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Cordes et âmes

Paris
Radio France
10/04/1998 -  
Alexander von Zemlinsky : Quatuor à cordes n° 1 en la majeur op. 4
Franz Schubert / Aribert Reimann : Mignon, pour soprano et quatuor à cordes
Arnold Schoenberg : Quatuor à cordes n° 2 en fa dièse mineur, avec voix, op. 10

Quatuor Prazak, Christine Whittlesey (soprano)

Le quatuor avec voix est un exercice périlleux pour le compositeur comme pour ses interprètes. L’équilibre parfait trouvé au cours des siècles par le quatuor à cordes ne rencontre pas sans difficultés la voix humaine, immédiatement pôle d’attraction pour l’oreille.

La forme du quatuor avec voix est intrinsèquement problématique : lorsque la voix apparaît, le cercle magique du quatuor se brise. Ni piano, ni orchestre, le quatuor ne sait se faire accompagnement, tandis que la voix se refuse à toute instrumentalisation. Un problème d’entente se pose : la voix peut-elle s’entendre avec la nudité du quatuor ? L’auditeur peut-il entendre la voix et les cordes comme une même voix ? Un chanteur, brusquement surgi de nulle part, peut-il s’entendre avec la musicalité d’une formation riche d’années ou de décennies de complicité ? Le quatuor à cordes a oublié l’existence de l’autre – autre timbre, autre interprète, autre équilibre. Peut-il le retrouver comme une voix qui lui serait nécessaire ? C’est ce sujet épineux que se risque à traiter ce cycle intitulé " La voix et le quatuor ", riche d’oeuvres rares et souvent d’une extrême poésie.

Le Second Quatuor de Schoenberg sera la pièce maîtresse de ce premier concert. Oeuvre paradigmatique tant dans l’histoire de cette forme qu’au sein du parcours du compositeur, elle met en jeu les plus cruciales questions soulevées par la rencontre du verbe et des cordes. Tandis que la moitié de l’oeuvre de Schoenberg est vocale, ses quatre quatuors à cordes jalonnent les différentes étapes de son évolution linguistique. Le quatuor à cordes apparaît chez lui comme moment de bilan, de ressaisie des moyens techniques élaborés à travers une pureté stylistique qui met ces nouveaux moyens à nu. A l’autre extrémité du chemin de l’écriture, la voix est moment de ruptures expressionnistes, d’inventions immédiates non réitérables, de cris non conceptualisables. Le moment de crise qui voit Schoenberg recourir à la voix pour son second quatuor donnera naissance à une œuvre extraordinaire où, dans la collision du souffle et des cordes, le langage musical en son entier frémit d’une joie nouvelle – " Je sens l’air d’autres planètes " (4ème mouvement).

Les premiers candidats à cette dangereuse expérience étaient l’exceptionnel quatuor Prazak et la soprano Christine Whittlesey, dans un programme où Mignon, pour soprano et quatuor à cordes, transcription par Aribert Reimann de mélodies de Schubert, remplaçait le quatuor de Betsy Jolas initialement annoncé.

Le quatuor Prazak joue brillamment. Ses qualités ne sont plus à prouver : extrême engagement, parfaite unité, technique irréprochable... Le Premier Quatuor de Zemlinsky est l’un de leurs terrains de jeu favoris. Ils y sont nerveux et de chair, dansants et méditatifs, merveilleusement viennois.

La fatidique rencontre avec la voix humaine eut lieu sur Mignon, pour soprano et quatuor à cordes de Schubert / Reimann. Nous ne saurions désigner qui, de l’oeuvre ou de ses interprètes, fut à l’origine de la catastrophe. L’oeuvre ne se prêtait-elle pas à cette précieuse alchimie du quatuor avec voix ? Le changement de programme y était-il pour quelque chose ? Les partenaires se faisaient-ils suffisamment confiance ? Toujours est-il que la courte durée de cette œuvre parût éternité : visiblement en manque d’air, la soprano récita sa partie sans conviction, d’une voix sèche et sans âme, presque criarde, parfois à la limite du faux. On pressent l’inexistence du médium et du grave, l’extrême attention portée à la diction évince les fins de notes – on devine également la grande nervosité de l’interprète. La voix paraît surajoutée, superflue, étrangère imposée contre son gré sur la scène.

La planète schoenbergienne tint quant à elle ses promesses. Les deux premiers mouvements de l’oeuvre furent joués par les Prazak avec un dynamisme, une nervosité et une précision dans le choix des sonorités rares. Quelques glissades sur des thèmes clés tirent peut-être un peu l’écriture du côté d’une Vienne qui pourtant déjà se perd dans le passé. Elles appuient cependant le devenir stylistique de cette œuvre presque didactique, qui décrit un cheminement vers la découverte de nouvelles sonorités : seul le dernier mouvement en effet touche ce seuil de l’atonalité qui fait de ce quatuor un pas décisif dans l’histoire de la musique. Christine Whittlesey retrouva pour l’occasion son souffle. Ici son timbre un peu crié trouva parfaitement sa place au milieu des cordes. Paraissant par endroits se noyer au milieu des remous, la chanteuse devenait enfin cet enjeu de l’oeuvre, son drame.

La soprano affiche un triomphant sourire, les auditeurs également. Lorsque l’alchimie du quatuor avec voix se réalise, le chant révèle la voix qui demeure silencieuse sous le jeu du quatuor, conversation muette, tandis que les cordes jouent les coulisses de la voix, éclats privés de mots, débats aveugles.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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