas Joel a-t-il pour autant perdu cette bataille ? Rien de moins sûr : pas une seule huée à la deuxième représentation. Et l’on ne peut désigner de vainqueur avant la fin de la saison.


Le nouveau patron de l’Opéra, de toute façon, avait de solides alliés dans la plupart des interprètes – sans compter qu’il a, à l’entendre ici, bien fait de confier le chœur à Patrick Marie Aubert, venu du Capitole. La plupart, pas tous. Franck Ferrari, toujours engorgé, est un Ourrias mal équarri, à l’articulation pâteuse, aux phrasés frustes, qui gâche tout le Val d’enfer. Que n’a-t-il pris exemple sur Alain Vernhes pour apprendre ce qu’est le style français ? On regrette d’autant plus que les années éliment et écourtent la voix de ce dernier : voilà un Ramon digne, à la fois autoritaire et fragile, plus complexe qu’il n’y paraît. Les rôles secondaires font également honneur à notre école, que Nicolas Joel a raison de promouvoir, de la Vincenette douce et jamais mièvre d’Anne-Catherine Gillet à l’Andreloun souple et élégiaque de Sébastien Droy. Et Sylvie Brunet, heureusement, dépasse l’image stéréotypée de la sorcière que nous inflige la mise en scène, par la sobriété de son chant, l’homogénéité des registres – elle ne force jamais le grave en poitrinant -, la franchise de la ligne ; elle échappe à la caricature, en particulier dans la Chanson du deuxième acte, où les « Ah ! Ah ! », si difficiles, sont exemplaires. Charles Castronovo a une petite voix à la projection courte, évidemment un peu juste pour le Val d’enfer, mais il la conduit parfaitement, avec un raffinement dans la nuance et la ligne, chantant piano la reprise de « Anges du paradis »… et respectant la prosodie du français beaucoup mieux que son rival. On attendait beaucoup Inva Mula, elle n’a pas déçu, sinon par une articulation défectueuse, ce qui étonne de la part d’une chanteuse aussi familière des canons du chant français... ou par des vocalises de « A toi mon âme » à ne pas présenter dans un concours. Avec une voix fruitée sinon ronde, à peine durcie par l’air de la Crau, elle résiste bien dans un rôle éprouvant, assume bien l’évolution du personnage, n’arrivant pas néanmoins à trouver le secret de la simplicité naïve de « Heureux petit berger », totalement investie en tout cas dans ce rôle dont elle aurait sans doute fait autre chose si l’on ne l’avait pas, elle aussi, confinée dans un jeu dépassé – elle fait même parfois un peu soubrette.



Marc Minkowski, enfin, fait oublier le ratage de son Idoménée aixois (lire ici). Après une Ouverture où l’orchestre semble paresseux, la direction s’épanouit dès le Chœur d’entrée, toute de légèreté, de fluidité, ne tirant jamais la partition vers le grand opéra. Aidé par des musiciens sachant jouer sur les timbres, le chef trouve des couleurs, se souvient opportunément de tout ce que Gounod doit à Berlioz et à Weber dans le Val d’enfer, mais n’appuie pas, lui non plus, les effets de pittoresque. Il galbe ses phrasés, rappelle que le compositeur était un mélodiste né, sans esquiver, au dernier acte, la sensualité délicieusement sucrée de son mysticisme sulpicien. Bref, il dirige l’œuvre avec amour, voire avec gourmandise, loin de tomber dans le piège où l’entraîne si souvent son sens du théâtre : il garde ici la pleine maîtrise de son orchestre, ne se laisse jamais emporter, en particulier dans des finales parfaitement tenus.


Et maintenant, foin des polémiques : attendons la suite.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com