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Vérité au-delà du périphérique

Paris
Nanterre (Théâtre des Amandiers)
04/11/2008 -  et 14, 17, 20, 22, 25, 27 avril 2008
Wolfgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro, K. 492

Stéphane Degout (Il Conte di Almaviva), Christiane Oelze (La Contessa di Almaviva), Camilla Tilling (Susanna), Luca Pisaroni (Figaro), Christine Schäfer (Cherubino), Helene Schneiderman (Marcellina), Roland Bracht (Bartolo), Burkhard Ulrich (Don Basilio), Eberhard Francesco Lorenz (Don Curzio), Pauline Courtin (Barbarina), Frédéric Caton (Antonio), Elisa Cenni, Marie-Adeline Henry (Due donne), Jürg Kienberger («Récitativiste»)
Till Drömann (chef des chœurs et assistant à la direction musicale), Orchestre des lauréats du Conservatoire, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Christoph Marthaler (mise en scène), Anna Viebrock (décors et costumes), Olaf Winter (lumières), Thomas Stache (chorégraphie)


Erreur en deçà du périphérique, vérité au-delà? En mars 2006, la création à Garnier de la production des Noces de Figaro (1786) confiée à Christoph Marthaler avait soulevé l’un des plus beaux scandales de l’ère Mortier (voir ici). Au moment même où Bastille réserve un triomphe au metteur en scène suisse pour son nouveau Wozzeck (voir ici), ces sulfureuses Noces reviennent à l’affiche pour sept représentations. Mais à la station Opéra, au lieu de prendre comme de coutume la ligne 8 – qui donne son nom à la lettre d’information de l’Opéra national de Paris – pour aller vers Bastille, il faut emprunter le RER et traverser le périphérique pour se rendre au Théâtre des Amandiers.


Une reprise à forte valeur symbolique pour Gérard Mortier, entouré, pour cette première, de la ministre de la culture et de la maire de Nanterre: non seulement le directeur de l’Opéra y voit l’occasion de renouveler avec éclat la confiance qu’il accorde à l’équipe artistique constituée de longue date par Christoph Marthaler et Sylvain Cambreling, mais il vient tout récemment encore de vilipender chez l’un de nos confrères virtuels ces «personnes, venant souvent d’ailleurs du 16e arrondissement ou des banlieues chic de Paris, qui parce qu’elles achètent un tiers des places croient que l’opéra est leur propriété».


En route, donc, vers une municipalité communiste – une «lettre ouverte des communistes de Nanterre» à la ministre de la culture est distribuée à l’entrée du théâtre – et vers les «quartiers difficiles». «Cent jeunes inscrits dans des établissements classés en zones d’éducation prioritaire» ont d’ailleurs été invités avec l’aide de la Fondation France Télévisions: une initiative qui aurait tout de l’alibi si un communiqué de presse diffusé le jour même n’avait pas estimé à 70 000, soit 9 % du public, le nombre de places bénéficiant chaque année aux jeunes, dont «20 000 au titre des groupes scolaires et étudiants pour des spectacles dans les grandes salles».


Chacun savait ici à quoi s’en tenir: c’est pourquoi ceux qui avaient bruyamment exprimé leur désapprobation voici deux ans ont sans doute estimé que le plaisir de huer ne valait pas de subir à nouveau ce qu’ils avaient sincèrement ressenti comme un outrage, tandis que ceux qui se sont déplacés – sans qu’on puisse affirmer, avec des billets au tarif de 80 euros, que cela s’explique par un renouvellement sociologique du public – ont fait savoir par leurs ovations qu’ils avaient passé une excellente soirée, malgré sa durée (trois heures et dix minutes, entracte non compris), n’hésitant à pas à frapper dans leurs mains à l’invitation de Marcelline durant son air du dernier acte.


Mais ce n’est là qu’un des gags dans l’esprit des Marx Brothers ou de Hellzapoppin dont Marthaler a truffé sa mise en scène: après tout, c’est une «folle journée», comme l’indique le sous-titre de la pièce de Beaumarchais, avec une unité de temps que, malgré le huis clos, les lumières d’Olaf Winter font bien ressortir, et elle se conclut par plusieurs mariages. Autant de couples que le chef, depuis la fosse, prend successivement en photo. Il faut croire que l’institution matrimoniale est bien mal en point si elle se résume aux deux éléments principaux du décor unique conçu par Anna Viebrock: une boutique de mariage, comprenant deux vitrines, pour les femmes côté jardin, pour les hommes côté cour; un bureau d’état civil où s’affairent non seulement le juge mais aussi la plupart des protagonistes. Entre les deux, un vaste plancher sur lequel un fauteuil de relaxation à commande électrique occupe une fonction essentielle, le caractère lascif de la position allongée étant plus que suggéré.


Egalement auteur des costumes, elle s’en est donné à coeur joie dans une transposition chronologique à la Peter Sellars, comme pour ce Chérubin baggy style mâchouillant du chewing-gum, à l’égard duquel une Comtesse au fort tempérament mais aussi un peu trop portée sur la bouteille manifeste une attirance plus explicite qu’à l’ordinaire. Dommage toutefois que Suzanne écrive sa lettre au Comte sur une ancienne machine à écrire dont le crépitement perturbe le délicat «duo des pins». Parmi les éléments quelque peu irritants et systématiques de la «grammaire» de Marthaler, il y a aussi cette agitation permanente, qui se déroule cette fois-ci dans le bureau dont la porte et les vitres transparentes laissent presque tout percevoir. Mais l’essentiel de son travail n’en reste pas moins drôle et captivant.


Toujours soucieux de dynamiter les conventions, ce à quoi aussi bien Beaumarchais que Mozart s’employaient en leur temps, Marthaler s’est tout particulièrement intéressé aux récitatifs, qui, de fait, tiennent une part plus importante que dans les deux autres opéras de la «trilogie Da Ponte», au risque de lasser l’auditeur. Mais comme ils sont indispensables à l’action, il faut s’en accommoder. Plutôt qu’à un traditionnel continuo, ces récitatifs sont dévolus à un «récitativiste», mais cette logique apparemment implacable dissimule en fait un personnage totalement foutraque. Jürg Kienberger se déplace en effet avec son tabouret pliant et use d’une multitude d’instruments (harmonica, melodica, ...), dont, avant tout un synthétiseur portable lui permettant de colorer la partition avec les timbres les plus divers, comme cette guitare hispanisante qui salue l’arrivée du Comte. Le bricolage poétique façon Deschiens est également de mise – il accompagne un bref récitatif en soufflant simplement dans des bouteilles de bière – même si l’on peine davantage à comprendre pourquoi il se met brièvement à yodler au troisième acte.


Le bouffon de cet opera buffa, mais, comme tout bouffon, distancié, caustique et provoquant la réflexion. L’hurluberlu règne ainsi en maître sur la partie supérieure de la scène, occupée par des animaux empaillés et autres vaches sacrées dont un clavecin, réduit à la portion congrue dans les récitatifs. Alors qu’il fait mine d’accoupler le bouc et la chèvre, c’est, à l’étage inférieur, le «happy end» et le mot «mariage» qui apparaît en lettres capitales. Mais l’idée la plus forte consiste probablement dans le recours à un harmonica de verre sur lequel il interprète deux lieder composés par Mozart l’année suivant Les Noces: au début du quatrième acte, Le Chant de la séparation, qui introduit si bien la mélancolie de Barberine, et, un peu plus tard, La Vieille, qu’il chante en voix de fausset.


Les airs, notamment leur longue succession au début du dernier acte, ceux de Marcelline et Basilio n’ayant pas été coupés comme c’est parfois l’usage, sont tout autant revisités que les récitatifs: Marthaler montre bien comment le personnage, qui prend souvent l’assistance à témoin, se trouve dans la posture du discours, de la séduction et de la conviction: chacun fait donc son numéro, disposant tour à tour d’un pupitre d’orateur, d’un petit piédestal ou d’un micro – peu importe qu’il ne soit pas branché. Quant aux ensembles, les chorégraphies burlesques et décalées de Thomas Stache, le cas échéant à base de tango, disco ou rap, viennent souligner leur caractère artificiel.


La distribution demeure en grande partie identique à celle de 2006 – à commencer par le formidable Chérubin de Christine Schäfer –, mais dans cette acoustique très mate, les chanteurs paraissent manquer de projection, à l’exception du Figaro idiomatique mais modérément flamboyant de Luca Pisaroni, succédant à Lorenzo Regazzo, et de la Comtesse de Christiane Oelze, dont la justesse n’est cependant pas toujours irréprochable. Elle n’est hélas pas la seule à livrer une prestation vocalement inégale, à l’instar de Helene Schneiderman (Marcelline), Burkhard Ulrich (Basile) ou même du solide Roland Bracht (Bartolo). Stéphane Degout et Camilla Tilling, qui reprennent respectivement les rôles du Comte et de Suzanne précédemment tenus par Peter Mattei et Heidi Grant Murphy, ne manquent pas de verve, mais semblent un peu en retrait de leurs conjoints respectifs. Nouvelle Barberine, Pauline Courtin possède un timbre encore un peu vert mais, comme il se doit, tire bien son épingle du jeu.


Comme pour les deux précédents spectacles «hors les murs» de la saison (Cosi à Rennes et à Bobigny, Didon et Enée à l’Amphithéâtre Bastille), les solistes de l’Atelier lyrique sont de la partie, constituant les trois quarts d’un luxueux choeur. Peu aidé par un Orchestre des lauréats du Conservatoire (CNSMDP) – avec cors et trompettes naturels – que l’on a connu sous un bien meilleur jour, Sylvain Cambreling, adoptant des tempi généralement trop lents, ne fait guère pétiller la partition.


Bref, des Noces pour le théâtre, e poi la musica. Mais qu’importe, nous sommes ici au théâtre, précisément.


Le site du Théâtre des Amandiers



Simon Corley

 

 

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