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Tel qu’en lui-même, le Berlioz de Sir Colin

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
02/05/2009 -  et 7 février 2009
Hector Berlioz : Béatrice et Bénédict
Joyce DiDonato (Béatrice), Nathalie Manfrino (Héro), Elodie Méchain (Ursule), Jean-François Lapointe (Claudio), Jean-Philippe Lafont (Somarone), Nicolas Cavallier (Don Pedro), Christophe Fel (Un tabellion, Un messager, Deuxième serviteur), Bruno Sermone (Leonato), Vincent Deniard (Premier serviteur)
Chœur de Radio France, Orchestre national de France, Sir Colin Davis (direction)


C. Davis (© Radio France/Christophe Abramowitz)


En 1963, Colin Davis – pas encore anobli – avait gravé une version de référence de Béatrice et Bénédict. Il récidiva par deux fois – avec moins de bonheur –, montrant tout son attachement pour cet ultime chef-d’œuvre de Berlioz, ce dont a encore témoigné son concert avec l’Orchestre national. Celui-ci, pris en main par un chef familier des moindres recoins de la partition, a donné l’un des plus beaux concerts de la saison, retrouvant une homogénéité, dans la mise en place comme dans les timbres, qu’on ne lui connaît pas toujours. Quant au Berlioz de Sir Colin, il porte toujours beau avec cette élégance, cette fluidité, cette finesse, ce souci du détail, qui conviennent particulièrement à un opéra-comique qu’il ne faudrait pas diriger comme Les Troyens. On ne demandera évidemment pas au chef de chercher la verdeur des sonorités de l’époque : peu porté en général sur « l’authenticité », il préfère jouer sur les couleurs françaises de l’orchestre. Cela dit, il lui manque toujours ce grain de folie qu’on attend chez Berlioz, jusque dans Béatrice et Bénédict – et ce dès l’Ouverture. Si les accents sont francs, les contrastes ne sont jamais abrupts, la direction garde toujours son quant-à-soi british dans une œuvre que Berlioz a malgré tout adaptée du Beaucoup de bruit pour rien shakespearien – Roméo et Juliette avait, il y a deux ans, laissé la même impression. Mais Sir Colin n’a pas son pareil pour suggérer les frémissements enchantés de la nuit : le duo final du premier acte s’achève dans une pénombre sonore littéralement magique.


Les voix sont bien choisies et, surtout, bien appariées. Dans le duo nocturne et le trio du second acte, les trois timbres féminins arrivent à se fondre – avec une très belle Ursule d’Elodie Méchain, qui assure par sa présence l’équilibre des deux ensembles. On attendait beaucoup de la Béatrice de Joyce DiDonato : elle n’a pas déçu. Elle a d’abord le mezzo clair et homogène qu’il faut, aussi à l’aise dans l’aigu que dans le grave ; elle a ensuite un art de phraser qui répond parfaitement aux canons du style français, sans parler d’un tempérament de feu – ne lui doit-on pas un récent disque d’arie di furore haendéliennes ? – qui est bien aussi celui de l’héroïne. Si bien que le grand air du second acte devient anthologique. Nathalie Manfrino, dont le vibrato semble stabilisé et les stridences émoussées, trouve en Héro un emploi adapté à une voix que des rôles trop lourds mettent parfois en danger, assumant plutôt bien la virtuosité de l’air du premier acte même si l’on pourrait souhaiter une vocalisation plus déliée. Charles Workman, malheureusement, ne se situe pas à la même hauteur. Le chanteur américain a beau entretenir une intimité avec l’opéra français, il apparaît dans un piteux état vocal, handicapé par une émission aussi raide que possible, incapable d’assurer ses aigus et de phraser vraiment : on imagine ce que donnent le duo et l’air de Bénédict, destinés à l’agilité d’un ténor d’opéra-comique. On a infiniment plus de plaisir à entendre le Claudio de Jean-François Lapointe et le Don Pedro de Nicolas Cavallier – deux rôles qu’on a trop tendance à sous-estimer, ce qui déséquilibre parfois les distributions. Jean-Philippe Lafont, lui, succède dignement à Gabriel Bacquier dans un impayable Somarone : vocalement usé, défait même, il s’impose par ses dons de comédien dans l’Improvisation et le Chœur à boire, truculent mais jamais grossier. Le chœur, enfin, sans lequel Béatrice et Bénédict peut sombrer, fait également honneur à Berlioz, grâce au beau travail de Matthias Brauer : le Chœur lointain du second acte, accompagné par la guitare, est chanté dans un superbe pianissimo.


La mise en espace s’avère moins heureuse. La plupart des chanteurs évoluent à l’avant-scène leur texte à la main, comme lors d’une première répétition, sans parler de l’exotisme de l’accent chez les deux héros. Quant à l’adaptation du livret, on aurait pu en dispenser Jean-Louis Martinoty, qui ne manque pas d’occasions d’exercer son talent. D’abord parce que le genre est ce qu’il est, lié à une époque, ensuite et surtout parce que Berlioz a lui-même écrit le livret de son opéra-comique. Tripoter la prose de celui que Roland Barthes allait jusqu’à qualifier de plus grand écrivain romantique français est aussi incongru que malhonnête.



Didier van Moere

 

 

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