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Sexe, mensonge et soprano

Paris
Opéra Bastille
01/17/2009 -  Et les 20, 22, 25, 28 & 30 janvier
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk, opus 29
Vladimir Vaneev (Boris Timofeevitch Ismailov/Un vieux bagnard), Ludovit Ludha (Zinovy Borisovitch Ismailov), Eva-Maria Westbroek (Katerina Lvovna Ismailova), Michael König (Serguei), Carole Wilson (Aksinya/Une bagnarde), Alexander Kravets (Le Balourd miteux), Lani Poulson (Sonietka), Valentin Jar (Un maître d’école), Alexander Vassiliev (Un pope/Un gardien), Nikita Storojev (Le Chef de la police/Un officier), Shin Jae Kim (Un régisseur), Marc Chapron (Un portier), Hyoung-Min Oh (Premier contremaître), Se-Jin Hwang (Deuxième contremaître), Slawomir Szychowiak (Troisième contremaître), Chae-Wook Lim (Un meunier), Fernando Velasquez (Un cocher), Andrea Nelli (Un policier), Pascal Mesle (Un invité ivre)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris, Hartmut Haenchen (direction musicale)
Martin Kušej (mise en scène)


E.-M. Westbroek (Katerina Lvovna Ismailova)
(© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)



Une nouvelle production ? Oui et non : il s’agit, comme l’indique le programme, d’un spectacle proposé à l’Opéra d’Amsterdam (lire ici), qui a fait l’objet d’une captation DVD avec la même Eva-Maria Westbroek. Rien n’y rappelle la Russie de l’époque : nous serions plutôt dans le quotidien de celle d’aujourd’hui, avec son clinquant, ses parvenus, sa corruption et sa violence. Le sexe s’y étale grossièrement, dans l’horreur sordide du viol et de la bestialité. Martin Kušej, on s’en doute, ne nous épargne rien, plus heureux ici que dans des Mozart perversement détournés, allant même jusqu’à l’insoutenable dans la scène du viol d’Aksinya, dont il met à nu les chairs tristes comme il l’avait fait dans certaines scènes de son Don Giovanni salzbourgeois. L’étreinte de Katerina et de Serguei, traversée d’éclairs stroboscopiques on ne peut plus suggestifs, est d’une impressionnante crudité. Enfermée dans une cage de verre, elle-même placée au milieu d’un cube ressemblant à une autre prison, où s’exacerbent les frustrations et les instincts, Katerina, aux faux airs de Marilyn Monroe de cité, entourée de multiples paires de chaussures qui sont autant de signes d’une richesse dérisoire, est exposée aux regards concupiscents et moqueurs d’une société à la dérive, de l’ivrogne lubrique aux ouvriers en bleu de travail. A la fin, plus de Sibérie : dans les sous-sols inondés d’un bagne d’acier, au milieu de prisonniers hagards et à demi nus, Katia étrangle Sonietka puis se pend avec l’un de ses bas qu’elle a donnés à Serguei. Bref, la mise en scène est forte, provoquant parfois le malaise, parfois aussi un peu facile dans sa virtuosité.


Dans ce monde de sexe et de mensonge, la Katerina d’Eva-Maria Westbroek paraît, loin de la nymphomane ou de la virago qu’on nous sert souvent, une victime toute désignée pour un destin tragique, moins assoiffée de sexe que d’amour, en particulier dans ses monologues, dont le dernier, où elle évoque ce lac plus noir que sa conscience, vous serre le cœur avec une force peu commune, sans parler de ce passage où on la voit tordue de douleur muette. La cantatrice néerlandaise s’identifie totalement à l’humanité aimante et blessée de Katerina. On a surtout rarement, dans le rôle, concilié à ce point la beauté vocale et la force de la composition : tout reste chanté de bout en bout, sans propension au cri ou au Sprechgesang, jusqu’au dénouement où l’on chercherait en vain un signe de fatigue. Assez peu crédible en bête de sexe, Michael König, malgré des aigus poussés, se tire bien d’affaire en Serguei, même si l’on ne peut s’empêcher de lui préférer Christopher Ventris à Amsterdam. Le Zinovy de Ludovit Ludha, l’Ivrogne d’Alexander Kravets, surtout, moins truculent et plus sournois qu’à Genève, montrent plus d’aisance et de souplesse. Inaudible au premier acte, un peu plus présent dans le deuxième en Boris, Vladimir Vaneev attend le dernier pour donner sa mesure en Vieux Bagnard. Les autres rôles sont bien tenus, le chœur en forme, contribuant à faire du spectacle l’un des plus forts de la saison, d’autant plus que la direction de Hartmut Haenchen s’avère en tout point remarquable.


Il prend un parti différent de Mariss Jansons, qui s’inscrivait davantage dans la filiation de l’expressionnisme mahlérien. Comme Semyon Bychkov dans la Symphonie Leningrad la veille (lire ici), le chef allemand, à la tête d’un orchestre tout aussi éblouissant, allège les textures, dégage les lignes et vise avant tout la clarté, dans une sorte d’implacable distanciation, jugeant sans doute superflu toute surenchère – un peu en décalage, ici, avec la mise en scène. Il n’élude pas pour autant la dimension grinçante de la partition, voire son côté bastringue grotesque – autant de raisons, pour Staline, de la faire retirer de l’affiche –, mais sans jamais tomber dans l’orgie sonore. Les fameux glissandos impudiques des trombones ne perdent rien de leur force suggestive et l’on est bien, du début à la fin, au théâtre, un théâtre dont la polyphonie met le tragique à nu.



Didier van Moere

 

 

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