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Tubin or not Tubin?

Paris
Salle Pleyel
02/06/2008 -  et 7 février 2008
Carl Nielsen : Aladdin (Suite), opus 34, FS 89 (extraits)
Jean Sibelius : Concerto pour violon, opus 47
Eduard Tubin : Symphonie n° 5

Vadim Repin (violon)
Orchestre de Paris, Neeme Järvi (direction)


A la rentrée 2010, Christoph Eschenbach laissera la place à Paavo Järvi à la tête de l’Orchestre de Paris. Il faut espérer que celui-ci s’inspirera de l’exemple de son père Neeme, qui profite de ses passages dans la capitale pour imposer un répertoire scandinave que la France persiste en grande partie à ignorer, l’année Sibelius (2007) ayant permis de constater que la propension à reconnaître tardivement des figures majeures, de Bruckner à Chostakovitch en passant par Mahler, était hélas toujours d’actualité.


En 1904, Busoni avait choisi pour le texte du chœur final de son monumental Concerto pour piano des extraits d’Aladdin (1805), une pièce d’Oehlenschläger, écrivain danois de la première moitié du XIXe siècle. C’est pour cette même fantaisie, tenant à la fois du conte et de l’épopée, que Carl Nielsen composa en 1918 une musique de scène comprenant trente et un numéros, dont il sélectionna lui-même sept morceaux pour former une Suite. De trente et un à sept, on passe ensuite à cinq, car bien que la notice de Marcel Marnat s’emploie méticuleusement à faire saliver l’auditeur, on n’entendra ni Le Marché d’Ispahan, où l’orchestre est divisé «en quatre groupes jouant à des vitesses différentes», ni la Danse des prisonniers, «proprement hurleuse», «à l’orchestration presque terrifiante».


Les cinq extraits restants cultivent un pittoresque inattendu, entre le Grieg de Peer Gynt (l’ombre d’Anitra plane sur la Danse au matin) et les grands ballets de Khatchaturian, quoique de façon plus parodique, humoristique et distanciée. Bien qu’orchestrés avec brio, ils ne sont donc guère représentatifs du grand symphoniste que fut Nielsen. La lacune est de taille: il ne faut certes pas remonter à L’Inextinguible sous la baguette de Barbirolli en décembre 1968 (à quatre reprises!) ou à la Cinquième avec Salonen en mai 1988 – autant de moments qui font rêver – mais la dernière apparition d’une de ses Symphonies (la Deuxième) – c’était la première rencontre de Paavo Järvi avec l’Orchestre de Paris – date quand même déjà de quatre ans.


En mai dernier, il dirigeait Lisa Batiashvili dans le Concerto pour violon (1905) de Sibelius (voir ici) et, en mars 2000, toujours à l’Orchestre de Paris, son père avait accompagné Julian Rachlin dans cette même œuvre (voir ici). Cette fois-ci, c’est Vadim Repin qui enfourche ce redoutable cheval de bataille. Le violoniste russe demeure dans la ligne de ses récentes prestations parisiennes, sacrifiant un tantinet de technique à un supplément d’engagement. L’impression d’ensemble n’en demeure pas moins fondamentalement apollinienne, d’une maîtrise souveraine, certes plus hédoniste que dramatique, mais d’une beauté toujours dépourvue de complaisance. Comme voici deux mois à l’issue de son Concerto de Tchaïkovski avec la Philharmonie de Saint-Pétersbourg (voir ici), il offre en bis l’Allemande qui ouvre la Quatrième sonate (1923) d’Ysaÿe.


Parmi les Scandinaves dont il s’est fait une spécialité, Neeme Järvi défend tout particulièrement ses compatriotes: avec le National, il avait ainsi opté en février 2001 pour la Seconde symphonie de Villem Kapp (voir ici) – une partition certes agréable, mais que n’importe laquelle des onze Symphonies (la dernière est restée inachevée) d’Eduard Tubin (1905-1980) peut aisément prétendre surpasser. Un corpus bien moins confidentiel que vu depuis le microcosme parisien: parmi la discographie légendairement pléthorique de Neeme Järvi figure ainsi une intégrale avec divers orchestres (Bis) et l’Orchestre symphonique national d’Estonie a ensuite gravé la sienne (Alba), sous la direction d’Arvo Volmer (qui avait donné en décembre 2001 l’oratorio La Mission de Jonas de Rudolf Tobias avec le National).


Même si les Sixième et Huitième sont sans doute les deux sommets de la production symphonique de Tubin, la Cinquième (1946) n’en est pas moins probablement la plus jouée, défendue dès l’origine par des chefs tels que Malko ou Schmidt-Isserstedt et bénéficiant même d’enregistrements autres que ceux réalisés dans le cadre des intégrales, comme celui de… Paavo Järvi avec son Orchestre de Cincinnati (Telarc). Première composée dans l’exil suédois, elle s’inscrit pleinement dans le climat mêlé de drame et d’espoir qui est celui de quelques autres grandes symphonies exactement contemporaines: Cinquième de Prokofiev, Cinquième de Martinu, Troisième «Liturgique» de Honegger, Troisième de Copland. Sa conclusion optimiste rappelle d’ailleurs celle d’une autre «symphonie de guerre» – mais d’une précédente guerre –, la Cinquième de Sibelius.


Des noms viennent à l’esprit: Chostakovitch et Sibelius, peut-être plus encore Hindemith et Nielsen – la présence de deux groupes de timbales évoque immanquablement la Quatrième «L’Inextinguible», même si les deux percussionnistes se complètent ici plus qu’ils ne s’affrontent – mais ce sont davantage des parentés chronologiques ou géographiques que des influences marquées. De même, l’inspiration nationale, au travers de l’utilisation explicite de chants traditionnels, ne constitue pas une fin en soi: en véritable symphoniste, Tubin, animé par la volonté d’écrire de la musique pure, va du particulier à l’universel. A cette fin, il développe un style personnel, plus concentré que spectaculaire, quoique non dépourvu de puissance, plus soucieux du message que de la couleur instrumentale. Autre caractéristique d’un grand symphoniste, sa manière de faire progresser naturellement le discours, certes abstrait mais non moins éloquent, en usant au demeurant de formes classiques (trois mouvements vif/lent/vif d’une demi-heure, Allegro energico initial à deux thèmes, …).


Tubin or not Tubin? La question reçoit une réponse clairement positive de l’orchestre, qui salue longuement Neeme Järvi, mais aussi du public, gratifié, pour conclure un programme il est vrai un peu court, d’un intense et fervent Andante festivo (1922/1938) de Sibelius. Des instants au cours desquels la musique semble s’imposer avec une bienfaisante évidence.


Telle est en tout cas l’opinion d’au moins une poignée de spectateurs hors norme, qui, depuis maintenant deux saisons, sont invités chaque mois à Pleyel grâce à l’entregent d’Eiichi Chijiiwa. Car le deuxième violon solo de l’Orchestre de Paris, ancien membre du Quatuor Diotima, est par ailleurs président de l’association «Parcours d’exil», créée en 2001, afin de porter assistance et soins aux victimes de sévices, d’atteintes aux droits de l’Homme et tout particulièrement de tortures et de violences d’Etat. Il faut entendre Pierre Duterte, médecin directeur, expliquer les étonnantes vertus thérapeutiques de la musique classique chez ces personnes qui ont vécu le pire et auxquelles il faut désormais accorder autant que possible le meilleur. Alors même que, pour la plupart de ces Africains, Irakiens ou même Kosovars, il s’agit de la découverte d’un univers dont ils ne pouvaient concevoir l’existence, les effets n’en sont que plus spectaculaires. Décalée, indécente car superflue, voire superficielle, au regard de telles douleurs physiques et psychiques? Non, la musique est, une fois de plus, essentielle.


Le site de la Société Eduard Tubin
Le site de Neeme Järvi
Le site de Vadim Repin
Le site de l’association «Parcours d’exil»



Siimon Corley

 

 

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