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Mieux vaut tard que jamais

Paris
Opéra Bastille
04/27/2007 -  et 30 avril, 4, 8, 11, 14, 16, 18 mai 2007
Leos Janácek : L’Affaire Makropoulos
Angela Denoke (Emilia Marty), Charles Workman (Albert Gregor), Vincent le Texier (Jaroslav Prus), Paul Gay (Maître Kolenaty), David Kuebler (Vitek), Karine Deshayes (Krista), Ales Briscein (Janek), Ryland Davies (Hauk-Sendorf)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Tomas Hanus (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène)

Les productions de Krzysztof Warlikowski sont parfois contestables, voire très contestables, mais toujours fortes et cohérentes. Sa lecture de L’Affaire Makropoulos n’a en tout cas rien de provocant comme celle de son Iphigénie en Tauride et ne lui a valu, au moment des saluts, que des bravos enthousiastes. Les deux ne sont pourtant pas sans points communs. Avec cette manie de mettre lavabos, cuvettes de WC et urinoirs dans le décor, où il situe assez étrangement la scène d’amour entre Emilia et Albert, comme si la passion n’avait d’issue que l’ordure. Avec, ce qui est beaucoup plus intéressant, le désir de s’inscrire au plus profond de la conscience de ses héroïnes, de leur perception de leur temps intérieur. Emilia Marty, qui n’arrive ni à vieillir ni à mourir, devient à la fois un double de Marilyn Monroe, rattrapée par la mort au sommet de sa gloire, et de la Norma Desmond de Boulevard du crépuscule, essayant en vain de rattraper le temps de sa splendeur. Bref, une star aux prises avec son propre mythe, mais aussi avec une vie de femme fatale solitaire à qui l’amour a toujours échappé. Où est la fiction, où est la réalité ? On comprend que le metteur en scène polonais ait fait d’Emilia un personnage hystérique à la limite de la schizophrénie. Les deux premiers actes se passent dans une rutilante salle de cinéma hollywoodien, où le surtitrage de l’opéra devient sous-titrage d’un film dont Emilia est la vedette. Le troisième se déroule dans une luxueuse villa de la côte Ouest, où elle finira noyée dans sa piscine. Tout un certain cinéma américain est convoqué, avec parfois des extraits de films – Boulevard du crépuscule justement – ou d’actualités – la vie de Marilyn Monroe. On voit même Emilia dans la main de King Kong, plus tendre que tous les hommes qui lui tournent autour. Il reste que la superposition est parfois trop littérale : on nous a déjà fait le coup, à l’opéra, de l’identification à Marilyn et de la robe qui s’envole. Il reste aussi que l’histoire, déjà compliquée, le devient encore plus et que les cartes sont brouillées, en particulier celles de l’intrigue policière en dépit des références au polar américain. Trop de signes, trop de symboles. Le recours excessif à la vidéo finit par distraire de l’opéra, notamment au moment du Prélude, où l’on a le sentiment, à l’image de l’héroïne, d’un brouillage de ses propres repères. Peut-être veut-on nous dire que nous aussi, lyricomanes ou cinéphiles, sommes schizophréniquement écartelés entre nos mythes et notre réalité. Il n’empêche : la tension, loin d’augmenter, a parfois tendance à se relâcher et il faut attendre le dernier acte, la scène finale en particulier, pour être vraiment bouleversé par cette virtuosité, où les décors et les costumes de Malgorzata Szeszniak, comme les lumières de Felice Ross jouent leur rôle. On ne dira donc pas que Krzystof Warlikowski renouvelle totalement sa réussite – pourtant beaucoup moins consensuelle – d’Iphigénie en Tauride, malgré une direction d’acteurs toujours aussi extraordinaire d’intelligence et de précision.


On n’est guère dérangé, du coup, que le jeune et talentueux Tomas Hanus – un Tchèque lui aussi, qui a étudié à Brno, chez Janácek en quelque sorte – dirige cette Affaire Makropoulos comme une musique de film aux relents de post-wagnérisme : l’âpreté si novatrice de la partition, notamment dans les alliances de timbres, se trouve sacrifiée à des sonorités généreuses, voire luxuriantes. On a plus l’impression d’entendre l’orchestre de Strauss que celui de Janácek. Mais le chef a un sens remarquable du rythme théâtral et, malgré une tendance à manquer un peu de nuances, assume magnifiquement ses choix face à une œuvre très difficile – sans doute une des plus difficiles de Janácek. Moins femme fatale qu’Anja Silja, Angela Denoke se montre éblouissante de maîtrise, avec une homogénéité des registres parfaite, trouvant le juste équilibre entre le chant et la déclamation, privant seulement un peu le personnage de son ambigu mystère – peut-être justement à cause de cette flamboyance vocale. A ses côtés, des chanteurs incarnant avec une justesse exemplaire chacun de leurs personnages : Albert intense de Charles Workman, à l’aigu insolent, Kolenaty imposant de Paul Gay, Prus éperdu de Vincent le Texier, dont l’émission s’est libérée, Krista touchante et très en voix de Karine Deshayes, Hauk parfait du vétéran Ryland Davies, qui aborde maintenant les rôles de composition.


Cette Affaire Makropoulos a beau susciter quelques réserves, elle n’en constitue pas moins un des temps forts de la saison et entre au répertoire de l’Opéra par la grande porte. Plus de quatre-vingts ans après sa création, il était temps.



Didier van Moere

 

 

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