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Inquisitions

Paris
La Péniche Opéra
02/04/2008 -  
Dimitri Chostakovitch : Rayok
Régis Campo : Quatuor n° 3 «Ombra felice» – Trois Chansons pour Claude Lejeune (création de la version à cinq voix) – Io, Galileo (création)
Clément Janequin : Le Chant des oyseaulx – Le Chant de l’alouette
De Lafont : A ce matin trouvay une fillette
De Bussy : Las il n’a nul mal qui n’a le mal d’amour

Vincent Bouchot (ténor), Paul-Alexandre Dubois (baryton), Suren Shahi Djanyan (basse), Vincent Leterme (piano) – Quatuor Diotima: Naaman Sluchin, Zhao Yun-Peng (violon), Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle) – Ensemble Clément Janequin: Dominique Visse (contre-ténor, direction), Vincent Bouchot, Gregory Finch (ténors), François Fauché (baryton), Renaud Delaigue (basse)


«Lundi de la contemporaine», «Mardi baroque», «Jeudi de la chambre lyrique»: avec Mireille Larroche, la semaine de la Péniche Opéra se décline au fil des genres et des époques. Les sept lundis de cette saison tournent autour des concepts de «discours» et de «débat»: si la musique d’aujourd’hui a parfois tendance à se perdre en discours et, plus positivement, à susciter des débats, l’objectif est plutôt d’évoquer les «formes rhétoriques qui renvoient à la notion de "messages"», notamment par le dialogue avec les cinq invités successifs. Après Richard Dubelski et Vincent Bouchot, avant Alexandros Markeas (pour trois soirées) et Edith Canat de Chizy, c’était le tour de Régis Campo (né en 1968) de se prêter au jeu de la présentation de ses propres œuvres – exercice toujours délicat pour un compositeur – mais aussi de la convivialité, la soirée se finissant à la table d’hôte (bio) «Aux deux bateaux».


Chacune de ces rencontres avec les représentants de «cette "espèce rare" qu’est un compositeur de musique savante» débute par l’interprétation de Rayok (1948/1957) de Chostakovitch, sous-titrée «Manuel pratique pour la défense du réalisme en musique contre le formalisme en musique». S’il est question de «discours» et de «débats» dans cette Galerie, c’est pour en railler le caractère factice, après la «leçon» de «réalisme» donnée par Jdanov aux artistes «formalistes». Cette «cantate burlesque et satirique» pour quatre basses et piano n’apparut au grand jour qu’à la faveur de la perestroïka: son intérêt n’est pas principalement musical, la matière étant en effet délibérément aussi pauvre que la pensée des camarades «Numéro Un», «Numéro Deux» et «Numéro Trois», tous incarnés avec humour par Paul-Alexandre Dubois, aux côtés du «Président» Suren Shahi Djanyan. La traduction française suscite quelquefois une prosodie bancale, mais permet de goûter un texte où l’humour le dispute aux allusions sinistres, que ne démentent pas les regards suspicieux et inquisiteurs que les deux chanteurs et le pianiste ne cessent de jeter au public. Opérette et folklore contrastent avec la vacuité et l’horreur du propos: un mélange de farce et d’ironie, façon cabaret, ponctué par les interventions de Dominique Visse en guest star, muni d’une pancarte «Applaudissez!» invitant les spectateurs à féliciter les trois brillants orateurs.


Campo dit avoir beaucoup écouté les Fantaisies de Purcell lorsqu’il écrivait son Troisième quatuor «Ombra felice» (2007), mais il se réclame aussi de «cette idée crépusculaire de la fin de la Neuvième symphonie de Mahler ou de son Chant de la terre». De fait, tout au long des deux mouvements (dix-huit minutes), le ton est généralement calme, méditatif, voire statique, n’atteignant que rarement le forte. Glissandi et harmoniques, répétitions et équivoques consonantes bâtissent peu à peu un univers tenant à la fois de la nuit de L’Enfant et les sortilèges et de l’engourdissement de Feldman. Dédicataire de la partition, le Quatuor Diotima est desservi par une sonorisation que le volume de la Péniche Opéra ne semble pourtant pas devoir justifier.


La seconde partie du programme était intégralement dévolue à l’Ensemble Clément Janequin, qui célèbre en 2008 son trentième anniversaire: un stimulant mélange de chansons du XVIe, dans leur version originale ou «revisitées» par Régis Campo, et de musique d’aujourd’hui. Les effets spéciaux de Janequin (cris et onomatopées du Chant des oyseaulx et du Chant de l’alouette) et des textes qui n’ont rien perdu de leur saveur – que de cocus cocasses! – donnent aux auditeurs moult occasion de s’esclaffer. A deux noms moins familiers – Delafont (A ce matin), toujours dans le registre leste, et De Bussy (Las il n’a nul mal), plus expressif – se joint Claude Lejeune, dont Campo a adapté en 2006 trois chansons, ici dans une nouvelle version pour cinq voix: un moment de mélancolie languide (Perdre rien plus je ne pourroy), rappelant l’atmosphère du Troisième quatuor, est entouré par deux pages grivoises aux rythmes virtuoses (Une puce j’ay dedans l’oreille, qui sera bissée, et Je file quand on me donne de quoy), autant de jeux qui font penser à Renard de Stravinski, un compositeur pour lequel Campo ne dissimule pas son admiration.


Assis devant une table, les cinq chanteurs font face au public et, en position centrale, Dominique Visse, armé de son indispensable crayon, dirige ses quatre camarades, formant ainsi une sorte de petite Cène dans laquelle Jésus ne serait entouré que de quatre apôtres. Si le répertoire est profane, la comparaison n’en prend pas moins sens pour la création de Io, Galileo (2007), où le contre-ténor endosse le rôle du savant italien, sorte de figure christique victime de l’intolérance. Le texte de l’abjuration de Galilée est découpé en sept brefs madrigaux (treize minutes), dont la traduction française est lue au fur et à mesure. L’écriture associe au «soliste» le «chœur» des quatre autres voix, ici pour énoncer clairement les mots, là pour la seule couleur vocale. Un manifeste contre toutes les Inquisitions, en écho à Rayok de Chostakovitch, y compris dans sa dialectique entre le «formalisme» d’un langage de notre temps et le «réalisme» suggéré, dans les premier et dernier madrigaux, par «un chant populaire imaginaire, presque sicilien, presque une plainte».


Le site des «Lundi de la contemporaine»
Le site de l’Ensemble Clément Janequin



Simon Corley

 

 

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