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Sir Simon au Walhalla

Aix-en-Provence
Grand Théâtre de Provence
07/03/2009 -  et 6, 9, 12* juillet
Richard Wagner : Le Crépuscule des dieux
Ben Heppner (Siegfried), Gerd Grochowski (Gunther), Mikhail Petrenko (Hagen), Dale Duesing (Alberich), Katarina Dalayman (Brünnhilde), Emma Vetter (Gutrune), Anne Sofie von Otter (Waltraute), Maria Radner (Première Norne), Lili Paasikivi (Deuxième Norne), Miranda Keys (Troisième Norne), Anna Siminska (Woglinde), Eva Vogel (Wellgunde), Maria Radner (Flosshilde), Cheikh Sall (Figurant)
Chœur de la Radio de Berlin, Orchestre Philharmonique de Berlin, Sir Simon Rattle (direction)
Stéphane Braunschweig (mise en scène)


Ce Crépuscule des dieux, troisième et dernière « journée » de la Tétralogie aixoise et salzbourgeoise voulue par Stéphane Lissner, le précédent directeur du festival, consacre d’abord le triomphe de sir Simon Rattle et de la Philharmonie de Berlin - comme les autres volets, il sera donné au prochain festival de Pâques de Salzbourg. On a rarement entendu orchestre aussi somptueux accompagner Siegfried et Brünnhilde sur le chemin de la trahison et de la rédemption. Sir Simon rejoint ici son prédécesseur Herbert von Karajan qui, avait, au festival de Pâques de Salzbourg créé à cet effet, imposé de 1967 à 1970 à la musique du Ring une cure d’amincissement, pour lui donner une ligne quasi chambriste, grâce à une pâte sonore considérablement allégée. Cette fluidité, cette mobilité se retrouvent dans la direction du chef anglais : familier des impressionnistes français, il dirige Wagner comme il dirige Debussy ou Ravel, Messiaen ou Dutilleux, particulièrement attentif aux timbres à l’instar d’un certain Pierre Boulez, qu’il a sans doute écouté. Sans rien perdre de son opulence, la sonorité est d’une extrême plasticité, parfois d’un hédonisme sensuel, même dans les tutti les plus fracassants. Si sa démarche rejoint celle de Karajan, il va plus loin encore, la conduisant jusqu’à ses plus extrêmes conséquences, notamment dans la mise en valeur de la polyphonie, alors que ce dernier assumait malgré tout l’héritage d’une certaine tradition allemande de chef de théâtre. Venu d’un autre univers, Rattle peut sembler moins dramatique, moins narratif, moins épique surtout, plus symphoniste, faisant surgir le théâtre de la musique elle-même. De quoi rallier à Wagner ceux qui l’associent un peu trop vite à une germanité pesante, impérialiste, voire suspecte.


Cette impression doit aussi beaucoup à la mise en scène de Stéphane Braunschweig, qui illustre humblement ce que la partition nous donne à entendre, proposant une simple lecture là où le mythe appelle une vision. Nous ne saurons jamais quelle idée il se fait de ce Crépuscule, qu’il banalise à force de vouloir le cantonner dans l’humanité du fait divers. Hagen n’est plus le mal absolu, mais un frustré ranci dans ses rancoeurs ; Siegfried n’est qu’un mâle stupide prêt à coucher avec la première femme venue, égaré dans un monde qui n’est pas le sien – le metteur en scène ne cherche d’ailleurs pas à faire de Ben Heppner un comédien ; Gunther navigue dans la jet set, en compagnie de golfeurs, de chasseurs et de joueurs de tennis. Un certain réalisme, une certaine trivialité, voire un certain humour, ne sont pas interdits : le rocher de Brünnhilde se dégrade en chambre à coucher conjugale, les Filles du Rhin se muent en pensionnaires délurées. La belle idée du retour de Wotan à la fin, sa lance brisée entre les mains, contemplant l’écroulement d’un monde qu’il aurait voulu libre, passe quasi inaperçu. Si Patrice Chéreau faisait basculer le mythe dans l’histoire, c’était, pour le coup, afin de donner corps à une vision. On parle d’ailleurs volontiers du « Ring de Chéreau », comme si Pierre Boulez n’existait pas – cela en dit long sur la perversité des rapports unissant aujourd’hui la scène et la fosse. On ne risque pas de parler du « Ring de Braunschweig », mais simplement de celui de Rattle - pour certains cela ne fait que rétablir le juste ordre des choses. Au moins le metteur en scène a-t-il le mérite de n’imiter personne, de ne faire ni du « post » ni du « sous ». Il a aussi celui d’une direction d’acteurs concentrée et approfondie, plus à l’aise dans l’analyse psychologique – la scène où Brünnhilde, au bord de la démence, réclame vengeance à Hagen au deuxième acte, est très réussie - que dans la mise en scène des archétypes – le Prologue des Nornes tombe à plat. Et les lumières de Marion Hewlett sont souvent fort belles, qui animent un décor assez nu – si l’escalier sent le déjà vu, les vagues bleutées qui figurent le Rhin au début du troisième acte, les flammes qui empourprent la scène finale, sont d’un bel effet.


On sait bien que les chanteurs wagnériens, tels qu’on les entendait autrefois, constituent une denrée rare – à supposer qu’il en existe encore, surtout pour se mesurer à Siegfried ou à Brünnhilde. La « réforme » de Karajan n’était-elle pas aussi la conséquence de ce constat ? C’est là que sir Simon peut se montrer trop symphoniste : il fond un peu les voix dans l’orchestre – reproche d’ailleurs adressé, à la fin de sa carrière, au chef autrichien… A défaut d’avoir les moyens de leur rôle, les interprètes ne forcent en tout cas jamais leur nature et privilégient toujours le chant, arrivant sains et saufs au terme de leur course. Ainsi Katarina Dalayman préserve-t-elle de bout en bout l’homogénéité de sa tessiture, Brünnhilde à la fois stylée et investie, qui ne crie pas son deuxième acte et assume fièrement la scène finale – passons sur le si aigu écorché -, d’une humanité noble et émouvante dans son chemin de croix. Ben Heppner, en revanche, s’avère inégal, qui applique à Siegfried la recette de son Tristan : préférer la beauté du phrasé à l’expression brute, mettre la modestie des ressources au service d’une composition. A ceci près que la voix, ici ou là, reste décidément trop légère, surtout dans le médium, et se perd dans l’orchestre. Mais le troisième acte, qui relève moins d’un Heldentenor, de la scène du Rhin - passons, cette fois, sur le contre-ut raté ou esquivé - à la mort de Siegfried, où le benêt épouse enfin son destin, lui convient beaucoup mieux. Le rapport entre Gunther et Hagen, se trouve pour une fois inversé : c’est le premier qui, vocalement, l’emporte, Gerd Grochowski s’imposant aussitôt par le mordant du timbre et la conduite parfaite de la voix. Mikhail Petrenko, lui, compense par le style et l’intelligence du texte le manque de noirceur et de profondeur de sa belle voix : il ne peut ainsi, on l’a dit, incarner un monstre des ténèbres, ressemblant plutôt à un aigri de la société de consommation. Dale Duesing et Anne Sofie von Otter, de leur côté, font – assez bien - ce qu’ils peuvent avec ce qu’il leur reste de voix. Elle n’en a d’ailleurs jamais eu à revendre – et certainement pas celle de Waltraute, où il faut une wagnérienne – même à la voix défaite comme jadis Martha Mödl, inoubliable. Cela dit, elle relève presque le défi, par son sens de la tragédie et son art de couler les mots dans le chant pour donner vie à son « récit ». Emma Vetter parvient à imposer une présence en Gutrune, rôle ingrat s’il en est, ni allumeuse ni greluche, les Nornes tiennent leur rang et les Filles du Rhin sont délicieusement piquantes – elles chantent parfaitement juste, ce qui ne va pas de soi dans certains passages aux chromatismes redoutables.


Oui, c’est bien « le Ring de Rattle ».



Didier van Moere

 

 

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