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Titanesque

Paris
Salle Pleyel
01/25/2009 -  
Ludwig van Beethoven : Sonates pour piano n° 17 «La Tempête», opus 31 n° 2, et n° 23 «Appassionata», opus 57
Pierre Boulez : Deuxième Sonate

Maurizio Pollini (piano)


Maurizio Pollini (© Fred Toulet/Salle Pleyel)



Deux jours après Nelson Freire (voir ici), Paris accueillait un autre géant du clavier, Maurizio Pollini, qui inaugure salle Pleyel un cycle de neuf concerts baptisé Pollini Perspectives. Le concept, structuré autour du (et par le) pianiste italien et inauguré lors d’un Progetto Pollini au Festival de Salzbourg en 1995, est simple : il repose sur la juxtaposition d’œuvres «de musique ancienne et de la modernité du XXe siècle» afin de «donner au public une vision plus large du répertoire musical». Les associations retenues dans le cycle parisien, qui s’étalera de janvier 2009 à juin 2010, ne retiennent toutefois que des noms reconnus et incontestables : Brahms/Stockhausen, Chopin/Nono, Beethoven/Schoenberg/Berio, Brahms/Lachenmann…


Accueilli triomphalement par un public venu en masse, le premier concert du cycle offre une structure limpide pour un résultat d’une évidence confondante : Beethoven/Boulez. Maurizio Pollini attaque la Dix-septième sonate «La Tempête» (1802) dans un tempo allant. Sans emphase, le Largo donne l’exacte mesure des choses : la force sans l’hystérie, établissant l’Allegro sur des bases solides et saines, travaillant le contraste entre la résonnance des notes et la furia des accords. Dessinant un Adagio rempli de calme et de simplicité, le pianiste fait de l’Allegretto le cadre d’un déchaînement sonore de la passion, qui ne sacrifie nullement la lisibilité du discours et le respect des valeurs rythmiques.


L’interprétation de la Vingt-troisième sonate «Appassionata» (1806) peut sans peine être qualifiée de titanesque. D’emblée, le geste d’attaque de l’Allegro assai produit un frisson. Ce frisson se propage dans toute l’œuvre à force de crescendos intimidants et d’accords implacables. Maurizio Pollini impressionne par un mélange, assez idéal, entre l’articulation du discours et la puissance de la frappe. La richesse infinie des nuances qui ouvrent l’Andante con moto sert de lanterne à l’exploration de la variété des thèmes d’un mouvement rendu limpide. Ouvert et achevé par des accords aussi éruptifs qu’incontestables, emmené à un train d’enfer par un tempo plus vif que ma non troppo, le dernier mouvement – qu’on voudrait ne jamais entendre s’arrêter – frappe comme l’évidence d’un destin happé par le rythme et la passion : une explosion de puissance et de vie.


La monumentale Deuxième Sonate (1948) de Pierre Boulez prolonge cette impression. De cette œuvre écrite par un compositeur de 23 ans, Maurizio Pollini donne – sans partition – une lecture passionnée et presque juvénile, déployant parfois la fougue d’un jeune révolutionnaire («Extrêmement vif, pulvériser le son», est-il précisé). Respectant à la lettre la consigne de Boulez d’éviter les nuances expressives, l’interprétation dégage néanmoins une grande émotion, jusqu’aux toutes dernières notes, résonnant comme un hypnotisant «soleil des eaux», dont la résonance éclairera jusqu’à la «Cathédrale engloutie» (extraite des Préludes du Premier livre de Debussy) donnée en bis : magie du son à peine gâchée par d’intempestives sonneries de mobile.


Comme le souligne Anne Rousselin dans le livret, richement illustré, présentant l’ensemble des Pollini Perspectives, cette sonate «développe une conception personnelle du dodécaphonisme viennois, qui prolonge les recherches de Webern : il ne s’agit plus d’énoncer sempiternellement la série complète ou ses formes dérivées, mais de construire celle-ci comme un ensemble de motifs caractéristiques, qui peuvent être exploités indépendamment les uns des autres, soumis à un important travail de variation et d’engendrement organique permettant de passer d’un thématisme très visible à un athématisme complet». L’entrelacs de voix – qui se perdent et se retrouvent, s’isolent et se regroupent, se poursuivent avec frénésie ou s’éloignent à l’extrême – est magnifié par l’approche monumentale d’un pianiste dont on n’est pas surpris de relever qu’il est tenu pour l’un des grands interprètes de la Hammerklavier de Beethoven (programmée le 7 décembre prochain). Donnant aux silences leur juste place, aux nuances leur exacte valeur, concentré comme jamais dans les explosions rythmiques, le pianiste italien fait de cette sonate un «classique». De ce point de vue, l’attention exceptionnelle de l’auditoire et l’ovation offerte au compositeur, appelé sur scène à la fin, pourraient s’interpréter comme le signe d’une reconnaissance : celui de l’inscription définitive de cette sonate au panthéon des chefs d’œuvre du vingtième siècle.


Le 13 juin prochain, Maurizio Pollini redonnera, salle Pleyel, un récital en solo, où il interprètera le Premier Livre du Clavier bien tempéré de Bach. Avant cela, le 7 mars, la deuxième étape de ces Pollini Perspectives, qui s’annoncent vraiment d’un niveau exceptionnel, aura mis en relation Karlheinz Stockhausen, Arnold Schoenberg et Johannes Brahms, le maître italien réunissant autour de lui le Quatuor Hagen et le Klangforum de Vienne dirigés par Peter Eötvös.



Gilles d’Heyres

 

 

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