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Le Bolchoï jette sa gourme

Paris
Palais Garnier
09/06/2008 -  et 7, 8, 9, 10, 11 septembre 2008
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24
Makvala Kasrashvili*/Irina Rubtsova (Madame Larina), Tatiana Monogarova*/Ekaterina Shcherbachenko (Tatiana), Margarita Mamsirova*/Svetlana Shilova (Olga), Emma Sarkisyan*/Irina Udalova (La nourrice), Andrey Dunaev*/Roman Shulakov (Lenski), Mariusz Kwiecien*/Vasily Ladyuk /Vladislav Sulimsky (Eugène Onéguine), Anatolij Kotscherga*/Mikhail Kazakov/Alexander Naumenko (Le Prince Grémine), Valery Gilmanov (Zaretski)
Chœur et Orchestre du Théâtre Bolchoï de Moscou, Alexander Vedernikov (direction)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène et décors)


Dès les premières mesures, le ton est donné, avec ces cordes mélancoliques, très slaves, ce tempo mesuré : Alexander Vedernikov ne mettra pas d’électricité dans le chef-d’œuvre de Tchaïkovski, il y privilégiera l’intimisme, le plongera dans une lumière crépusculaire à la Tchekhov plus qu’il ne l’allumera au feu d’un romantisme passionné. Une direction nuancée, scrupuleuse, répugnant à l’effet, en particulier dans les scènes de bal, à laquelle il manquera malgré tout une certaine tension dramatique et qui a parfois un côté languissant. La distribution est à l’avenant : homogène mais pas inoubliable. Et les anciens de rappeler que le Bolchoï, invité au palais Garnier en 1970, réunissait, autour du couple Rostropovitch, une équipe autrement flamboyante. Cela dit, Tatiana Monogarova a du style et une jolie voix, aux reflets moirés ; après des débuts hésitants, elle s’épanouit dans la scène de la lettre, pour atteindre toutefois ses limites dans la scène finale. Mais personne ne reste insensible à cette Tatiana égarée dans un monde qui n’est pas le sien avec des airs d’Ophélie, vierge aux pieds nus puis femme coincée d’apparatchik bedonnant. Face à elle, le Polonais Mariusz Kwiecien, en juin prochain le Roi Roger de Szymanowski, offre d’Onéguine un portrait intéressant, moins cynique voyou que dandy prédateur et distant, très solide – mais sans fa aigu, facultatif il est vrai, à la fin de « kogda by jyzn » -, plus racé vocalement, mais moins immédiatement séduisant qu’un Peter Mattei. Andrey Dunaev convainc aussi en Lenski, par la hauteur et la souplesse de l’émission, l’élégance du phrasé, un peu trop uniforme cependant. Anatolij Kotscherga, en revanche, s’égare dans l’air de Grémine, chanté comme un monologue de Boris Godounov, où il remplace le bel canto tchaïkovskien par une déclamation à la Moussorgski, brisant totalement la ligne. L’Olga opulente de Margarita Mamsirova fait oublier les trémulations et les fausses notes de Madame Larina et de la Nourrice, qui gâchent le Quatuor du premier acte.


Comme tout le monde joue très bien, que la mise en scène est à la fois cohérente et subtile, on passe une bonne soirée. A l’instar du chef, Dmitri Tcherniakov nous entraîne plutôt chez Tchekhov que chez Pouchkine. Le décor unique de salle à manger montre une société se donnant à elle-même le spectacle d’un quatuor victime de la confusion de ses sentiments, dans le manoir des Larine ou dans la demeure tape-à-l’œil de Grémine, huile de la nomenklatura de l’ère Brejnev ou parvenu de l’ère Poutine. Confusion de sentiments car les couples sont mal assortis : c’est pourquoi Lenski chante – en russe – les couplets de Triquet, déclaration d’amour à Tatiana. Un peu plus tard, il devient, au moment de l’esclandre, le bouc émissaire de ce monde sclérosé contenant à peine sa violence : madame Larina gifle le jeune homme délirant. Tout est recentré sur ce huis clos à l’intimisme étouffant, où la campagne, la nature, les paysans n’ont plus leur place – un seul chœur, celui des convives attablés. Le drame devient d’ailleurs un drame de l’absurde : Onéguine et Lenski, au lieu de se battre, se disputent la carabine de ce dernier, atteint par accident. Cette suppression du duel rend du coup la question plus brûlante encore : que se serait-il passé si ? Grâce à une direction d’acteurs en finesse, qui laisse toute sa place aux intermittences du cœur et fait des – excellents - choristes de vrais personnages, le metteur en scène, tournant le dos à l’ancienne production du Bolchoï, rutilante et figée, éclaire l’œuvre d’un jour nouveau, sans la trahir, refusant les excès munichois de Krzysztof Warlikowski, qui faisait lorgner Onéguine du côté de Brokeback Mountain d’Ang Lee. Pas de révolution donc, plutôt une réforme, salutaire et bien conduite. A Moscou, cela a pourtant déchaîné une tempête : il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire des nostalgiques des gardiens du temple. A Garnier, ceux-ci ont aussi donné un peu de voix, par habitude plus que par conviction : il est vrai qu’à Paris le temple a, depuis longtemps, subi beaucoup d’assauts. On a donc bien fait d’inviter le Bolchoï new look.



Didier van Moere

 

 

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