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Un Ulisse resplendissant

Madrid
Teatro Real
04/17/2009 -  & 19, 21, 22, 24*, 25, 27, 29, 30 avril 2009
Claudio Monteverdi: Il ritorno d’Ulisse in patria

Kobie van Rensburg (Ulysse), Christine Rice (Pénélope), Cyril Auvity (Télémaque), Claire Debono (Minerve, L’Amour), Marina Rodríguez-Cusí (Euryclée), Joseph Cornwell (Eumée), Umberto Chiummo (Antinous), Juan Sancho (Anphinome), Xavier Sabata (Pisandre), Ed Lyon (Eurymaque, Jupiter), Hanna Bayodi-Hirt (Melante/la fortune), Robert Burt (Irus), Luigi De Donato (Neptune/le temps), Sonya Yontcheva (Junon), Terry Grey (la fragilité humaine)
Les Arts Florissants, William Christie (direction musicale)
Pier Luigi Pizzi (mise en scène, décors et costumes), Sergio Rossi (lumières), Robert Maria Pizzuto (chorégraphie)


K. van Rensburg (© Javier del Real)


La beauté monteverdienne a battu son plein au Teatro Real de Madrid avec une production de Il ritorno d'Ulisse in patria signée William Christie et Pier Luigi Pizzi. Il faut savoir que Il ritorno n'avait jamais été représenté à Madrid, même si l'on avait pu voir il y a longtemps le film de Ponnelle et Harnoncourt sur quelques rares écrans. Finalement, l'œuvre est créée chez nous dans une production inspirée, rigoureuse, et d’une beauté inattendue. Ceci est le deuxième opéra de Monteverdi parmi les trois programmés par Antonio Moral, directeur artistique du Teatro Real, avec la même équipe artistique. En 2008 ce fut un Orfeo très convaincant et en 2010 c'est Poppea qui sera à l'affiche, œuvre déjà donnée à Madrid. Pour l'heure, voici un Ulisse qui restera dans les mémoires des amateurs d'art lyrique.



L’orchestre vénitien (ou bolognais) de cet opéra (composé pendant la Guerre de Trente Ans) est plus réduit que celui de l’Orfeo de la fière et brillante Mantoue de 1607. Dans cette production, l’ensemble des Arts Florissants ne compte que dix-huit musiciens, y compris Christie lui-même, au clavecin et au régal: cordes frottées et cordés pincées, cornetti, flûte, claviers, un petit ensemble résolument "historique", dans un théâtre toutefois un peu trop grand. De plus, l’ensemble joue rarement en tutti, et ce sont les familles d'instruments qui assurent l'accompagnement des solistes dans les magnifiques récitatifs et "airs" (pas encore des "arias", c’est trop tôt) d'une beauté saisissante dont Ulisse regorge.



Comme l’année précédente, Christie et Pizzi n’ont pas souhaité jouer dans la fosse, mais en continuité et en contiguïté avec le public, les musiciens et les chanteurs-comédiens. Un petit escalier permet aux comédiens et aux chanteurs d'accéder à leur espace situé entre les musiciens et les spectateurs. Un peu d’"illusion" historique pour une mise en scène qui ne perd jamais le sens du passé de cette partition découverte au XXe siècle. On connaît bien le sens aigu de l'histoire des Arts Florissants et de William Christie, surtout dans le Baroque tardif et le Grand Siècle français. On connaît aussi ses diverses incursions dans Monteverdi ainsi que le DVD de son Ulisse aixois de 2002 mis en scène par Adrian Noble. Cette production du Teatro Real, bien que différente, n'est pourtant pas très éloignée de la production d'Aix en Provence tant il est vrai que Ulisse a besoin d’être revisité de temps en temps (il ne nous reste, comme dans toutes les partitions de l’époque, que la ligne de chant et la basse), ce qui fut le cas ici grâce au travail de Jonathan Cable. La musique de Monteverdi exige ce travail de recherche et d'expérimentation. Magnifique occasion pour William Christie de célébrer les trente ans de la magnifique carrière des Arts Florissants.



Ulisse demande un équilibre entre le drame et l'humour, mais aussi entre le récit, le conflit et l’allégorie baroque que Pizzi a su rendre par une direction d’acteurs qui met en valeur la beauté générale - et ici universelle - des lignes de chant, mais aussi grâce à une démarche scénique, à l’éclat de ses décors et à l’ambiguïté séduisante des costumes qui transcendent l'histoire. Ces acteurs ont des voix formidables si on les compare à ce qu’on peut écouter d’ordinaire dans les théâtres d’opéra. Si l’orchestre est formé par un petit group d’instruments originaux, la distribution, elle, est composée de voix spécialisées dans cette période où tout divo ou toute diva serait hors de propos dans une conception comme celle-ci. Les deux moments d’anagnorisis (Pénélope et Télémaque; Pénélope et Ulysse) sont émouvants et traités de façon subtile et nuancée. Le contraste entre les trois mondes de la pièce (l’allégorie et les dieux; l’intrigue d’Ulysse pour récupérer sa famille, son foyer et son pouvoir; la cour insouciante et banale des prétendants, voire l'intrigue secondaire et significative de l’amour de Melante pour Eurymaque) est rendu de façon éclatante et naturelle, dans une logique séquentielle, constituant ainsi un ensemble d’une théâtralité irrésistible et séduisante.



Le niveau musical est très élevé pour tous les rôles. Le ténor sud-africain Kobie van Rensburg campe un Ulysse contenu, parfois exalté, toujours efficace vocalement et dramatiquement. Supérieure en voix, en nuances et en tant qu'actrice, la mezzo Christine Rice (qui excelle aussi dans d’autres répertoires, comme Britten, Verdi et Rossini, mais aussi Haendel) est une Pénélope idéale, introspective, déchirée mais sans excès. Le jeune ténor français Cyril Auvity en Télémaque (rôle qu'il chanta à Aix en 2000 et que l'on retrouve dans le DVD de 2002 dont il est question plus haut), est bouleversant, avec des moments sublimes notamment dans le « Del mio lungo viaggio ». De ce même DVD on retrouve ici Joseph Corwell en Eumée, très bon ténor et formidable acteur, et Robert Burt en Irus, rôle bouffe qu’il interprète à la perfection, même à l’acte III, où sa bouffonnerie est parfois très proche du drame. Christie utilise des falsetistes pour certains rôles de soprano (formidables Xavier Sabata dans le rôle Pisandre et Terry Wey dans celui de la fragilité humaine). La voix typique de basse profonde accompagnée parfois par le régal est celle de Luigi De Donato, splendide, pour les rôles de Neptune et du Temps. On ne peut passer sous silence quatre belles voix féminines d’une grande capacité histrionique : Hanna Bayodi-Hirt (Melante et la fortune, Claire Debono (la double divinité), Sonya Yontcheva (Junon) et Marina Rodríguez-Cusi (Euryclée).



On approche de la fin de ce qui sera sans doute la meilleure saison du nouveau Teatro Real depuis son inauguration en 1997, et on peut dire que Il Ritorno d'Ulisse in patria contribue, avec Katia Kabanová, The Rake's Progress et Tannhäuser, entre autres, à cet éclatant succès.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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