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Perle rare!

Toulouse
Théâtre du Capitole
11/26/1998 -  
Mélodies de Duparc et Ravel, airs d’opéras de Mozart, Bellini, Donizetti et Verdi
udovic Tézier (baryton)



Louons encore une fois la très heureuse initiative du Théâtre du Capitole qui a permis ce mois-ci de mieux connaître, dans le cadre des “Midis du Capitole”, le jeune baryton marseillais Ludovic Tézier, qui partage en ce moment le rôle de Zurga dans les Pêcheurs de perles avec l’américain Rodney Gilfry.
Il a pu ainsi montrer que sa parfaite aisance en scène ne l’empêchait pas d’être tout aussi à l’aise dans l’intimité du récital, exercice souvent difficile pour les chanteurs d’opéras. Sa compréhension vraiment remarquable des textes et son sens aigu du dramatisme lui ont permis de rendre les accents les plus secrets et les plus profonds des mélodies de Duparc tout autant que l’héroïsme et la douleur secrète de Don Quichotte à Dulcinée. Dans cet ultime chef-d’œuvre de Ravel, on pouvait être surpris de prime abord par des tempos assez soutenus, éloignés de la tradition d’interprétation qui prédomine en général, mais la force de conviction de son chant, son “swing”, emportaient l’adhésion. La beauté de son baryton grave, puissant mais nuancé, montrait à quel point la mélodie française est faite, comme le rappelait Gérard Souzay, pour être chantée et non susurée.
La seconde partie, consacrée à des airs d’opéras italiens, a charmé tout autant par des qualités vocales vraiment impressionnantes, que par un engagement et une diversité d’approches étonnantes chez un artiste aussi jeune. En effet, il est difficile d’éviter dans ce genre de programme “à tubes” une certaine monotonie due à un manque de caractérisation des différents personnages. Ludovic Tézier a magistralement évité cet écueil et à la noirceur de son Comte Almaviva répondaient la noblesse de son Camoés ou la volubilité de son Malatesta et de son Belcore. Cette parfaite adaptation à des répertoires si différents est le signe évident d’une grande intelligence musicale que sert, en outre, une diction impeccable.
Ajoutons, pour conclure ce concert de louanges, que la voix est réellement superbe, homogène, souple, et avec un sens de la nuance rare chez une voix de ce calibre.
L’accompagnement attentif et soigné de Robert Gonella a beaucoup concouru au très grand succès de ce récital. Le Théâtre du Capitole absolument plein (bien plus que pour un récent concert de Karita Mattila) a en effet réservé un accueil vraiment triomphal -tout à fait mérité- à cet artiste talentueux, manifestant ainsi son désir de le revoir souvent dans de nouveaux rôles. Gageons que les théâtres ne tarderont pas à se l’arracher !

Laurent Marty


DEUX ZURGA À TOULOUSE :
LUDOVIC TÉZIER ET RODNEY GILFRY



Le théâtre du Capitole de Toulouse a eu la bonne idée de partager le rôle de Zurga dans les Pêcheurs de perles entre deux jeunes barytons. Le marseillais Ludovic Tézier, récemment primé au concours Domingo, ne devrait pas tarder à faire parler de lui comme le prouve l’énorme succès remporté auprès des toulousains, aussi bien en scène qu’en récital. L’américain Rodney Gilfry est lui plus connu, notamment pour sa participation à la trilogie Mozart/Da Ponte dirigée par John Eliot Gardiner et éditée par Deutsche Grammophon ou, dernièrememnt, pour sa participation à la création de l’opéra Un Tramway nommé désir d’André Prévin.
Ces rencontres permettront d’apprécier l’enthousiasme, la simplicité autant que la réflexion sur leur art de ces deux talentueux artistes.




QUESTIONS À LUDOVIC TÉZIER



Le Concertographe : Comment vous est venu le goût pour le chant et la musique ?

Ludovic Tézier : Ce sont deux questions un peu différentes que de savoir comment j’ai aimé la musique et le chant et comment j’ai découvert que je pouvais chanter. Mes parents, qui ne sont pas spécialement musiciens, écoutaient énormément d’opéra et cela m’était devenu naturel, mon oreille s’est ainsi formée dès mon enfance. Plus tard, je me suis mis à chanter sur des disques de Corelli ou Domingo, comme le font tous ceux qui s’intéressent au lyrique. Cela paraissant marcher, j’ai fait des reprises d’Elvis Presley ou autres avec quelques amis. Comme ils ne cessaient de plaisanter sur le fait que j’avais une belle voix, je suis allé passer une audition devant un professeur de chant, puis un concours, que j’ai réussi. Quand je suis revenu, je ne passais plus par les portes! J’ai pu leur dire : “Vous aviez raison, la preuve : on m’a accepté dans une école de chant” Ma vocation pour le chant est donc venue d’un petit défi entre copains, même si cela me plaisait déjà beaucoup.

Le Concertographe : Comment vous est venu l’envie d’étudier sérieusement le chant?

Ludovic Tézier : Derrière la faculté de Sciences économiques où j’étudiais -enfin, où je passais du temps…- il y avait une école de chant, le CNIPAL, et j’entendais toute la journée des élèves faire leurs exercices. Mes amis ne cessant de plaisanter sur ma voix, je suis allé me renseigner sur la possibilité de prendre quelques cours. Je ne pensais pas du tout que cette école me demanderait un temps plein, je croyais qu’il suffirait de deux heures par semaine, comme dans un Conservatoire. J’ai par hasard rencontré au restaurant du coin le secrétaire de direction de l’école, qui m’a proposé de passer une audition devant Claudine Duprat, qui y enseignait. Celle-ci m’a conseillé de passer le concours d’entrée. Je suis tombé des nues, mais je me suis tout de même piqué au jeu. Le concours a très bien marché et j’ai abandonné mes études à contre cœur, ce fut une déchirure terrible, une vraie souffrance! En fait, j’étais assez fier d’avoir réussi la même année mes examens à la faculté et mon concours d’entrée au CNIPAL, ce qui m’a permis de faire un vrai choix et de ne pas avoir l’impression de sacrifier quoi que ce soit. Me voilà donc parti dans ma première année d’études lyriques. C’était vraiment amusant, j’ai découvert un autre monde dont je n’avais pas idée. Mon plus gros travail dans cette première année, a été de me rendre compte que j’étais en train de devenir un chanteur professionnel, ce qui n’a pas été si évident car je ne pensais jusqu’ici chanter qu’en dilettante.

Le Concertographe : Vous n’aviez jamais imaginé, pendant votre enfance, devenir chanteur ?

Ludovic Tézier : Vraiment pas. Peut-être me suis-je dis parfois, après avoir écouté un disque d’un grand chanteur, que cela me plaisait beaucoup, mais de là à devenir chanteur… Il faut aussi pouvoir l’être. On ne peut pas cacher qu’il faut un don au départ, car si tout le monde peut chanter, techniquement parlant, tout le monde ne peut pas devenir chanteur. J’ai donc pu quelquefois rêver d’être un chanteur, mais certainement pas penser en devenir un un jour.

Le Concertographe : Comment avez-vous découvert vos possibilités vocales et votre registre de baryton ?

Ludovic Tézier : Lorsque j’ai passé ma première audition, qui fut plutôt courte, je désirais être un ténor; je ne suis pas marseillais pour rien! J’ai donc chanté “Ah sì, ben mio” du Trouvère et “Celeste Aida”. J’avais dix-neuf ou vingt ans, âge où la voix est encore claire, et les aigus y étaient, un peu à l’arraché, certes, mais je pensais que cela s’améliorerait en acquérant de la technique. Lorsque le professeur m’a dit : “C’est bien, vous avez une très belle voix de baryton”, j’étais désespéré ! J’ai demandé : “Mais, qu’est ce qu’ils chantent, les barytons?” J’étais tellement attiré par les magnifiques cantilènes des ténors que les rôles de barytons ne m’intéressaient pas du tout. Cela a heureusement bien changé depuis. Je me suis donc mis à étudier ce drôle d’animal qu’est le baryton. Finalement je ne me plains pas, on vit plus tranquille. Je n’aurais jamais de paparazzi sur le dos, ce qui est très réjouissant. La gloire ne m’attire pas du tout, seuls m’intéressent le chant et les rencontres que ce métier me permet de faire. Je trouve assez vain de vouloir conquérir la gloire par le chant. Mon seul but est de bien faire mon travail.

Le Concertographe : Vous avez remporté le second prix du Concours Plácido Domingo. Comment vous est venue l’idée d’y participer ?

Ludovic Tézier : Mon agent m’a téléphoné un jour en me disant qu’il avait reçu une documentation pour ce concours et qu’il se demandait si cela ne pourrait pas m’intéresser. Je n’étais pas très chaud car j’avais déjà déjà remporté quelques prix et participé à divers concours dont le dernier ne m’avait pas laissé un très bon souvenir. L’organisation n’avait pas été très sympathique et comme j’étais tombé malade, je l’avais fini aphone. De plus j’aime le métier de chanteur, c’est à dire chanter sur scène pour un public, pas me mettre en smoking pour chanter devant cinq personnes qui font la fine bouche. J’ai donc refusé dans un premier temps, mais j’avais tout de même très envie de rencontrer Domingo, dont les disques avaient bercé mon enfance, ne serait-ce que pour le remercier de ce qu’il m’avait apporté.
Cela a été une vraie chance de pouvoir le rencontrer! C’est tout simplement un humain. Il donne tout son temps, toute son énergie dans ce concours. Il écoutait les jeunes chanteurs s’entraîner, leur donnait des conseils. C’est un homme vraiment admirable, et je ne le dis pas simplement parce que j’ai eu un prix à ce concours mais parce que c’est vrai.
Le niveau du concours était très élevé et lorsque j’ai passé les éliminatoires je me suis dit que je n’avais plus qu’à rentrer chez moi dès le soir.

Le Concertographe : Quels ont été les effets de ce prix sur votre carrière ?

Ludovic Tézier : Ils sont très limités pour le moment, mais le concours ne date que de juin dernier. L’effet le plus intéressant est d’aller éventuellement me produire dans un ou deux beaux rôles à l’opéra de Washington, dont Plácido Domingo est directeur artistique. Je pense que cela aiderait beaucoup ma carrière car c’est une belle médaille pour un chanteur français que d’aller chanter aux États-unis, cela prouverait que des gens d’une renommée internationale me font confiance pour de grands rôles.

Le Concertographe : Vous chantez la mélodie française, vous avez chanté du Mahler, pensez-vous approfondir le domaine de la mélodie en parallèle à votre carrière opératique ?

Ludovic Tézier : Si on m’en laisse le temps, oui. La mélodie est pour moi le domaine le plus enrichissant musicalement, le plus épanouissant, car il me permet de laisser libre cours à mon côté conteur. J’adore conter, j’adore raconter des histoires à ma fille. Je trouve très gratifiant de capturer un auditoire par ce que l’on raconte plus que par la beauté de sa voix. J’aime beaucoup que les gens admirent ma voix ! Mais en même temps, dans la mélodie française ou allemande, il y à cet aspect conteur que j’adore. Pour moi, les mots d’une mélodie doivent venir quasiment au dernier moment, comme si on écrivait le texte, comme si on le créait dans l’instant. On joue ainsi les médiums en se mettant dans la peau de Baudelaire ou d’autres poètes, sans aucune prétention, bien sûr. J’aime cette sensation d’écrire quelque chose et je voudrais que le public ait la sensation qu’on lui raconte un poème sur le même ton que j’emploie pour vous parler. Je pense que c’est la meilleure manière d’intéresser les gens; c’est en tout cas cela qui m’intéresse. J’aime beaucoup le naturel et la simplicité dans la mélodie française et je regrette la tendance actuelle qui tend à en faire un objet trop sophistiqué. Rares sont pour moi les interprètes actuels de ce répertoire qui ont l’humilité suffisante face au texte et qui ne cherchent pas à surajouter un soi-disant style d’une soi-disant école. Mais il ne faut pas s’y tromper, il faut énormément de travail pour obtenir un résultat qui paraisse naturel. Je fixe des idées musicales en répétition tout en laissant une part importante à la spontanéité. Mais je ne sais pas si le résultat est à la hauteur de mes ambitions. Michel Dens est un des chanteurs que j’admire le plus pour sa capacité à chanter le français à la perfection et sans esbroufe, en ayant une parfaite compréhension des textes. Son chant est admirable par sa simplicité et sa façon de s’adresser directement à la sensibilité sans passer par des détours intellectuels. Voilà un chanteur dont l’art parle directement à un auditoire même si certains ne s’en contenteront peut-être pas du point de vue stylistique ou intellectuel. C’est en tout cas une chose qui me touche.

Le Concertographe : La mélodie française a pourtant la réputation d’être un art salonnard et intellectuel ?

Ludovic Tézier : C’est un style d’interprétation, mais ce n’est pas le mien. Je préfère vraiment quelque chose de simple, de dépouillé. Les mélodies sont suffisantes musicalement et littérairement pour se défendre par elles-mêmes sans chercher à faire de l’effet. Cela n’a aucun sens de faire un decrescendo parce que c’est joli musicalement , seul le texte doit guider l’interprète. Dans ces mélodies, un musicien s’est attaché à illustrer un poème en musique; il ne faut donc pas mettre de la musique par dessus le poème. Je ne pense pas d’ailleurs que mes principes -modestes- pour l’interprétation de la musique française soient en contradiction avec les principes généraux valables pour la mélodie allemande. Pour cette raison, je ne suis pas un fan de Fischer-Dieskau dans ce répertoire et je lui préfère Hans Hotter. Je trouve tout simplement magique ce que fait Fritz Wunderlich. On a l’impression qu’il raconte sa vie, avec une beauté vocale extraordinaire mais avec la simplicité de la confession, sans appuyer la diction et en faire quelque chose de fabriqué. Hotter avait un côté presque précieux dans la diction, compensé par sa voix si vibrante et sa nature extraordinaire

Le Concertographe : Quels sont les autres chanteurs qui vous ont marqué et que vous admirez?

Ludovic Tézier : Je suis d’une nature curieuse et dès que j’ai su que je deviendrai chanteur, j’ai commencé à creuser un peu partout. Il y a Corelli, bien sûr, car ce genre de voix, de grands animaux de scène, manquent aujourd’hui. Je suis très circonspect sur la plupart de mes camarades actuels, pas par rapport à leur talent, mais par rapport à leurs disques. Ce n’est pas souvent de leur faute, mais les moyens techniques utilisés ne leur permettent pas toujours de s’exprimer comme ils le font sur scène. J’achète rarement des disques modernes, à part Lakmé avec Nathalie Dessay dernièrement car c’est pour moi une des quatre ou cinq grandes artistes du moment. J’ai plutôt tendance à aller voir dans les chanteurs des années trente.

Le Concertographe : Vous ne comptez pas faire de disques ?

Ludovic Tézier : Je n’attends pas après cela, ce qui ne veut pas dire que je ne veux pas en faire. Cela m’ennuierait beaucoup de faire un disque dans des conditions qui me déplairaient. La prise de son et la très haute fidélité sont chez moi une marotte et je suis un peu insupportable à ce propos. Je crois que je serais assez invivable pour un ingénieur du son, ou je serais frustré si je n’étais pas maître du produit. Je préférerais faire un enregistrement pour un petit label où il n’y a pas de grosses tables de mixage mais plutôt deux micros et c’est tout. Si je suis au niveau, ce sera sûrement la meilleure façon de faire un disque. Les enregistrements anciens ont une chose extraordinaire : ils sont faits sans coupures, les morceaux sont vraiment chantés du début à la fin, l’artiste à le temps de développer son interprétation. Aujourd’hui, c’est fini et pour des raisons complètement stupides. Cela apporterait peut-être quelque chose à ma carrière de faire des disques, mais d’un point de vue artistique ce n’est peut-être pas le plus intéressant. Je suis vraiment pour le live , avec ses défauts et ses qualités, car c’est la vie. Certains ingénieurs du son semblent croire que l’on vit dans des chambres sourdes, mais j’aime le son qui résonne, qui vibre naturellement. De plus, on a aujourd’hui la possibilité technique de faire de bons enregistrements live.

Le Concertographe : Quels sont vos rôles favoris ?

Ludovic Tézier : Zurga commence à beaucoup me plaire après ces trois représentations. J’adore aussi le Comte des Noces de Figaro, absolument génial à faire en scène. C’est un rôle très énergisant. Je l’ai fait dans trois productions différentes, ce qui m’a permis de le creuser un peu. Je trouve le personnage très viril, un peu psychopathe, franchement fou de colère dans son air. Il s’y montre vraiment antipathique. Dans le duo précédent, il est totalement aveuglé par Suzanne, si gâteux qu’il ne se rend pas compte qu’elle est en train de lui jouer un tour formidable. Puis tout d’un coup, il explose.

Le Concertographe : Cela vous permet de libérer certains traits de votre caractère ?

Ludovic Tézier : Pas du tout ! Je ne deviens psychopathe qu’après minuit les jours de pleine lune, vous ne craignez rien !
J’aime jouer sur scène des rôles de méchants, mais seulement sur scène. On libère ainsi une énergie intérieure extraordinaire, qu’on n’a jamais l’occasion d’exprimer au quotidien. C’est le même plaisir que celui qu’on peut éprouver en faisant du sport de haut niveau. Je ne prends pas de l’EPO, je chante le Comte! Il y également Guglielmo et, bien sûr, Don Juan. Si on chante ces trois rôles en se donnant vraiment à fond, on n’en sort pas indemne. On ne va pas forcément se jeter dans la Garonne aussitôt après, mais on sent qu’on a vécu une forte expérience humaine, qui apprend des choses intéressantes même sur sa propre psychologie.

Le Concertographe : Quels sont les rôles que vous voudriez aborder ?

Ludovic Tézier : Des rôles de gros méchants, bien sûr, qui m’enverraient en prison dans la vie réelle: Iago, Scarpia… Je ne sais pas si je les ferai, il faut aussi en avoir les moyens, mais ce doit être merveilleux à faire sur scène.

Le Concertographe : Comment voyez-vous l’évolution de votre voix et de votre carrière ?

Ludovic Tézier : Je la vois tous les jours. La voix évolue comme le physique. Je souhaite avant tout chanter longtemps, donc j’éviterai les rôles surdimensionnés et j’essaierai de prendre mon temps.Si on me proposait aujourd’hui des rôles comme Iago ou Scarpia, je les refuserais. Pas seulement pour protéger ma voix mais aussi parce que je sais que j’en tirerai plus de plaisir avec plus d’expérience de la scène, dans dix ans si je chante encore. Ce n’est donc pas la peine de se presser, d’autant plus qu’il existe avant cela des rôles qui permettent de bien se préparer. En fait, je suivrai ma voix, elle seule me dira ce que je pourrai chanter. Quand Nicolas Joël m’a proposé de faire quelques représentations en Zurga, j’ai accepté parce que cela me permettait de m’essayer à ce rôle et que je pensais pouvoir le chanter. Mais je n’en étais pas sûr à cent pour cent. J’ai essayé, cela a marché, maintenant je peux passer à autre chose.

Le Concertographe : Quels sont vos projets futurs ?

Ludovic Tézier : Ils sont assez nombreux. D’abord un concert à Hambourg en décembre dans Pulcinella de Stravinski, ensuite je chanterai Don Juan et Escamillo à l’Opéra-Comique. Puis j’enchaîne Ford dans Falstaff aux côtés de José van Dam à Lyon et l’Opéra Bastille pour de petits débuts dans Schaunard de La Bohème, un rôle que j’aime bien. Enfin, je retournerai en Israël où j’étais avant ce spectacle pour chanter Belcore de L’élixir d’amour. Après, j’arrêterai un peu, il faut bien que je dorme de temps en temps.

Le Concertographe : La mise en scène des Pêcheurs de perles a été très controversée. Quel est votre avis sur cette production ? Quelles ont été vos relations avec Petrika Ionesco ?

Ludovic Tézier : Il est très facile à vivre, c’est un personnage très coloré, agréable et un vrai professionnel. Je ne trouve pas que sa mise en scène puisse soulever une telle tempête, ni dans un sens ni dans l’autre. Elle est fonctionnelle mais pâtit beaucoup du passage de la salle de l’opéra de Bordeaux à celle, plus petite, de Toulouse. Je ne la pense tout de même pas insupportable. J’ai bien aimé son aspect figuratif, proche de certains films des années quarante/cinquante aux couleurs assez saturées ou des livres d’enfants. Il est presque novateur de voir aujourd’hui de grands décors.

Le Concertographe : Vous partagez l’affiche avec le baryton américain Rodney Gilfry. Quelles ont été vos relations avec lui ? Avez-vous eu l’occasion de travailler le rôle ensemble?

Ludovic Tézier : Nos relations ont été très bonnes, très positives. Je l’avais déjà entendu chanter le Comte à la télévision et, à la fin du spectacle, j’avais dit à ma femme : “Il chante bien, ce type-là”. C’est un bon musicien, il a un bon physique, je l’apprécie beaucoup. Il nous est arrivé de nous donner quelques conseils, de nous entraider. Voilà un avantage d’être un baryton : il n’y a aucune concurrence entre nous. Je n’ai que de bonnes relations avec mes collègues.

Le Concertographe : Comptez-vous revenir à Toulouse ?
Ludovic Tézier : À priori oui, mais je ne sais pas encore dans quel rôle. Ils semblent avoir envie de travailler à nouveau avec moi, cela tombe bien, j’ai très envie de travailler avec eux. Le Capitole fait partie pour moi des maisons où j’aurais envie de venir régulièrement, grâce à l’ambiance bienveillante que les gens qui y travaillent savent créer autour des chanteurs. J’y ai noué de bonnes relations, j’y suis bien. Le jour de ma première représentation en Zurga, j’aurais pu arriver les mains dans les poches tellement j’étais détendu. Ce n’est pas partout pareil! Et puis, il est agréable de se retrouver dans une ville comme Toulouse lorsqu’on vit six ou sept mois par an loin de chez soi. Heureusement, pour l’instant ma petite fille et ma femme peuvent me suivre dans mes déplacements, mais cela s’arrêtera lorsque ma fille ira à l’école. Les choses seront alors plus difficiles. Ma famille compte beaucoup plus que ma carrière, mais il faut bien que je les fasse manger!

Propos recueillis par Laurent Marty.


QUESTIONS À RODNEY GILFRY



Le Concertographe : Comment vous est venu votre goût pour le chant ?

Rodney Gilfry : Mon père est musicien et chef d’orchestre, il dirige également les fanfares des matchs de football, et son amour pour la musique m’a beaucoup marqué. Ma mère était institutrice et dirigeait les chœurs de l’école ce qui fait que j’ai commencé à chanter tout enfant. Plus tard, au lycée, je me suis produit dans quelques musicals avec celle qui est devenue ma femme. J’ai alors décidé de me lancer dans la carrière de musicien, comme professeur de musique. Mais tout a changé à l’université car on a trouvé que j’avais une bonne voix et des talents d’acteurs. J’ai donc chanté quelques petits rôles dans des opéras ce qui m’a décidé à devenir chanteur. J’ai étudié six ans avec Martial Singher tout en commençant à me produire dans des concerts à Los Angeles. Mes vrais débuts professionnels ont eu lieu lorsque l’opéra de Francfort m’a proposé un contrat, en 1987.

Le Concertographe : Vous avez étudié avec Martial Singher. Comment s’est fait ce choix ?

Rodney Gilfry : Je l’ai rencontré pour la première fois lors d’une masterclass à l’université de Californie et il m’a ensuite invité à l’académie de Santa-Barbara. En effet, quelqu’un était tombé malade et il m’a téléphoné pour savoir si cela m’intéressait de chanter le rôle du père Capulet dans Roméo et Juliette. J’ai bien sûr accepté.

Le Concertographe : Vous a-t-il guidé vers un certain répertoire ?

Rodney Gilfry : Oui, car nous n’avons pas eu l’opportunité de travailler vraiment sur des rôles d’opéras, nous en avons vu un ou deux peut-être, et nous nous sommes concentrés sur la mélodie française et allemande. Lorsque j’ai chanté Figaro des Nozze di Figaro à Hambourg en 1989, mon premier grand rôle, je l’ai étudié avec Martial Singher, mais nous avions seulement six semaines pour le préparer.

Le Concertographe : Quelle a été son influence sur votre façon de comprendre le chant ?

Rodney Gilfry : Il a beaucoup compté pour moi parce que les professeurs que j’avais eu avant lui n’étaient intéressés que par le seul aspect technique du chant, la place du larynx, de la langue… De plus, leurs avis étaient assez divergents ce qui m’avait rendu plutôt perplexe. Lors du premier cours de Martial Singher auquel j’ai assisté, il a fait une petite démonstration à la classe. “Lorsque je veux que ma voix soit légère, je chante ainsi” et il s’est mis à chanter l’air de la Reine Mab. “Et lorsque je veux chanter avec une voix sombre” et il enchaîne sur “O Isis und Osiris”. “Voilà, c’est ainsi que l’on chante.” Alors moi : “Mais, monsieur Singher, je vois clairement que vous changez la place de votre larynx, plus haut pour la voix légère et plus bas pour la voix sombre.” Il a ricané et m’a répondu : “Mon cher, je n’ai pas de larynx.” “Mais, c’est ridicule, monsieur, vous en avez bien sûr un.” “Non, car je ne pense jamais à ces questions techniques.”
Cela a été une révélation. Son système de chant était très naturel et très musical, vraiment expressif. Mais en contrepartie, je ne suis pas bien certain d’avoir vraiment appris une technique. J’ai aujourd’hui l’impression qu’elle n’est pas très sûre. Je sais comment on chante et ce que je dois faire en principe, mais pas dans le détail ce qui me fait chanter différemment chaque langue et chaque rôle. Je trouve d’ailleurs ennuyeux de tout chanter sur le même ton. Il m’a apporté le sens de l’interprétation.

Le Concertographe : Quels sont les chanteurs que vous admirez?

Rodney Gilfry : Parmi les barytons, j’aime beaucoup Robert Merill mais aussi Bastianini, Cappuccilli et Thomas Hampson. Techniquement, il est très sûr et son répertoire est très étendu.

Le Concertographe : Avez-vous eu l’occasion de travailler avec lui?

Rodney Gilfry : Une seule fois, en juin dernier lors d’un enregistrement de Wonderful Town de Bernstein dirigé par Simon Rattle. Mais je le connaissais avant car nous avons chanté en même temps à l’opéra de Zurich, au Met et dans d’autres théâtres. Il est très sympathique.

Le Concertographe : Vous paraissez très à l’aise en scène et votre physique athlétique vous a fait comparer à Marlon Brando. Pensez-vous inaugurer un nouveau concept du chanteur lyrique véritablement acteur ?

Rodney Gilfry : C’est une chose très importante pour moi. Parfois trop importante, j’en oublie parfois même de chanter! J’aime beaucoup jouer et je pense qu’aujourd’hui il ne suffit plus de bien chanter. Le public n’attend plus les mêmes choses qu’il y a quinze ou vingt ans, il a moins de tolérance pour les chanteurs qui ne correspondent pas au rôle. Il existe aujourd’hui beaucoup de bons chanteurs possédant un physique approprié à leurs rôles. Je cherche a toujours faire un spectacle qui paraisse vrai, où l’on peut croire à ce qui se passe sur scène.

Le Concertographe : Est-ce que votre préparation physique vous aide pour la technique vocale?

Rodney Gilfry : Non. Lorsqu’on chante bien, efficacement, on a pas besoin de beaucoup de puissance physique. Sinon, quelque chose ne va pas. Je fais beaucoup de musculation parce que je crois que cela peut être important pour certains rôles. Par exemple, Billy Budd doit avoir le physique d’un véritable marin. Je me sens mieux, plus calme, plus heureux après avoir fait du sport, j’ai plus confiance en moi. C’est important également, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire pour le chant. Les plus grands chanteurs du passé n’étaient pas nécessairement sveltes!

Le Concertographe : Vous avez régulièrement collaboré avec John Eliot Gardiner. Que vous a apporté cette collaboration avec un chef célèbre ?

Rodney Gilfry : Pour moi, ce n’est pas un chef célèbre, c’est tout simplement John Eliot! C’est un grand plaisir de travailler avec lui. Ses exigences sont élevées, il exige beaucoup de ses chanteurs, mais on se sent vraiment libre. Il y a une grande confiance entre nous.

Le Concertographe : Quels sont vos rôles favoris ?

Rodney Gilfry : J’aime beaucoup Billy Budd, le Comte Almaviva, Figaro, et également Ford dans Falstaff.

Le Concertographe : Ces rôles vous permettent de vous exprimer en scène ?

Rodney Gilfry : Oui, bien sûr! Je n’aime pas beaucoup le répertoire du bel canto car je le trouve faible dramatiquement, même si les opéras de Bellini ou Donizetti sont formidables à chanter tant ils sont bien écrits pour la voix. Mais l’action n’y est pas toujours bien servie par la musique.

Le Concertographe : Quels sont les rôles que aimeriez chanter mais que vous n’aborderez pas, ou plus tard ?

Rodney Gilfry : Déjà, il y a des rôles avec lesquels je n’ai pas eu beaucoup de succès, comme Ernesto dans Il Pirata ou Hérode dans Hérodiade. Je l’ai chanté à Zurich mais il demande une voix plus dramatique que la mienne. Je réessaierai peut-être dans quinze ans. Il y a aussi des rôles que j’aborderai plus tard, comme Ulysse dans Il ritorno d’Ulisse in patria que je chanterai en 2002 à Munich, Oreste dans Iphigénie en Tauride, Dandini dans La Cenerentola ou Einsenstein dans Die Flerdermaus. Enfin, des rôles que j’aimerais chanter mais pour lesquels je n’ai pas d’engagement: Eugène Onéguine ou le Hamlet d’Ambroise Thomas.

Le Concertographe : Comment voyez-vous l’évolution de votre voix et de votre carrière?

Rodney Gilfry : Je suis totalement satisfait par ma carrière. J’ai beaucoup de travail, plus que je ne peux en accepter ce qui est toujours bon. Ma voix ne cesse d’évoluer et chaque semaine je découvre quelque chose de nouveau. Elle devient lentement un peu plus dramatique mais je n’ai aucune envie de ne chanter que des rôles dramatiques pour autant. Je pense me consacrer beaucoup plus au récital dans les années à venir. Je dois en faire à Carnegie Hall, à San Francisco, Washington… C’est très important pour moi. Je veux également commencer une carrière d’acteur et j’ai écrit une mini-série pour la télévision, où je me suis naturellement réservé un bon rôle, mais dont la star serait un acteur célèbre dont je ne peux dire le nom. On verra si cela marche.
Je veux continuer à chanter mais je veux aussi pouvoir consacrer plus de temps à ma famille. J’ai trois enfants, une femme superbe et beaucoup de famille en Californie du sud. Mais je voudrais travailler aussi quand je suis chez moi et, comme nous habitons très près de Los Angeles et que nous avons beaucoup d’opportunités de faire des films ou de la télévision, j’espère pouvoir commencer cette nouvelle carrière.

Le Concertographe : Voilà qui est original, pour un chanteur d’opéra!

Rodney Gilfry : Pas tant que cela, Lawrence Tibett a fait de nombreux films, Whilelmenia Fernandez en a fait un, et les opportunités sont encore plus nombreuses aujourd’hui.

Le Concertographe : Vous avez récemment assuré la création de l’opéra Un Tramway nommé désir d’André Previn. Désirez-vous garder une place dans votre répertoire pour des œuvres contemporaines ?

Rodney Gilfry : J’espère avoir la chance d’assurer d’autres créations. Cela a été le sommet de ma carrière. C’était un formidable honneur que de pouvoir créer un rôle dans une telle œuvre et de pouvoir travailler avec le compositeur.

Le Concertographe : Comment trouvez-vous le rôle de Zurga ?

Rodney Gilfry : C’est la première fois que je le chantais. La musique est belle, bien écrite pour la voix et c’est un plaisir de la chanter. L’opéra n’est pas un chef-d’œuvre car certains moments sont un peu faibles dramatiquement.

Le Concertographe
: La mise en scène des Pêcheurs de perles a été très controversée. Quel est votre avis sur cette production ? Quelles ont été vos relations avec Petrika Ionesco ?

Rodney Gilfry : J’aime beaucoup Petrika, qui est un metteur en scène intelligent. Il a cherché à créer une atmosphère exotique, différente, en fait difficile à accepter pour notre mentalité. Certains gestes ne nous ont pas toujours paru logiques par rapport à la musique et nous nous sommes parfois un peu opposés. Je crois que son idée était très valable, mais dans un autre contexte et pour un théâtre plus grand.

Le Concertographe : Vous avez partagé l’affiche avec le baryton français Ludovic Tézier. Quelles ont été vos relations avec lui ? Avez-vous eu l’occasion de travailler le rôle ensemble?

Rodney Gilfry : Nos relations ont été très bonnes. Nous avons beaucoup parlé du rôle et de ses difficultés, nous nous sommes regardés en scène pour pouvoir nous conseiller. C’était très intéressant de pouvoir avoir ce regard de l’un sur l’autre. Je pensais que cela pourrait me poser problème de voir un autre chanteur dans le même rôle que moi, qu’il pourrait y avoir un peu de rivalité entre nous. Pas du tout, nous sommes devenus amis et c’était formidable de pouvoir travailler ensemble. Nous avons beaucoup appris l’un de l’autre. Il a une très belle voix.

Le Concertographe : Comptez-vous revenir à Toulouse ?

Rodney Gilfry : Je ne sais vraiment pas, mais je reviendrai volontiers si on me propose un rôle intéressant. Nous avons évoqué quelques possibilités pour le futur.

Propos recueillis par Laurent Marty.

Un site web sur Rodney Gilfry sera disponible d’ici quelques semaines. Son adresse : www.rodneygilfry.com


Laurent Marty

 

 

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