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Lent et sinistre

Paris
Palais Garnier
11/25/2008 -  et 28* novembre, 2, 4, 8, 11, 13, 18, 21 décembre 2008
Ludwig van Beethoven : Fidelio, opus 72

Paul Gay (Don Fernando), Alan Held (Don Pizarro), Jonas Kaufmann*/Michael König (Florestan), Angela Denoke (Leonore), Franz-Josef Selig (Rocco), Julia Kleiter (Marzelline), Ales Briscein (Jaquino), Jason Bridges (Erster Gefangener), Ugo Rabec (Zweiter Gefangener)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Winfried Maczewski (chef des chœurs), Sylvain Cambreling (direction musicale)
Johan Simons (mise en scène), Jan Versweyveld (décors et lumières), Greta Goiris (costumes), Koen Tachelet (dramaturgie), Jan Vandehouwe (dramaturgie musicale), Wannes Gevaert (réalisation vidéo), Martin Mosebach (dialogues)


(© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)



Lorsque, au premier acte de Fidelio, Rocco tente de se justifier auprès de Pizarro pour avoir osé laisser sortir les prisonniers dans la cour, il se raccroche au prétexte de la fête du Roi. Ici, c’est de l’anniversaire du directeur qu’il s’agit: le jour même de ses soixante-cinq ans, et à la veille d’annoncer son arrivée à la tête du Teatro Real de Madrid, Gerard Mortier s’est offert, dans le cadre d’un gala de l’Association pour le rayonnement de l’Opéra national de Paris (AROP), la première d’une nouvelle production de l’unique opéra de Beethoven, associant quelques-uns de ceux qu’il a mis en vedette durant son mandat, comme Angela Denoke dans le rôle-titre et Sylvain Cambreling à la baguette.


Ce n’est en revanche pas le cas de Johan Simons, qui n’a précédemment mis en scène qu’un Simon Boccanegra diversement apprécié (ici et ici). Le ton est donné dès le traditionnel livret de présentation de la distribution, baptisé «Dossier Fidelio», où chaque biographie a été transformée en fiche anthropométrique, avec, pour chacun, photos d’identité judiciaire (mine patibulaire, noir et blanc, de face et de profil) et biographie intitulée «Antécédents judiciaires» (dont sont extraits les renseignements disséminés ci-après).


Comme voici deux ans chez Verdi, le Néerlandais («date de naissance: 1er septembre 1946») s’intéresse avant tout à la dimension politique – et, partant, d’une éternelle actualité – du livret. La réécriture par Martin Mosebach des dialogues parlés contribue à cette orientation: le manichéisme y perd ses droits, avec un ministre plus soucieux de ne pas être éclaboussé que de lutter contre les injustices, et un Pizarro sans état d’âme, mais moins caricaturalement méchant et machiavélique qu’à l’ordinaire, fonctionnaire froid, zélé et méticuleux de la «machine à punir» de l’Etat, exégète implacable des vertus d’une «purification» qui fait frémir.


Jan Versweyveld («profession: scénographe») et Greta Goiris («profession: costumière») dessinent avec sobriété, si l’on excepte les robes à fleurs, l’univers carcéral. Moins trivial et ostentatoire que celui d’un Christoph Marthaler, ce réalisme glacial trouve son inspiration dans le travail du peintre belge Luc Tuymans (né en 1958): une prison high tech, avec poste de contrôle, écrans, ordinateur portable, badges électroniques et clignotants rouges qui remplacent les coups frappés au portail. Dans ce monde de hauts murs immaculés, paradoxalement lisse, d’une netteté bureaucratique, les éclairages, également réglés par Jan Versweyveld, tiennent une place essentielle: créer des ombres, aveugler les victimes, voilà à quoi semble réduite la lumière, d’une crudité clinique et artificielle à l’intérieur, plus chaude lorsqu’elle vient du dehors, intense, envahissant même la salle, lorsqu’elle souligne le moment de la libération de Florestan par son épouse.


Plus de place pour le singspiel dans une telle conception, où le texte est dit posément, laissant le temps aux mots pour agir, quitte à en sembler pesant ou à ralentir le rythme du spectacle. En ce sens, la fosse est à l’unisson. D’abord parce que parmi les trois états successifs de la partition (1805, 1806, 1814), Sylvain Cambreling («lieu de naissance: Amiens») a choisi tout ce qui pouvait contribuer à noircir le propos: sans reprendre la tradition mahlérienne consistant à intercaler l’ouverture Leonore III entre les deux tableaux du second acte, il substitue en revanche à la radieuse ouverture de Fidelio celle, plus tourmentée, publiée sous le nom de Leonore I (en réalité la troisième composée). Et le premier acte s’ouvre, conformément à l’ordre adopté par les deux premières versions, sur l’air de Marcelline, qui intervient donc avant son duo avec Jaquino. Fallait-il remettre en cause le regard de Beethoven sur sa propre œuvre, si «problématique» soit-elle? Ne fut-il pas bien avisé, par exemple, de supprimer un assez médiocre trio entre Marcelline, Jaquino et Rocco, ici rétabli, même s’il constitue une étape dans la progression dramatique (air, duo, trio) vers le sublime quatuor?


C’est également par sa direction que le chef français contribue à l’impression lente et sinistre que produit cette soirée: non seulement le tempo n’est guère allant, mais la battue, sans éviter pour autant les flottements et décalages, n’abandonne que rarement une raideur militaire qui, si elle se justifie peut-être dans la Marche du premier acte, devient difficilement justifiable dans le chœur final. Prosaïque et jouant souvent trop fort, l’orchestre ne se montre pas toujours à son meilleur.


Dommage pour un plateau vocal de premier ordre, où Angela Denoke («cheveux: blonds») se tire tant bien que mal des pièges du rôle de Leonore. Très attendu en Florestan, Jonas Kaufmann («yeux: marron») s’impose par une voix très colorée, superbement barytonante, possédant à la fois le métal de l’héroïsme et le velouté du lyrisme. Alan Held («taille: 1m97») en Pizarro, Franz-Josef Selig («poids: 125 kg»), presque trop noble en Rocco, et Ales Briscein («pays: République tchèque») complètent une belle affiche, tandis que la Marcelline de Julia Kleiter («tessiture: soprano») constitue une très heureuse découverte.



Simon Corley

 

 

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