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Le génie de Händel jusqu’au dernier souffle

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/02/2009 -  
Georg Friedrich Händel : Jephté, HWV 70
Paul Agnew (Jephté), Lisa Larsson (Iphis), Guillemette Laurens (Storgé), Alan Ewing (Zebul), Louise Innes (Hamor), Daphné Touchais (L’Ange)
Choeur et orchestre Opera Fuoco, Jay Bernfeld (viole de gambe et co-direction artistique), David Stern (direction)


Né en 1685, Georg Friedrich Händel est mort il y a 250 ans. 2009, même si le Théâtre des Champs-Elysées n’a pas attendu cette occasion pour célébrer l’œuvre de ce monstre sacré de la musique baroque. Après avoir notamment entendu La Résurrection et Le Messie, et en attendant une nouvelle version du Messie ainsi que l’oratorio Athalie, le concert de ce soir était consacré à Jephté, drame en trois actes HWV 70, dont les Alsaciens ont récemment pu découvrir une version scénique (voir ici).


A bien des égards, Jephté est une œuvre dramatique. Dramatique dans son histoire tout d’abord. Tirée du Livre des Juges, elle narre comment Jephté prononça imprudemment un vœu selon lequel, s’il était victorieux des Ammonites, il rendrait grâce à Dieu en immolant le premier être vivant qu’il verrait à son retour de la bataille. Or, malheureusement, le cortège qui accueillit le héros était conduit par Iphis, sa fille unique. Contraint de la sacrifier, son geste est arrêté in extremis par un Ange qui délivre Jephté de sa promesse. En échange, Iphis accepte de faire vœu de chasteté et de consacrer sa vie à Dieu. Outre l’intrigue proprement dite, le drame réside donc essentiellement dans le tiraillement que ressent Jephté entre la promesse faite à Dieu (et sa réelle volonté de s’y tenir) et le désarroi consistant à sacrifier son enfant. Dramatique dans le contexte de sa composition ensuite. Händel, qui souffre depuis longtemps de sérieux problèmes de vue, était rentré à Londres en septembre 1751 pour se faire opérer des yeux, première des trois tentatives qui, hélas, échoueront toutes. L’âge avancé et les débuts de la cécité plongent Händel dans un contexte douloureux qui le conduisent à s’interroger sur les bienfaits de Dieu, sur l’Au-Delà et, finalement, sur le devoir pour tout être humain d’accepter la fatalité, magnifiquement symbolisée par le célèbre vers chanté par le chœur à la fin de l’acte II : « Yet on this maxim still obey : whatever is, is right » (« Mais à cette maxime nous devons souscrire : tout ce qui est, est juste »). Achevée en août 1751, cette composition fut finalement créée en février 1752 lors de la troisième soirée de la nouvelle saison du théâtre de Covent Garden.


Comme le signale très justement Jean-François Lattarico dans la notice du programme, une question se pose immédiatement concernant Jephté : s’agit-il d’un opéra ou d’un oratorio ? La division en trois actes semble faire pencher la balance dans le premier sens, la référence aux textes bibliques et la morale qui en ressort renforçant, en revanche, davantage la seconde hypothèse. Force est de constater que le qualificatif d’oratorio nous semble plus approprié au regard des précédentes compositions de Händel. L’importance accordée au chœur (même s’il est moins présent que dans Israël en Egypte ou dans Saül) en est un premier indice : les chanteurs de l’ensemble Opera Fuoco brillent par leur compréhension du texte et par leur capacité à instaurer une atmosphère particulière à tel ou tel passage. Il est vrai que le grand compositeur a, encore une fois, déployé tous ses talents pour mettre en valeur les ensembles vocaux : ainsi, on remarquera que le chœur inaugurant le deuxième acte, narrant les combats ayant vu la victoire de Jephté contre les Ammonites, ne comporte aucun caractère brillant (d’ailleurs, pas de trompettes ni de timbales dans l’instrumentarium !) mais, au contraire, est tout en douceur et retenue, annonçant en fait à l’auditeur la funeste rencontre qui va bientôt intervenir entre Jephté et sa fille. De même, on ne peut passer sous silence le splendide chœur concluant ce deuxième acte, qui, jouant sur les silences et les saccades, fait davantage figure de résignation que de proclamation d’un précepte valant pour tout homme ici-bas.


Si les treize chanteurs s’avèrent convaincants, on sera plus critique à l’égard des instrumentistes d’Opera Fuoco. Contrairement à de nombreux ouvrages similaires, Händel ne recourt pas ici à un orchestre très diversifié : en sus des cordes et d’une habituelle basse continue, quelques flûtes, deux hautbois, un basson, mais des trompettes qui n’interviennent qu’à deux reprises et un bref passage confié aux cors (magnifiquement tenus par Joël Lahens et Philippe Genestier). On est loin de la luxuriance instrumentale entendue dans Judas Maccabeus ou, de nouveau, dans Israël en Egypte. Händel pallie néanmoins cette moindre recherche par un usage diversifié des cordes, qu’il s’agisse du mélange de l’ostinato, des gammes chromatiques ascendantes et descendantes et des nuances variées qui accompagnent l’air dramatique de Storgé à la fin de la scène 5 de l’acte I (« Scenes of horror, scenes of woe, rising from the shades below », « Scènes d’horreur, scènes de douleur, s’élevant des ombres souterraines ») ou des pizzicati répondant à l’air d’Iphis, à la fin de la scène 1 de l’acte II. Au-delà donc d’une partition peut-être moins riche que d’autres, on reste surtout gêné par les problèmes récurrents de justesse des cordes tout au long de l’œuvre qui, notamment dans les passages mettant en lumière le violon solo de Katharina Wolff (dans l’air de Storgé à la fin de la scène 2 de l’acte I), sont tout à fait regrettables.


Globalement, les chanteurs, accompagnés avec soin et attention par David Stern, s’avèrent du meilleur niveau. Si Daphné Touchais tient agréablement le rôle de l’Ange, ouvrant d’une voix pure et diaphane la conclusion heureuse de l’oratorio, Alan Ewing déçoit franchement en raison d’un timbre caverneux qui rend sa diction, le plus souvent, difficilement compréhensible. Le personnage d’Hamor, prétendant d’Iphis, est secondaire dans Jephté : l’interprétation de Louise Innes n’en est que plus remarquable notamment dans un superbe duo avec Iphis (« These labours past, how happy we ! », « Ces épreuves passées, que nous serons heureux ! ») concluant la troisième scène de l’acte I, et dans l’air « On me let blind mistaken zeal » (à l’acte II) où, apprenant le tragique sort qui attend sa dulcinée, il s’offre en sacrifice en lieu et place de cette dernière. Lisa Larsson chante le rôle d’Iphis avec conviction, même si sa voix révèle parfois quelques fragilités techniques que l’on a rapidement oubliées après l’avoir entendue déclamer au dernier acte son magnifique « Farewell, ye limpid springs and floods » (« Adieu, sources et eaux limpides »), acceptation de la mort de façon douloureuse puis, au fil du chant, apaisée et sereine. Guillemette Laurens est superbe dans le rôle de Storgé, mère d’Iphis, épouse du héros, sa voix appelant tour à tour la tristesse, la colère et la délivrance. Et puis, il y a Paul Agnew… Comment parler de son interprétation sans verser dans la grandiloquence et les superlatifs ? Admirable dans ses récitatifs (quelle résolution dans son « Tis said< » à la scène 4 de l’acte I, lorsqu’il vient de proclamer son vœu en cas de victoire militaire !), il fut surtout un chanteur au-dessus de tout éloge à chacune de ses interventions. On ne retiendra que son bouleversant « Open this marble jaws, O tomb, and hide me, earh, in thy dark womb ! » (« Ouvre tes mâchoires de marbre, O tombe, et cache-moi, terre, en ton sein noir ! ») à l’acte II : incontestable sommet de cet oratorio qui, dernière œuvre de Händel, fait véritablement figure de testament de la part d’un compositeur dont on n’a certainement pas fini de découvrir le génie.



Sébastien Gauthier

 

 

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