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Respect et liberté

Freiburg
Konzerthaus
03/27/2007 -  et 28 mars (Rosengarten, Mannheim), 30 mars (Burghof, Lörrach)
Felix Mendelssohn : Ouverture Ruy Blas
Rolf Riehm : "Nuages immortels oder Focusing on Solos (Medea in Avignon)"
Paul Hindemith : Kammermusik N° 3
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie K. 504 "Prague"

Martin Ostertag (violoncelle)
Orchestre Symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg, Hans Zender (direction)


Le système de direction musicale tricéphale de l’Orchestre Symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg fait alterner depuis plusieurs années Sylvain Cambreling, chef principal de la formation, avec deux «vétérans» : Michael Gielen (80 ans cette année) et Hans Zender (né en 1936). Une diversité d’habitudes profitable à l’orchestre, qui doit se remettre régulièrement en question face à trois personnalités remarquables : Cambreling, l’européen de culture française, très apprécié pour l’originalité de ses programmes, Gielen, le beethovenien rigoureux féru de culture musicale du XXe siècle, et enfin Zender, le musicien le plus rare et le plus raffiné des trois.


Zender dirige peu, occupé ailleurs par ses importantes activités de compositeur et de pédagogue. Chacun de ses concerts constitue un événement spécial, par la juxtaposition insolite d’œuvres choisies sans rapport apparent, télescopages dont la motivation ne se clarifie parfois qu’en cours de soirée, mais surtout du fait d’une personnalité exceptionnelle d’homme discret et pondéré, passionné de cultures orientales… On reconnaît facilement la sonorité de l’Orchestre du SWR quand Zender dirige, différente de ce qu’obtiennent, chacun à leur manière, Gielen et Cambreling. Une approche de la musique «autre», qui repose sur un système de proportions proche de l’humain : pas un phrasé arbitraire ou démonstratif, aucun heurt qui ne trouve quelque part sa motivation ou sa résolution logiques, et partout une mystérieuse physiologie du son qui n’est jamais éloignée de la respiration d’un être vivant ou des battements subtilement irréguliers d’un cœur. Une originalité qui pourrait faire évoquer les souvenirs d’un Giulini, voire d’un Celibidache, et pourtant ce système Zender n’est comparable à nul autre, approche singulière qui maîtrise le flux musical avec un naturel total. Des propos du chef lui-même tentent d’expliquer ce phénomène : «toute notation écrite est en premier lieu une invitation à l’action et non une description exacte des sonorités. Il faut l’effort créateur de l’interprète, son tempérament, son intelligence, sa sensibilité développée selon l’esthétique de son temps, pour que voie le jour une exécution vraiment vivante et stimulante». Autres indices intéressants : les rares œuvres que Zender tente de rendre plus expressives en outrepassant son rôle d’interprète, pour se livrer en quelque sorte à une «re-composition» : son Winterreise de Schubert orchestré voire repensé de façon très audacieuse, ou encore sa Schumann-Phantasie, fascinant distillat schumannien récemment enregistré par Sylvain Cambreling (un précieux CD Hännsler, que l’on espère voir distribuer en France).


Dans le cadre strict et l’acoustique parfois curieuse du Konzerthaus de Freiburg, la soirée commence par l’Ouverture Ruy Blas de Mendelssohn. Pourquoi cet attachement d’Hans Zender pour une partition qu’il joue relativement souvent ? Il s’agit simplement de l’une des premières musiques qui le fascinèrent dans son enfance, à l’écoute d’une émission radiophonique (sic). Cela dit Zender est aussi l’un des mendelssohniens les plus brillants de l’heure, et l’évidence de son interprétation s’impose, valorisant sans brutalité une écriture souvent conçue par alternance de blocs (d’autres, si un tel compositeur n’était pas si éloigné de leur monde, parleraient peut-être à ce sujet de « formants »…). Pour le plaisir de l’anecdote, l’auteur du programme rappelle que Mendelssohn détestait le romantisme littéraire et musical français, qu’il trouvait particulièrement vulgaire. A propos du Ruy Blas de Victor Hugo le compositeur écrivait à sa mère : « J’ai lu la pièce: elle est si repoussante et si peu digne que l’on a peine à le croire». Inutile dès lors de préciser que cette Ouverture zu Ruy Blas est une œuvre de commande alimentaire.


La présence au programme d’une pièce de Rolf Riehm, un compositeur que Zender apprécie au point de lui avoir déjà consacré un enregistrement, paraît de prime abord difficile à justifier. Confiés à un orchestre de chambre ces Nuages immortels semblent se déliter en phénomènes épars dont l’insignifiance indiffère. Quelques notes longuement scandées, quelques successions récurrentes d’intervalles, un accord parfait égaré, quelques cadences d’une totale banalité, des bouts de polyphonies colorées, le tout dispersé au gré d’une recherche sur les timbres et les occurrences d’évènements insolites pas totalement inintéressante. Gageons toutefois que c’est la direction de Zender et la qualité des musiciens du SWR qui sauvent ici ce que l’on peut sauver, la battue du chef parvenant même à habiter le silence et le vide.


En fin de première partie : la rare 3e Kammermusik d’Hindemith, qui rétrécit l’orchestre à 11 musiciens seulement : un violoncelle solo (que le compositeur qualifie d’«obligé»), partie tenue ici par le pince sans rire Martin Ostertag, trois cordes (violon, violoncelle, contrebasse) quatre bois, trois cuivres. Le soliste, aux prises avec une partition assez bavarde et caracolante, peine à se faire entendre malgré cet effectif réduit. Mais la virtuosité des premiers pupitres de l’orchestre laisse songeur (notamment un solo de trompette d’une assurance et d’une musicalité grisantes). Un bon moment d’esthétisme musical ludique, malicieusement disséqué par Zender, sans renoncer à un esprit de provocation très «roaring twenties».


Seconde partie relativement brève mais dense, dévolue à la Symphonie «Prague» de Mozart, que Zender et l’orchestre investissent en ne laissant aucun détail dans l’ombre. Phrasés somptueux, respirations larges, abondance prodigieuse d’évènements dont chacun semble jouer un rôle dans une architecture où pourtant rien n’est inutilement souligné : une interprétation limpide, guidée par une battue merveilleusement souple, et dont la clarté supporte sans peine de nombreuses reprises (l’interprétation est tellement riche, pour tout dire, que certains passages pourraient être répétés en boucle sans que l’on s’en lasse avant longtemps…). Un Mozart ni classique ni expérimental : Zender et ses musiciens en liberté, tout simplement.



Laurent Barthel

 

 

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