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Un anniversaire plutôt réussi

Berlin
Deutsche Oper
10/01/1999 -  et 6, et 10 Octobre 1999
Arnold Schönberg : Moïse et Aaron
Rolf Boysen (Moïse), Chris Merritt (Aaron), Abbie Furmanski (Une jeune fille), Marc Clear (Un jeune homme), Alexander Marco-Buhrmester (Un autre homme), Jürgen Kurth (LŽEphraimite), Michael Eder (Un prêtre), Kaja Borris (Une malade), Steven Paul Spears (Un jeune homme nu)
Götz Friedrich (mise en scène), Peter Sykora (décors), Renato Zanella (chorégraphie)
Solistes et choeur du Deutsche Oper Berlin, Orchestre du Deutsche Oper Berlin, Christian Thielemann (direction)

Quarante ans après sa création par Hermann Scherchen dans cette même maison du Deutsche Oper (qui sŽappelait alors lŽopéra municipal et ne connaissait pas encore lŽélégant bâtiment de la Bismarckstraße), le grand opéra de Schönberg fait un retour remarqué sur la scène berlinoise, et attire du beau monde. On sŽamuse à reconnaître dans la salle un certain nombre de personnalités, surtout politiques en ces temps dŽélections régionales. Peut-être viennent-elles y chercher, auprès du thaumaturge Aaron, de nouvelles recettes pour flatter leur électorat ? Ou bien méditer, avec Moïse, sur les duperies de la parole („O Wort, du Wort das mir fehlt !") ?

En tout cas le choix de Götz Friedrich de ne pas représenter le troisième acte (que Schönberg nŽa jamais pu mettre en musique), et donc de terminer sur ce célèbre aveu dŽimpuissance du prophète et lŽincroyable note tenue à lŽunisson des cordes qui lŽaccompagne, nous semble très pertinent. Comme dŽailleurs lŽensemble de sa mise en scène qui joue la carte dŽune émouvante sobriété, un peu à la manière dŽun Wieland Wagner. Cette influence se ressent surtout dans les mouvements des choeurs, très pensés, voire chorégraphiés. Ainsi lŽ„arrêt sur images" à la fin du premier acte, qui montre une partie du peuple juif soudain resserrée les bras en lŽair, telle un buisson géant, quand dŽautres se laissent presque engloutir dans une fine ouverture triangulaire où lŽon entrevoit le désert du Sinai, demeure lŽun des tableaux les plus saisissants qui nous ait été donné à voir ces derniers temps à lŽopéra. Cette thématique de lŽengloutissement réapparaît dŽailleurs au second acte avec lŽautel païen, habilement conçu comme une fosse dessinée en creux sur le chemin où Moïse avait auparavant rencontré Aaron, et qui dévore littéralement – tel certains monstres de LŽEnfer de Dante - tout ce qui se présente à lui. Les décors de Peter Sykora sont dŽune sombre beauté que rehaussent de magnifiques lumières, en particulier pour le Buisson ardent et la scène dŽorgie. Dans cette dernière, on est toutefois un peu surpris par un Veau dŽOr étrangement suspendu, et dont la silhouette sŽapparente un peu trop à celle dŽun tableau dŽaffichage façon Palais Omnisport de Paris-Bercy. Mais le ballet est magnifique, dŽune troublante sensualité (en particulier quand les quatre vierges botticelliennes sŽavancent lentement vers lŽautel, et sŽy laissent immoler comme elles le feraient pour lŽamour), que vient rafraîchir une certaine fantaisie (lors de lŽarrivée des bouchers par exemple, mais surtout dans le quadrille des serviteurs païens, seulement vêtus de fines et souples bandelettes blanches). Par certains côtés cette chorégraphie nous a rappelé celle du Venusberg dans un Tannhaüser vu en 1992, également mis en scène par Friedrich et toujours à l’affiche du Lindenoper.

LŽorchestre domine parfaitement toutes les difficultés dŽexécution de cette musique (dont Schönberg disait dŽailleurs en son temps quŽelle nŽétait ni progressiste ni rétrograde, simplement mal jouée) et bénéficie dŽune direction très claire de Christian Thielemann. Mais à force de ne pas vouloir couvrir les chanteurs, celui-ci nous a semblé dans lŽensemble un peu trop discret. Il se rattrape cependant dans la scène du Veau dŽOr en déployant une pâte sonore plus généreuse, qui traduit remarquablement les sortilèges dŽinstrumentation de cette merveilleuse page. Mais, pour cette partition également assez exigeante vocalement, on saluera avant tout la brillante performance des choeurs qui après quelques légères hésitations rythmiques produisent une impression toujours plus forte, tant dans les passages chantés que parlés ou chuchotés. Les ensembles vocaux, pour lesquels Schönberg aura peut-être écrit une de ses musiques les plus ensorcelantes, sont aussi de très haute tenue (dans la première scène et dans lŽInterlude notamment). Parmi les second rôles, on distingue surtout le prêtre de Michael Eder, à la voix de basse assez remarquable.

Aaron est chanté par un Chris Merrit en grande forme, très à lŽaise dans ce rôle un peu inattendu pour lui, et dont on pourrait presque dire quŽil ne rend pas entièrement justice à son art du chant, tant lŽarioso lyrique qui caractérise ce personnage, sŽil reste très vocal et favorise les larges ténors de son espèce, peut paraître parfois un peu conventionnel au vu du reste de la partition, et manque en tout cas certainement de variété. Le rôle de Moïse est lui curieusement confié à Rolf Boysen, comédien non-chanteur à la voix haut perchée (pourtant en un sens habitué aux rôles de basse : il fut récemment un remarquable Roi Philippe dans une production du Don Carlos de Schiller). LŽacteur est magnifique à voir, totalement investi, et lŽon peut dŽailleurs penser quŽaucun chanteur dŽopéra nŽaurait su exprimer avec une telle émotion la soudaine lourdeur des tables de la loi lors de la dernière scène. Musicalement, ce choix paraît cependant assez vite contestable, et pas uniquement pour des questions de tessiture : la déclamation théâtrale du comédien ne respecte en effet absolument pas la déclamation musicale voulue et écrite par Schönberg (notamment sur le plan de lŽintonation). En particulier, le passage où Moïse chante vraiment, dans la deuxième scène de lŽActe I, est tout simplement supprimé. On veut bien croire à la musicalité intrinsèque de cette déclamation, mais il faut reconnaître que dans lŽensemble celle-ci sŽaccorde fort mal avec le chant de ses partenaires. Bon public, on peut chercher à justifier cet étrange choix en se disant quŽil rend au moins justice au livret : sŽexprimant sur un médium différent, Moise nŽapparaît-il pas effectivement beaucoup plus isolé ? Et le haut message spirituel dont il est porteur nŽest-il pas intransmissible par nature au peuple et à Aaron, puisque ceux-ci ne peuvent vivre que dans les séductions de la musique ? Mais de tels arguments semblent tout compte fait assez spécieux, peu ressentis, trop intellectuels pour une oeuvre dont le seul défaut est peut-être de lŽêtre déjà suffisamment.




Thomas Simon

 

 

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