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Le Viol de Lucrèce ou l'émotion tragique

Tours
Opéra de Tours
02/09/2007 -  


Benjamin Britten : The Rape of Lucretia



Marie-Thérèse Keller (Lucretia), Anna Destraël (Bianca), Marina Lodygensky (Lucia), Sophie Fournier (Female Chorus), Jean-Sébastien Bou (Tarquinius), Jean Teitgen (Collatinus), Aimery Lefèvre (Junius), Michael Bennett (Male Chorus)
Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, Emmanuel Trenque (direction)
Gilles Bouillon (mise en scène), Bernard Pico (dramaturgie), Nathalie Holt (décors et costumes), Michel Theuil (lumières)

Britten, pour son premier opéra de chambre, s'est davantage intéressé à l'ossature psychique des personnages en scène, à l'essence d'un drame, à une trajectoire de l'inéluctable, qu'aux contorsions inextricables propres aux péripéties.



L'esthétique du nouveau genre est donnée : quatre hommes, quatre femmes, un orchestre de treize instruments. Britten et le librettiste Ronald Duncan gardent de la tragédie le verbe versifié, suscitent l'idée ou l'image sans jamais forcer le trait.



A Tours, malheureusement, l'orchestre symphonique en réduction force un peu le trait, tente de compenser la mise en sous-effectif volontaire sans bien saisir, apparemment, les enjeux défendus par les auteurs de l'œuvre, par le metteur en scène Gilles Bouillon, qui reprenait cette saison sa première mise en scène pour l'opéra, mesurant ainsi le chemin parcouru depuis 1998.



En fosse, la direction d'Emmanuel Trenque est donc un peu monolithique. Cherchant trop à faire développer le son, le chef altère une balance délicate à établir dans ce style d'œuvre, finalement plus chambriste qu'opératique. Le plus souvent, les échanges entre le plateau et la fosse ne sont pas fluides, on ne saisit pas assez de respirations communes, les impulsions rythmiques manquent autant que la tension tragique. De rares fois, comme lorsque l'orchestre soutient l'intervention «too late» de Collatinus, on remarque une idée de ponctuation rythmique et de préséance des parties instrumentales les unes par rapport aux autres mais ni les timbres ne s'allient, ni les impulsions sont en réelle cohésion. Seule la harpe (de Danièle Charaud) est garante du lien entre fosse et plateau. Ainsi rejoint-elle l'acuité développée par les chanteurs et leur metteur en scène, une acuité qui rend possible, pour l'auditeur, la prémonition de l'éclat de Tarquin puis la mort de Lucrèce.



Sur le plateau, en avant-scène, deux personnages qui n'en font qu'un : le chœur, omniprésent, narratif, tout de noir vêtu. Le plus souvent, on les trouve un à cour, l'autre à jardin : ils supportent, dans tous les sens du terme, le drame. Michael Bennett, dans sa langue maternelle, domine, passionne dans les passages quasi-parlés, qui sont plus délicats pour Sophie Fournier, française, qui compense par une émotion, pas toujours constante, située dans le regard ou dans la fragilité d'une posture. A maints égards, l'invocation dernière du chœur qu'elle représente aide à la cohésion dramatique du sextuor final «Is it all ?» et participe beaucoup à amener l'émoi du dénouement.



Le rideau s'ouvre sur une fresque du suicide de Lucrèce : tout est dit. Maintenant il faut expliquer, il faut montrer comment à travers un viol, acte de violence suprême, Rome condamne à l'exil son roi et accouche d'une République, acte de politique remarquable. Comment on passe abruptement de la sphère de l'intime à la destinée d'une civilisation, dans un temps tragique dense, dans un moment de théâtre, volontairement resserré. Gilles Bouillon provoque cette urgence à agir, jette sur le devant de la scène l'implacable destinée des personnages mais, paradoxalement, sans virulence. Un calme apparent plane, y compris sur l'acte premier. Le soin apporté par Nathalie Holt à une scénographie privilégiant le caractère épuré de l'architecture domestique romaine (antichambre à hauts murs, chambre à coucher confortable et feutrée puis cour et atrium avec son bassin d'eau), permet que l'attention du spectateur se destine aux mouvements des chanteurs et à leur parole. Relayée par la diversité d'ambiance des lumières de Michel Theuil, la scénographie livre un écrin aux voix puis, lorsque les protagonistes ne chantent pas, à leur jeu de scène mimé en arrière plan (Lucrèce sur sa couche endormie). S'ajoutent à ce simple appareil antique, la musique de Britten.



Jean-Sébastien Bou campe un Tarquinius assez déconcertant parce qu'il n'est pas sanguin, il est émouvant. On avait trouvé que son incarnation du personnage de Don Juan chez Mozart (à l'Opéra de Tours, également mise en scène par Gilles Bouillon) montrait plus un homme qui n'était jamais sorti de l'adolescence qu'un pervers avide d'émotions sensuelles. Ici, même barbu, Jean-Sébastien Bou, passant d'une toge couleur écrue au premier acte à une toge rouge n'en gagne pas en brutalité. Ce n'est pas un reproche : il semblerait, naturellement, qu'il soit davantage un Pelléas fasciné (rôle qu'il reprendra en 2008 à l'Opéra de Tours) qu'un Tarquin aviné. L'épisode de sa chevauchée nocturne, très illustratif chez Britten et articulé au public par un Michael Bennett décidément virtuose, lui donne le poids qu'il faut pour une entrée fracassante chez Lucrèce. Lors de la scène du viol, une voix bien placée correspondant au rôle, des mouvements amples qui couvrent Lucrèce, l'ampleur donnée par la toge rouge sang qu'il porte dans la pénombre, puis son côté angélique font de sa violence simulée quelque chose d'incontestablement surprenant, inattendu, comme un éclat, comme quelque chose d'effroyable, d'impulsif, de fou.



Près de lui, Marie-Thérèse Keller : grande maîtrise du rôle, timbre chaleureux (toujours des graves impressionnants), gestuelle empreinte de grâce, diction aussi audible dans le registre confidentiel que dans un phrasé plus lyrique ; aussi poignante dans le silence, lorsqu'elle traverse, bouleversée, l'eau du bassin pieds nus que lorsqu'elle prélude affectueusement avec Bianca et Lucia filant la laine.



Au delà-même de son rôle, elle entraîne le quatuor féminin dans une aisance, une homogénéité musicales qui font du second acte un enchantement teinté d'harmonie, de calme et même de félicité malgré l'intrusion du Malheur. A la jeunesse des trois hommes enivrés du premier acte (Jean-Sébastien Bou, Aimery Lefèvre et Jean Teitgen qui sera, à la dernière scène, un Collatinus élégamment grave et posé) répond celle des deux compagnes de Lucrèce. Le choix de chanteuses aux allures adolescentes serait contestable pour les rôles de Bianca et Lucia (interprétées respectivement par Anna Destraël et Marina Lodygensky) si ces dernières ne parvenaient pas à renforcer l'enthousiasme de vivre (voix légères), qui atteint son paroxysme dans le duo de la belle journée bientôt obscurcie par la nouvelle funeste. On mesure alors davantage combien l'insouciance se heurte avec violence au désarroi que déclenche l'ultime entrée de Lucrèce en scène. Sa mort, à l'image de cette production soignée jusqu'aux très beaux saluts : plein d'humilité.



Pauline Guilmot

 

 

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