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Fruits exotiques

La Grave
Eglise Notre-Dame de l’Assomption
07/31/2009 -  
Claude Debussy : Préludes (Premier et Second Livres)

Jean-Efflam Bavouzet (piano)


(© Pascal Tournaire)



En 2008, le centenaire du compositeur ne pouvait que conférer un relief particulier au festival «Messiaen au Pays de la Meije» (voir ici, ici, ici, ici et ici). Mais la douzième édition, du 25 juillet au 2 août, démontre qu’il y a une vie après ces fastueuses célébrations: avant Pierre Boulez en 2010, la liste des participants au millésime 2009 demeure tout aussi séduisante (Florent Boffard, Amel Brahim-Djelloul, David Greilsammer, Hae-Sun Kang, Alain Meunier, le Quintette Moraguès, ...) et l’esprit de curiosité reste intact, depuis la musique traditionnelle indienne jusqu’à trois créations (Patrick Burgan, Bruno Mantovani et Susumu Yoshida) en passant par l’orientalisme d’Aubert, Cage, Delage, Holliger, Jolivet, Ravel et Szymanowski. Car cette année, bien que l’affiche prenne l’apparence d’un clin d’œil aux entrées de métro Art nouveau de Guimard, le fil conducteur des treize concerts, complétés par deux randonnées et quatre conférences, est «La tentation de l’exotisme».


Dans le prolongement des thématiques de 1999 («Messiaen et la musique de l’Inde») et 2001 («Messiaen et le Japon»), l’intention est de faire apparaître les liens entre «modernité et exploration des musiques exotiques»: une voie ouverte par Debussy, dont Messiaen fut un admirateur aussi fervent que précoce – à dix ans, il se fit offrir la partition de Pelléas et Mélisande, ainsi que le rappelle le fondateur et directeur artistique, Gaëtan Puaud. C’est précisément sur cet opéra (mis en espace et dans une réduction pour piano et chant) que se conclura la programmation, qui, au-delà du seul Debussy, n’oublie pas l’Asie (Earl Kim, Minoru Miki, Yoshihisa Taïra, Toru Takemitsu), particulièrement le Japon – d’où Messiaen revint, fasciné, avec ses Sept Haïkaï – et ouvre, avec Outre-Mémoire de Thierry Pécou, une réflexion plus critique sur le fait colonial.


Hormis deux après-midi à l’église du Chazelet et le second dimanche à Briançon (église des Cordeliers), c’est, comme de coutume, le village de La Grave (1450 mètres) – au pied de ce massif de La Meije (culminant à 3983 mètres) cher au cœur de Messiaen – qui accueille l’essentiel des manifestations, tel ce récital de Jean-Efflam Bavouzet: l’homme de la situation, assurément, puisqu’il vient d’achever une intégrale Debussy pour Chandos (*), dont le premier volume, voici près de trois ans, était consacré aux deux livres de Préludes (1910/1912). Même si ce n’est pas la musique la plus explicitement «exotique» qui soit, hormis «La Terrasse des audiences du clair de lune», programmer ces deux fois douze pièces n’en renvoie pas moins à Messiaen, dont l’une des premières grandes œuvres fut précisément un recueil de (neuf) Préludes pour piano. Ce choix constitue par ailleurs un défi à la fois technique et physique pour l’interprète, mais à la surprise des organisateurs eux-mêmes, le pianiste français ajoute une difficulté supplémentaire, présentant par groupes de six préludes ce qu’il appelle trop modestement ses «réflexions personnelles». Décidément, quatre jours après que Bertrand Chamayou a joué les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus, la magnifique acoustique de l’abside de la petite église Notre-Dame de l’Assomption (XIVe-XIXe) semble inciter aux exploits, avec cette fois-ci un one-man-show de près de deux heures un quart, entracte non compris.



Jean-Efflam Bavouzet (© J. Henry Fair)



Devant un public captivé par son inlassable énergie, Bavouzet, tantôt debout, tantôt assis à son clavier pour donner des exemples musicaux, adopte un ton vif et spontané, jamais pontifiant, pour délivrer des commentaires pertinents, tant sur l’agencement des deux recueils que sur la signification de ces fameux titres précédés de points de suspension et placés non pas en exergue, mais à la fin de chaque pièce. Il insiste également sur la nécessité, conformément aux indications portées sur la partition, de ne pas prendre cette musique «avec des pincettes, le petit doigt relevé», et identifie même de peu orthodoxes connivences avec Brahms, Wagner ainsi qu’un air de music-hall des années 1920 (... postérieur à la composition des Préludes), Billet doux, dont il chante le début en s’accompagnant. Volontiers facétieux, il épingle les erreurs de notation rythmique de Debussy, qui «servait d’ipod à Mme von Meck», la protectrice de Tchaïkovski, et décrit «Brouillards» comme une page de couleur grise, puisque mêlant touches blanches et touches noires.


Le conférencier improvisé ne fait pas d’ombre au pianiste: avant même qu’il ait pris la parole, alors que tout laisse encore croire que la soirée obéira à un déroulement traditionnel, «Danseuses de Delphes» rassure d’emblée – du piano de grande classe, clairement articulé mais sans sécheresse, attentif au timbre autant qu’à la mise en valeur des différents plans sonores. Et s’il a la partition posée devant lui, elle exerce d’autant moins une contrainte sur lui que ses yeux en sont le plus souvent détachés. Un peu de flou, au besoin, comme dans «Voiles», un prélude dont le titre, au demeurant, est (délibérément?) ambigu, mais pas de «pincettes», donc, pour aborder ces Préludes: de la couleur, surtout, qui fait parfois penser aux Tableaux d’une exposition, avec un «Baba Yaga» («Le Vent dans la plaine») et une «Grande porte de Kiev» («La Cathédrale engloutie»). Si ce Debussy est inhabituellement violent et extérieur («Ce qu’a vu le vent d’ouest»), l’humour et le second degré sont aussi de la partie («Minstrels», «"General Lavine" -eccentric-», «Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.P.C», les deux premiers presque satistes), certaines scènes bénéficiant d’une vivante évocation («La Sérénade interrompue», «La Puerta del Vino»). La simplicité et le dépouillement l’emportent sur d’inutiles alanguissements («La Fille aux cheveux de lin», «Bruyères», «Canope»): d’ailleurs, le tempo est souvent allant («"Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir"»), au bénéfice d’une belle fluidité («Ondine»), tandis que les préludes rapides flirtent avec la toccata («Les Collines d’Anacapri», «La Danse de Puck») et même, sans que cela doive être considéré comme un contresens, avec une transcendance lisztienne («Les Tierces alternées», «Feux d’artifice»).


Bref, un moment privilégié dans le cadre intimiste de la petite église Notre-Dame de l’Assomption (XIVe-XIXe), dont l’abside offre en outre une qualité acoustique rare pour un édifice religieux. Voilà un festival qui a su conserver une dimension humaine, à l’image du covoiturage expérimenté pour les spectacles qui se tiendront à Briançon et de cette délicieuse coutume consistant à se retrouver autour d’une tisane après le spectacle à l’école primaire du village: parmi les parfums proposés, «fruits exotiques», bien sûr.


(*) Qui sera complétée par un cinquième volume, en cours de réalisation, consacré à des arrangements pour piano de trois ballets.


Le site du festival Messiaen au Pays de la Meije
Le site de Jean-Efflam Bavouzet



Simon Corley

 

 

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