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Les cœurs mis à nu

Salzburg
Grosses Festspielhaus
07/29/2007 -  et les 1er, 8, 11, 14*, 19, 25 & 29 août
Piotr Ilitch Tchaikovski : Eugène Onéguine
Renée Morloc (Larina), Anna Samuil (Tatiana), Ekaterina Gubanova (Olga), Emma Sarkissjan (la Nourrice), Peter Mattei (Onéguine), Joseph Kaiser (Lenski), Ferruccio Furlanetto (Grémine), Ryland Davies (Triquet), Georg Nigl (Saretski)
Chœur de l’Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Daniel Barenboim (direction)
Andrea Breth (mise en scène )

Andrea Breth fait avec Eugène Onéguine exactement le contraire de Falk Richter avec Le Freischütz (lire ici). Elle prend d’abord un parti de sobriété et de concentration, pour nous faire vivre l’histoire, rien que l’histoire. Il y a bien pourtant une transposition : ces personnages sont de toute évidence ceux de la Russie soviétique ou post-soviétique, sans que l’on démêle très bien si la fête se déroule chez la nomenklatura de l’ère Brejnev ou les nouveaux riches de l’ère Poutine – bien que la machine à écrire sur laquelle Tatiana tape sa lettre plaide plutôt en faveur des années soixante-dix. Mais la vieille nourrice semble venir du fond des âges : c’est finalement l’éternelle Russie qui nous est montrée. Du coup, la machine à écrire, qui a fait – si l’on peut dire - couler beaucoup d’encre, le duel n’ont plus rien d’anachronique. Plateau tournant sur lui-même comme les personnages en quête d’existence, décor unique d’un grand appartement sinistre : les blés, au début, les fougères, un peu plus tard, mettent à peine un peu de nature dans ce confinement. Le premier bal, avec ces corps affalés, le second, sont sinistres : l’argent même irrite l’ennui, l’alcool ou le champagne lassent à force de couler. Monsieur Triquet est moins précieux que dérisoire, aussi dérisoire que le jeune garçon tremblant qui accompagne Onéguine au duel. Après la mort de l’ami, la perte de l’aimée, il ne reste plus que le ressassement : avant le début des actes, affalé sur une chaise, en manteau et en chapeau, Onéguine regarde sur un écran de télévision des rails filer sur la neige. On ne peut qu’admirer le travail de direction d’acteurs réalisé par Andrea Breth, pour sa précision et sa finesse, son refus du moindre effet. Elle plonge au cœur des zones d’ombre des héros, de leurs peurs, de leurs élans brisés, à travers des gestes parfois violents, comme dans la scène finale, où éclate tout ce qui n’osait pas s’avouer, d’une grande intensité, parfois pudiquement maladroits, comme dans la scène du duel, où Onéguine tente de sauver de l’amitié ce qui ne peut plus l’être. C’est « le côté nocturne de la raison », thème de ce premier festival organisé par le nouvel intendant, Jürgen Flimm, qu’elle nous donne à voir. Rien n’est laissé au hasard : le désordre, dans la scène du premier bal, est remarquablement mis en place ; les personnages secondaires ont une présence très forte, à commencer par la Nourrice. Bref, Andrea Breth, qui signe là sa quatrième mise en scène lyrique – la précédente était une Carmen, à Graz, dirigée par Harnoncourt, sait ce qu’on peut faire d’un opéra sans revenir à la poussière des vieilles lunes, en partant, tout simplement, de la musique – c’est elle qui le dit.

La qualité de la production vient aussi de la parfaite adéquation entre la scène et la fosse. Daniel Barenboim, très inspiré ici, beaucoup plus que dans sa Pathétique avec l’Orchestre du Divan, authentique chef de théâtre, sait écouter et diriger les chanteurs, à l’inverse de Daniel Harding (lire ici). Sa direction est à la fois lyrique et fluide, intense et dominée, très narrative, avec un jeu tout en finesse sur les timbres. Il est vrai que le courant passe visiblement avec la Philharmonie de Vienne – qu’il invite à saluer avec lui sur la scène – et la célèbre phalange donne le meilleur d’elle-même. Peter Mattei est un des grands Onéguine du moment, moins arrogant que ténébreux, dandy baudelairien qui prend, à son retour à Saint-Pétersbourg, des airs de revenant. La voix semble épouser l’itinéraire du personnage : claire au début, avec un très bel air du premier acte, elle se projette moins bien ensuite, finit par s’engorger un peu à la fin. Mais elle est bien conduite, la ligne est belle, le legato souverain. Joseph Kaiser, Tamino dans La Flûte enchantée filmée par Kenneth Branagh, a exactement le timbre de Lenski : pas trop clair, avec des reflets moirés, automnaux. Le jeune chanteur canadien garde, même dans la scène du scandale, une sorte de réserve qui lui permet d’éviter tous les effets douteux, comme dans son air, superbement phrasé – on eût aimé, cependant, entendre la reprise chantée davantage piano. Ferruccio Furlanetto, en revanche, n’est plus que ruine, ce qui contredit l’image qu’a voulu en donner le metteur en scène : le chef a beau faire, il ne peut empêcher la voix de grisonner. Un autre vétéran, Ryland Davies, est beaucoup mieux distribué en Triquet. La jeune Anna Samuil, déjà remarquée dans Mazeppa à Lyon, un peu timide d’abord, retient très vite par la beauté et l’homogénéité de la voix, la subtilité de la caractérisation, rendant surtout à Tatiana sa jeunesse et sa lumiere blessée. On a aussi remarqué en Olga le beau soprano d’Ekaterina Gubanova, troisième Dame dans La Flûte enchantée l’année dernière, et le mezzo opulent de Renée Morloc en Larina.

Une production digne de Salzbourg.









Didier van Moere

 

 

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