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Lohengrin rendu à sa lumière

Paris
Opéra Bastille
05/15/2007 -  et 19, 23, 26 mai, 2, 5, 8, 11 juin 2007
Richard Wagner : Lohengrin
Jan-Hendrik Rootering (le Roi Henri), Mireille Delunsch (Elsa), Waltraud Meier (Ortrud), Ben Heppner (Lohengrin), Jean-Philippe Lafont (Frédéric), Evgeny Nikitin (le Héraut)

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Valery Gergiev (direction)

Robert Carsen (mise en scène)

On l’a souvent dit : dans Lohengrin, les choses se passent entre Lohengrin et Ortrud, dont les manœuvres ont raison de la pauvre Elsa. C’est bien le sentiment que laisse la reprise de la production de Robert Carsen, surtout quand on entend Ben Heppner et Waltraud Meier, les deux figures de proue de la distribution. Le premier est Lohengrin : voix suave et puissante à la fois, faite pour ce rôle si souvent cantonné dans le haut médium, sans ces raideurs d’émission propres à beaucoup de ténors héroïques ou proclamés tels, phrasant tout comme si le rôle n’était qu’un immense Lied. Et la technique étant sûre, on le retrouve aussi frais à la fin qu’au début, aussi lumineux de timbre. De même, la seconde est Ortrud. Certes le médium se dérobe désormais, mais l’aigu tient bon, sans ces cris que la noirceur du personnage arrache à tant de ses consœurs. La magicienne a plutôt ici un air de vamp des ténèbres, d’une beauté ravageuse qui annihile un Telramund aussi perdu qu’éperdu, mielleuse et fielleuse, toujours maîtresse de ses moyens, jamais désordonnée, même quand elle se déchaîne, offrant elle un leçon de subtilité dans le chant et dans le jeu. Cela dit, confirmant ses affinités avec le répertoire allemand, Jean-Philippe Lafont n’est nullement écrasé : rodé à Bayreuth, son Telramund frappe par la qualité de l’articulation, le souci de la ligne pour un emploi où la tentation reste grande de la malmener sous le poids de la vocifération haineuse, sobre lui aussi dans l’expression de sa violence, portant encore beau malgré une voix dont le temps a un peu émoussé le métal, le mordant, parfois la projection.


Mireille Delunsch, en revanche, s’avère de plus en plus décevante au fur et à mesure de la représentation : comme le Rêve est bien phrasé, on passe sur le manque de charme et de grâce du timbre, même si Elsa se conçoit difficilement ainsi ; mais le deuxième acte est très scolaire, avec, faute d’un souffle suffisamment maîtrisé ou de scrupules articulatoires excessifs, une incapacité à tenir la ligne, le troisième révélant au contraire une articulation empâtée et un médium qui sonne creux. Le Roi de Jan-Hendrik Rootering, de son côté, manque de projection dans les graves, ce qui lui donne un air bonhomme et fatigué contraire au personnage. Tout le contraire du héraut impérieux mais très stylé d’Evgeny Nikitin, d’une santé vocale remarquable, qu’on verrait bien en Frédéric. On a connu parfois le très – voire trop – médiatique Valery Gergiev superficiel et bruyant, sacrifiant tout à l’effet : rien de tel ici, alors qu’il serait pourtant facile de se laisser aller au pompiérisme dans ces chœurs martiaux, ces cortèges façon grand opéra, ces fanfares guerrières. Après un Prélude plus intense que statique, le chef russe tend l’arc du premier acte sans se relâcher dans les moments un peu longs, sait ensuite s’abandonner au lyrisme intimiste de certains passages comme le duo du troisième acte, quitte à étirer ou à alanguir certaines courbes – à la fin du duo entre Elsa et Ortrud par exemple –, toujours très attentif en tout cas à ces combinaisons de timbres par lesquelles Wagner caractérise ses personnages – très belle introduction au deuxième acte, avec ses cordes et ses vents graves. Le chœur et l’orchestre sont superbes.


Chœurs martiaux, fanfares guerrières. D’emblée, pourtant, Robert Carsen nous en dit la vanité et le danger : un bunker ou un blockhaus au béton effondré sert de décor ; le chœur est habillé tristement, laidement même ; les képis et les uniformes ont un style ex-pays de l’Est. La production date d’une dizaine d’années : cela ne fait plus guère d’effet aujourd’hui et sent le réchauffé. Du coup, on trouve bien jolies les frondaisons de Montsalvat d’où émerge Lohengrin au premier acte, accompagné de son cygne, avec sa cotte de mailles et son cor : opposition radicale entre deux univers dont on comprend d’emblée qu’ils ne pourront se rejoindre, finalement aussi dérisoires ou aussi anachroniques l’un que l’autre. Bref, le propos, visant probablement à rappeler l’ambiguïté du message wagnérien, n’a rien de très original. Mais on retiendra les beaux jeux de lumière de Dominique Bruguière et, surtout, une direction d’acteurs très approfondie, comme toujours chez Carsen, que favorisent il est vrai des chanteurs très doués pour la scène, Ben Heppner lui-même, sans doute pas un comédien né, se prêtant plutôt bien au jeu. Et il y a des moments forts dans la production comme la fin du deuxième acte où Ortrud fait face, de son balcon de béton, au couple Lohengrin-Elsa. Ortrud à laquelle, très judicieusement, le metteur en scène canadien donne toute sa place dès le premier acte bien qu’elle n’ait que quelques mesures à y chanter, comme si tout commençait dans l’intimité ténébreuse de ce couple à la Macbeth. Ortrud encore dressée sur la scène à la fin, ivre de haine, victorieuse dans sa défaite, tandis que le petit duc ressuscité, vêtu de blanc immaculé, plante un arbre, comme une promesse de paix.




Didier van Moere

 

 

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