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Lepage rachète le libertin

Madrid
Teatro Real
01/11/2009 -  et 13*, 15, 17, 19, 22, 24, 26, 28
Igor Stravinski: The Rake’s Progress
Toby Spence (Tom Rakewell), María Bayo (Anne Trulove), Johan Reuter (Nick Shadow), Darren Jeffery (Trulove), Daniela Barcellona (Barba la Turque), Julianne Young (Mère Goose), Eduardo Santamaría (Sellem), Josep Ribot (Le Gardien)
Orchestre et Chœurs du Teatro Real, Peter Burian (chef des chœurs), Christopher Hogwood (direction musicale)
Robert Lepage (mise en scène), Carl Fillion (décors), François Barbeau (costumes), Michael Keegan-Dolan (chorégraphie)


(© Javier del Real)


On avait attendu beaucoup de Katia, et Katia nous a comblés (lire ici). On attendait encore plus du Libertin, connu déjà grâce au DVD enregistré à La Monnaie (lire ici). Hélas, ce Libertin nous a un peu déçus, surtout à cause d’une direction d’orchestre peu inspirée, peu rigoureuse, et peu agile. Difficile à avaler. Une production formidable, riche en images pleines de sens ( Lepage), avec des décors de Fillion, sapée par la direction lourde et maladroite d’un chef pourtant reconnu comme un spécialiste du Classicisme, du Baroque et même de compositeurs contemporains comme, justement, Stravinski ! Les derniers disques de Hogwood accompagnant le violoniste tchèque Bohuslav Matousek dans les pièces pour violon et orchestre de Martinu (Hyperion) sont formidables. On se demande ce qui s’est passé ici avec Hogwood, lui qui a maîtrisé la profondeur de partitions stravinskiennes telles que Pulcinella, le Concerto en ré, Dumbarton Oaks, c’est-à-dire le Stravinski le plus « néoclassique » ; et le classicisme de notre compositeur culmine et s’achève justement avec le Libertin (1951), un opéra inspiré par huit gravures de Hogarth sur un livret d’Auden et Kallman, qui rappellent très souvent le théâtre de cette époque-là, notamment celui de Sheridan. Théoriquement, donc, le choix de Hogwood s’imposait pour le Libertin, œuvre de plus en plus prisée par les théâtres d’opéra, mais aussi par le public. Alors… ? Renonçons au « pourquoi », et résumons : une direction fade, opaque, sans vie, et qui tire vers les profondeurs de l’ennui une production pourtant brillante et imaginative qui perce le sens profond du conflit et de l’histoire de Tom Rakewell.



Lepage nous propose une vision radicalement modifiée du Libertin : pas celui du XVIIIe siècle, pas celui de « Barry Lindon » d’Inger Aby, non plus la vision laide de Mussbach (Salzbourg 96), encore moins l’impossible option stylisée de Glyndebourne de 75 (Hockney, Cox). Alors ? Le Québécois, fort d’une imagination puissante a su tout modifier de l’image sans aller contre le sens de la fable, du conte, ou de la morale. L’icône de son Libertin naît de l’imaginaire d’une télévision balbutiante du début des années 1950 et de la splendeur du cinéma de la même décade. Des neuf tableaux, quatre ont besoin d’une multitude qui part du chœur ou « devient » un chœur à un moment donné. C’est là qu’on peut admirer la richesse et la fantaisie des images de Lepage et Fillion : le tournage d’un western résout la scène de la maison close de Mama Goose; la présentation d’un film (tapis roux, fans hébétés, glamour, enthousiasme) décrit les retrouvailles entre Anne et Tom ; quant à la scène de la braderie, on dirait un vernissage mondain, avec un chœur très actif, crâneur, méchant, content de sa Schadenfreude ; et enfin, la catastrophe, le tableau final, la folie, avec les aliénés qui entourent Adonis-Tom comme s’ils entouraient M. de Sade, tandis qu’ un vieux téléviseur préside à l’action dramatique.



Maria Bayo, excellente mozartienne qui a aussi triomphé au Teatro Real dans le rôle de Mélisande, est une Anne adéquate qu’elle gagnerait cependant a encore travailler. Même observation pour Daniela Barcellona, formidable mezzo, qui s’approche assez bien de l’essence même de Barba la Turque. Mais ce sont le deux acteurs-chanteurs masculins qui on obtenu le succès le plus légitime. Le jeune Toby Spence (Tom Rakewell) possède une voix lyrique, claire, avec une douceur et une tristesse qui résument le vrai caractère du protagoniste, entre indolence et excès, en passant par la mélancolie, caractéristique essentielle de sa psychologie. Pour Johan Reuter, baryton très compétent, Nick Shadow – diable à la fois ami et antagoniste - est une prise de rôle. La voix est parfois un peu claire, mais très conforme à l’idée du méchant sympathique et sinistre qu’il campe comme un petit bourgeois plutôt que comme un aristocrate et qui se veut supérieur à son maître-victime. Transfuges de la distribution bruxelloise, les rôles de Trulove (Darren Jeffery) et la formidable Mama Goose de Julianne Young sont également fort bien servis.



Il n’est pas rare d’assister à des productions capricieuses, voire insolentes ou malhonnêtes, sauvées de justesse par le savoir-faire d’un chef d’orchestre et quelques bons chanteurs. Avec cette production du Rake’s Progress c’est tout le contraire.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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