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Tannhäuser au régime spécial

Paris
Opéra Bastille
12/06/2007 -  Et les 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27 & 30 décembre
Richard Wagner : Tannhäuser
Franz-Josef Selig (Hermann), Stephen Gould (Tannhäuser), Matthias Goerne (Wolfram), Michael König (Walther von der Vogelweide), Ralf Lukas (Biterolf), Andreas Conrad (Heinrich der Schreiber), Wojtek Smilek (Reinmar von Zweter), Eva-Maria Westbroek (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Vénus), Joumana Amiouni, Lilla Farkas, Laetitia Jeanson, Corinne Talibart (Vier Edelknaben). Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, direction Seiji Ozawa/Pierre Vallet (27 & 30 décembre). Mise en scène : Robert Carsen.



Pauvre Robert Carsen ! Après Alcina, c’est son Tannhäuser qui est frappé. Mais Alcina était une reprise, Tannhäuser une nouvelle production – la première que Gérard Mortier lui ait confiée. Et dans l’opéra de Haendel, l’on voyait quelque chose. Cette fois, plus de décors du tout, à l’exception d’une harpe au milieu de l’avant-scène, derrière le rideau noir qui délimite l’espace où les chanteurs vont bouger. Le syndicat SUD et le syndicat minoritaire FSU, les seuls à n’avoir pas signé l’accord sur les régimes spéciaux, non seulement bafouent le public, qui a payé, mais sabotent l’ouvrage d’un metteur en scène – dont on sait l’attention à chaque détail - et de toute une équipe. On travaille dans le temple de l’art et on bafoue les artistes. Pour conserver leur régime, ils mettent Tannhäuser à la diète. Le triomphe que le public a réservé au spectacle – si l’on peut dire – signifiait-il qu’ils avaient raté leur cible ? Peut-être. Mais attention aux effets pervers : certains pourraient croire qu’on se passe très bien de ce dont on nous prive. Rien n’est moins vrai : à moins de version de concert programmée comme telle, on va à l’Opéra pour voir un spectacle, que l’on appréciera à sa guise, pas un « arrangement scénique, avec costumes et lumières ». C’est précisément pour cette raison que nous ne nous prononcerons pas sur la mise en scène.


Un communiqué de l’Opéra ajoute, assez pompeusement, que cet arrangement vise à « soutenir l’excellente performance musicale de l’orchestre et des chœurs, avec une distribution exceptionnelle sous la direction musicale galvanisante de Seiji Ozawa ». Bref, on fait à la fois la promotion et la critique, tout en reconnaissant que « cet arrangement scénique, bien évidemment, ne reflète pas la mise en scène ». En d’autres termes, Gérard Mortier est embarrassé et on le comprend. A titre de compensation, les spectateurs frustrés se verront accorder une remise de 15% sur les cinq prochains spectacles. Sans jouer les prophètes de mauvais augure, imaginons qu’ils subissent le même sort… Pas question de remboursement en tout cas… puisque, encore une fois, l’orchestre et les chœurs sont excellents et que les chanteurs sont exceptionnels…


Là est donc la question. Seiji Ozawa fait en effet un travail remarquable sur la partition à la tête d’un orchestre qui, visiblement, prend plaisir à travailler en sa compagnie et confirme qu’il est, quand il le veut et que le chef le veut, le meilleur de Paris. Il dose ses plans sonores avec une subtilité exemplaire, résolvant parfaitement le problème des cuivres, pierre d’achoppement de tant d’interprétations wagnériennes. La sonorité est à la fois claire et onctueuse, la dynamique riche et subtile, on croirait avoir la partition sous les yeux. Il reste que cette direction est plus plastique que théâtrale, qu’elle manque d’intensité et de fureur dans le Venusberg, qu’elle n’évite pas les décalages – criants – avec le chœur dans l’entrée des invités. En un mot, on croit parfois écouter Parsifal plutôt que Tannhäuser. Mais, encore une fois, on n’a jamais entendu, depuis le début de la saison, sonner ainsi l’orchestre de l’Opéra.


Déjà Tannhäuser à Genève dans la désormais fameuse production d’Olivier Py (lire ici), Stephen Gould a pris de l’assurance, moins prudent au premier acte, où il chante toujours aussi juste – c’est chose rare - l’Hymne à Vénus, plus tourmenté, plus raffiné, plus profond dans le récit du retour de Rome ; mais – parce qu’il a osé Siegfried ? – la voix s’est durcie et raidie dans les aigus, parfois attaqués sans ménagement. En revanche, Eva Maria Westbroek n’est pas loin de l’idéal avec sa voix lumineuse, charnue, sensuelle, avec son émission souple, sans les vibrations d’une Nina Stemme ; on aime vraiment beaucoup cette Elisabeth passionnée, frémissante, rayonnante, qui ne prendra qu’au troisième acte son visage de sacrifice. Sensuelle et passionnée aussi, la première Vénus de Béatrice Uria-Monzon, dont le timbre ne cesse de gagner en opulence, mais moins raffinée, au chant un peu épais, qui pourra néanmoins, quand elle se sera davantage approprié le rôle, devenir une grande interprète de la voluptueuse déesse. Matthias Goerne confirme-t-il qu’il faut, pour Wolfram, un Liedersänger comme, jadis ou naguère, un Janssen, un Fischer-Dieskau ou un Prey ? A condition d’avoir assez de réserves. Lorsqu’on est proche de la ballade ou du Lied, le timbre velouté fait merveille, la voix se projette parfaitement, l’extrême raffinement du phrasé rendent au personnage toute sa noblesse – quelle belle Romance à l’étoile ! Mais lorsque l’écriture se tend, devient plus opératique, comme dans « Dir, hohe Liebe, töne » au deuxième acte, la voix accuse ses limites et s’engorge dangereusement. Franz Josef Selig tranche sur les Landgraves trop chenus ou trop noirs – certains ont du mal à oublier leur Hagen ou leur Fafner – trouvant le ton juste entre la tendresse tutélaire et l’autorité affirmée, accusant cependant une fâcheuse tendance à détimbrer les nuances. Les seconds rôles sont impeccables, du petit Pâtre au Biterolf bien campé de Ralf Lukas. Souvent sollicité, le chœur contribue à la qualité de l’ensemble, à ceci près qu’il est parfois en coquetterie avec la mesure et que les aigus des dames ne sont pas toujours parfaitement justes.


Bonne chance à ceux – qu’on espère le plus nombreux possible – qui verront le spectacle tel qu’ils sont en droit de l’attendre.



Didier van Moere

 

 

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