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L’architecte des métamorphoses schubertiennes

Paris
Théâtre du Châtelet
04/29/2008 -  
Franz Schubert : Sonates n° 19, D. 850, et n° 23, D. 960

Radu Lupu (piano)


En lieu et place du programme Schubert/Debussy initialement annoncé et déjà entendu ailleurs cette saison (voir ici), c’est à un somptueux récital entièrement schubertien que Radu Lupu a convié les spectateurs de Piano ****, fidèle au pianiste roumain depuis son premier récital parisien il y a près de trente ans. Véritable plaie, le concert de toux et de sonneries de téléphone mobile n’aura pourtant pas réussi à altérer la concentration de l’imperturbable et impressionnant artiste, enchaînant sans pause les quatre mouvements des deux sonates au programme et dont l’apparence sur scène – rendue plus frappante encore par une obscurité quasi totale – rappelle immanquablement la figure du vieux Brahms, méditatif et inspiré, assis devant son piano.


Avec la Sonate en ré majeur D. 850 (1825), le pianiste roumain fait d’emblée comprendre ce que seront les traits caractéristiques de son Schubert : sens de l’architecture musicale, resserrement des nuances, intériorité poétique, métamorphose des thèmes. La magie des sons opère progressivement pour finalement laisser à l’auditeur le sentiment d’une exploration de toute la gamme des émotions, à l’image de la construction de l’Allegro vivace, aux tempos enlevés, montant peu à peu en puissance pour exploser en une furia finale. Libre comme du Schumann, charpenté comme du Brahms, le deuxième mouvement ose aller jusqu’à l’immobilité, pour mieux faire éclater les contrastes rythmiques sans jamais se montrer ostentatoire. Vif voire dansant, le Scherzo paraît se métamorphoser sans fin, tantôt rythmé avec élégance tantôt ponctué d’une pointe de tristesse, alors que le Rondo, mis en scène par un mouvement d’horloge obsédant mais toujours léger, témoigne d’une conduite souveraine du discours musical


Comme le fera bientôt Alfred Brendel dans la même salle, Radu Lupu s’attaque ensuite à l’ultime Sonate en si bémol majeur D. 960 (1828). Refusant d’exacerber les contrastes, de faire ressortir les silences, de souligner les fulgurances de l’œuvre, son interprétation peut apparaître, pour les fidèles de Piano ****, comme prenant le contre-pied de l’exécution miraculeuse et passionnée de Stephen Kovacevich, autre grand interprète de la dernière sonate de Schubert (voir ici). Rapprocher les noms de Brendel, Kovacevich et Lupu suffit d’ailleurs à rendre compte du niveau d’interprétation du présent concert… Pourtant, le tempo dans lequel le pianiste roumain aborde, presque effacé, le Molto moderato initial ne manque pas de troubler : alternant irrégularité rythmique et équilibre architectural, c’est progressivement qu’il se révèle cohérent, laissant s’épanouir de superbes contre-chants en refusant toute violence dans la frappe, maîtrisant toujours les impacts digitaux, effleurant le piano avec pudeur – quitte parfois à manquer quelques notes ou rater certains accords. Accélérant progressivement les trilles et les accords récurrents, la fin du premier mouvement révèle un patient travail de métamorphose des motifs musicaux, qui apparaissent alors plus véhéments et plus angoissés qu’au début. C’est sur ce même abîme désolé que s’ouvre l’Andante sostenuto, caractérisé par sa lenteur et l’extrême délicatesse des phrasés, sachant se faire tout petit pour permettre aux principaux thèmes de ressortir avec plus d’impact. Sans emporter forcément l’adhésion (tant l’approche est singulière et les choix de tempos étonnants), les deux derniers mouvements mettent en valeur une interprétation subjective mais débordant de musicalité.


Davantage que trois bis offerts à une salle presque pleine et manifestant debout son enthousiasme unanime, Radu Lupu construit une véritable troisième partie de récital, proposant au public une sorte de sonate schubertienne «inversée», où deux Andante bouleversants encadrent un Allegro jubilatoire. Sommet émotionnel de ce concert, l’Impromptu en sol bémol majeur, D. 899 n° 3 (1827) fait ainsi figure de premier bis : les mots manquent pour décrire l’émotion simple et sereine qui prend à la gorge à l’écoute de cette interprétation idéale. Lui succède, après quelques rappels, l’Impromptu en mi bémol majeur, D. 899 n° 2 (1827), joué dans un tempo très marqué mais jamais brusque, qui n’altère en rien la continuité de la ligne mélodique, une des plus poignantes composées par Schubert. Pour finir, le mouvement lent de la plus rare Sonate en la majeur D. 664 (1819), marqué Andante mais joué plus lentement encore, achève de convaincre que l’architecte des métamorphoses schubertiennes a su se faire poète des émotions pudiques et de l’intériorité musicale.



Gilles d’Heyres

 

 

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