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Longue vie aux colombes

Paris
Salle Pleyel
12/20/2007 -  
2007 l’Odyssée de l’orchestre

Jean Manifacier (conception, mise en scène, présentation), Gabriel Pidoux (présentation)
Philippe Berrod, Pascal Moraguès (clarinette), Giorgio Mandolesi (basson), Bruno Tomba (trompette), Christophe Sanchez (trombone), Nicolas Martynciow (percussion), Jacqueline Billy-Hérody, Christiane Chrétien, Roland Daugareil (violon), Françoise Douchet-Lebris (alto), Emmanuel Gaugué, Jeanine Tétard (violoncelle), Marc Trenel, Alexandre Gattet (guitares), Vincent Pasquier (guitare basse, contrebasse), Sirba Octet
Chœur de l’Orchestre de Paris, Didier Bouture et Geoffroy Jourdain (direction), Orchestre de Paris, Philippe Aïche, Serge Baudo, Christoph Eschenbach (direction)


Tandis qu’approchent les fêtes de fin d’année, les anniversaires se succèdent: après le centenaire de Gaveau (voir ici), voici, toujours sous le haut patronage du Président de la République, les quarante ans de l’Orchestre de Paris, auxquels ont été associés, avec un petit peu d’avance, les cent quatre-vingts ans de son illustre prédécesseur, la Société des concerts du Conservatoire, qui donna son premier concert le 9 mars 1828.


Dès 16 heures 30, le film «1967-2007: l’Orchestre de Paris fête ses 40 ans» coréalisé par Christian Labrande et Frédéric Delesques à partir d’archives de l’INA était projeté dans le hall de la Salle Pleyel, suivi d’animations musicales offertes par les étudiants du CNSM et du CNR. Mais il fallait attendre 20 heures pour le point d’orgue de cette célébration, sous la forme d’un spectacle proposé au tarif fort (jusqu’à 130 euros), qui aura attiré un auditoire aussi mondain que fidèle – notamment au moins deux ministres et bon nombre d’anciens ministres. Deux heures trois quarts qui, malgré l’absence de discours officiels, auront sans cesse hésité entre les conventions et les figures obligées, d’une part, et une approche plus décalée et ironique, dans l’esprit des concerts Hoffnung ou de la confortable autoparodie d’une cérémonie de remise des Césars, d’autre part.


La conception et la mise en scène de cette soirée, impeccablement réglée malgré les sueurs froides qu’elle a dû provoquer en régie, ont été confiées à Jean Manifacier. Il en assure en même temps la présentation avec Gabriel Pidoux dans un numéro de duettistes parsemé de faux incidents auxquels on ne croit jamais et fonctionnant selon un principe assez convenu – ridicule de l’adulte pédant contre vivacité et insolence du gamin de onze ans. Le programme a visiblement évolué jusqu’à la dernière minute, ce dont témoigne l’insertion d’une feuille volante au contenu sensiblement différent de celui figurant dans le livret distribué aux spectateurs, par ailleurs riche d’un long historique signé Alain Pâris, d’une émouvante iconographie et d’une illustration de couverture par Plantu.


Intitulé «2007 l’Odyssée de l’orchestre», il renvoie bien évidemment au film de Kubrick, contemporain de la naissance de l’orchestre et qui semble devoir servir de fil rouge. Philippe Aïche (premier violon solo) lance donc l’introduction d’Ainsi parlait Zarathoustra (1896) de Strauss, puis le grand écran, qui recouvre presque entièrement les tribunes du chœur, diffuse de fausses «actualités» détournant mai 1968 et la conquête spatiale. Déguisés en babas cool, les membres du Chœur de l’Orchestre de Paris chantent All you need is love (1967) de Lennon, sur fond d’images «flower power» aux couleurs criardes de l’époque mais dans une sonorisation médiocre, sur une orchestration par Lionel Bord (basson), où Marc Trenel (basson), Alexandre Gattet (hautbois) et Vincent Pasquier (contrebasse) s’illustrent… à la guitare électrique.


Serge Baudo, lui, a franchi le cap des deux fois quarante ans le 16 juillet dernier. Il fut, dès la fondation de l’orchestre par Marcel Landowski, «premier chef», secondant alors le directeur musical, Charles Munch. Saisi par l’émotion, il rappelle comment il a été amené, lors de la tournée américaine de novembre 1968, à succéder au maître, subitement décédé, puis à assumer la transition avant l’arrivée de Karajan comme «conseiller musical» l’année suivante. Dans la seule lumière bleutée des pupitres, pendant qu’un immense portrait de Munch se dessine au-dessus de la scène, il vient de diriger De l’aube à midi sur la mer, premier volet de La Mer de Debussy, à l’affiche du premier concert de la formation, le 14 novembre 1967 au Théâtre des Champs-Elysées: une Mer calme et élégante, d’un suprême raffinement, pas très munchienne, à vrai dire, mais d’une belle poésie. Baudo met fin à cet indispensable hommage à Munch – en présence de deux ses amis les plus chers, Henri Dutilleux et Seiji Ozawa – et à la première des quatre parties du programme, en dirigeant une adaptation de Happy birthday to you, à nouveau due à Lionel Bord, dans le style soyeux des grandes comédies musicales américaines.


Ensuite, le cours de l’«Odyssée» se perd de vue, l’écran montrant les Padoks, cousins des Shadoks, qui découvrent Varèse – avec percussions en direct – alors qu’ils cherchaient Mozart. Et impossible d’échapper aux «tubes» de l’orchestre: Christoph Eschenbach dirige ainsi La Valse (1920) de Ravel, capiteuse à souhait et respectueuse de ses modèles (Johann et Richard-) straussiens, mais aussi, avec hélas trop de lourdeur et d’affectation, Un bal de la Symphonie fantastique (1830) de Berlioz – encore un souvenir du concert inaugural de 1967.


Et comme la Société des concerts du Conservatoire, ancêtre de l’Orchestre de Paris, a été la première à jouer en France les symphonies de Beethoven, Lionel Bord en a effectué une synthèse: en moins de onze minutes, on commence bien par la Première pour finir sur l’Ode à la joie – avec le Chœur de part et d’autre du parterre, non sans décalages avec le plateau – mais entre-temps, on passe rapidement de l’une à l’autre, en s’autorisant même de brèves incursions dans Mozart (Quarantième, Quarante et unième) ou Mahler (Première), mais aussi une «citation dans la citation» (la manière dont Falla utilise la Cinquième dans son Tricorne) ainsi que «l’idée fixe» de la Fantastique qui tente de s’imposer à plusieurs reprises – mais après tout, Berlioz fut l’un des auditeurs les plus enthousiastes de ces créations beethovéniennes au tournant des années 1830. Un exercice plaisant, même si d’autres l’ont déjà tenté auparavant (Pierre Henry ou Peter Schickele, alias P.D.Q. Bach).


Le fil rouge disparaît d’autant plus que le découpage en décennies se délite, la période «1987-1997» étant simplement évoquée par les fameuses photos de la construction (1961) et de la chute (1989) du Mur de Berlin, pendant que le Chœur interprète Locus iste (1869) de Bruckner: moment de saluer, avec Emmanuel Gaugué dans l’Allegro molto final du Premier concerto (1765) de Haydn, le violoncelliste de la liberté, Mstislav Rostropovitch, qui dirigeait l’orchestre voici à peine plus d’un an (voir ici).


Dès lors, s’il ne faut retenir qu’une chose de cet assemblage hétéroclite, c’est sans doute la manière dont l’orchestre a été mis en valeur, sans vedette invitée mais aussi dans toutes ses composantes (l’entracte ayant permis de faire tourner certains pupitres), y compris le Chœur, qui avait lui-même fêté ses trente ans la saison dernière (voir ici): soliste comme avec Emmanuel Gaugué; carré de dames (en quatuor à cordes) assisté par Giorgio Mandolesi (basson), qui annonce les plats d’un fantaisiste menu italien en harmonie avec des arrangements de Happy birthday par un improbable Claus-Peter Ludwig; septuor réuni autour de Roland Daugareil (premier violon solo) dans les trois danses de la Suite de L’Histoire du soldat (1917) de Stravinski; Sirba Octet dans un Happy birthday klezmer sous l’impulsion du formidable Philippe Berrod (clarinette); les quatorze altos emmenés par David Gaillard dans sa transcription (abrégée en moins de dix minutes) de Roméo et Juliette (1869) de Tchaïkovski.


En fin de parcours, l’Orchestre de Paris jette encore un regard sur son passé: d’anciens musiciens se joignent ainsi à une superbe interprétation de la Suite du Chevalier à la rose (1910) de Strauss sous la direction d’Eschenbach. Mais il se tourne en même temps vers son avenir: tandis que retentissent les derniers accords de l’adaptation d’«Avec la garde montante» de Carmen (1875) de Bizet, une nuée de jeunes enfants, portant chacun sur son tee-shirt noir l’une des lettres de «joyeux anniversaire», prend d’assaut les marches des tribunes. Et apparaît sur l’écran la maquette de la future «Philharmonie de Paris» à La Villette: rappel opportun à la ministre de la culture, mais perspective en tout état de cause suffisamment lointaine (2012) pour qu’elle concerne moins Eschenbach – qui a encore tout récemment exprimé sa déception quant à son départ de Paris – que celui qui le remplacera à compter de 2010, Paavo Järvi.


Alors va donc encore pour un Joyeux anniversaire – la «garde montante» fera sans nul doute encore des progrès en termes de justesse – qu’Eschenbach fait reprendre au public. Jusque dans le bis, on aura beaucoup dansé – mais rien de plus normal pour un événement de caractère festif: après Lennon, Ravel, la musique klezmer, Stravinski, Berlioz et Strauss, «l’orchestre TGV» («très grande virtuosité») confirme dans l’étourdissante Danse des comédiens tirée de La Fiancée vendue (1866) de Smetana la remarquable et constante qualité qui est la sienne. Peu importe, dans ces conditions, que les deux premiers violons solo, partageant difficilement le même tabouret, fassent mine de se chamailler, et qu’Eschenbach confie la baguette aux enfants qui se sont regroupés autour de son podium: Malraux, Landowski et Munch ont réussi leur pari, longue vie aux colombes de Braque, symboles de l’Orchestre de Paris depuis quarante ans.



Simon Corley

 

 

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