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Figures obligées et figures libres

Paris
Maison de Radio France
02/18/2007 -  
Thomas Adès : Court studies from «The Tempest», opus 22 (+) – Catch, opus 4 (+)
Krystof Maratka : Le Corbeau à quatre pattes (création) (#)

Alain Carré (#), Vincent Figuri (#) (récitants)
Ensemble Calliopée: Catherine Coquet (#) (hautbois), Chen Halévy (+ #) (clarinette), Vladimir Dubois (#), Maud Lovett (+) (violon), Karine Lethiec (#) (alto), François Salque (+) (violoncelle), Laurène Durantel (#) (contrebasse), Renaud Muzzolini (#), Nicolas Gerbier (#) (percussion), Myriam Lafargue (#) (accordéon), Jérôme Granjon (+), Frédéric Lagarde (#) (piano)
Krystof Maratka (#) (direction)


Avec le dernier concert du deuxième de ses quatre week-ends, «Présences 2007» a déjà accompli la moitié de son parcours. Figures obligées, d’abord, avec l’hommage à Thomas Adès, vedette de ce festival, représenté par deux œuvres pour clarinette, violon, violoncelle et piano – l’effectif du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen. Le compositeur a extrait et adapté pour cet ensemble six Court studies (2005) de son opéra en trois actes La Tempête (2004) d’après Shakespeare: neuf minutes alternant vigoureux pastiches baroques, comme de lointains échos de Pulcinella de Stravinski, et des sections quasi statiques d’où de lentes phrases tentent d’émerger.


De durée sensiblement équivalente (onze minutes), mais plus dramatique et fragmenté, Catch (1991) traduit l’esprit ludique d’un jeune homme âgé de seulement vingt ans: le clarinettiste constitue l’élément central de cette pièce, tour à tour en coulisse et sur scène, qu’il traverse à vive allure ou sur la pointe des pieds, toujours en jouant. Cette théâtralisation trouve un reflet dans la musique, véritable partie de cache-cache musical pour laquelle le caractère espiègle et même primesautier de l’instrument semble on ne peut plus approprié, même s’il est finalement attrapé (catched) au travers d’une lente mélodie qui s’éteint progressivement, comme pris dans les filets des trois autres instruments, évoluant fréquemment dans leur tessiture extrême.


Figures libres, ensuite, avec une création de Krystof Maratka. D’un an plus jeune qu’Adès, le Tchèque (né en 1972) a conçu avec Le Corbeau à quatre pattes (2006) une partition très développée (soixante-dix minutes), dont la nature laissera perplexe l’amateur de classifications: cantate? théâtre musical? mélodrame? cycle de mélodies? happening? Il y a un peu de tout cela dans cette «farce mélodramatique», une qualification qui rappelle le «drame comique» (La Leçon) ou la «farce tragique» (Les Chaises) à la Ionesco. De fait, l’absurde règne en maître dans l’univers de Daniil Harms (1905-1942), même si la sélection que Maratka a lui-même effectuée parmi ses textes – traduits, pour l’essentiel, en français – révèle progressivement, par une habile montée de la tension, un arrière-plan de plus en plus tragique.


Le dispositif vocal et instrumental se caractérise également par son originalité. De part et d’autre du chef, qui n’est autre que le compositeur, deux récitants, en même temps acteurs, mimes, chanteurs et musiciens de fortune (harmonica, kazou); face à lui, neuf membres de l’Ensemble Calliopée: entre chants, cris et chuchotements, ils recourent à tout un bric-à-brac en partie dissimulé dans de grandes enveloppes, dont les mystères progressivement révélés ramènent aux grandes heures des années 1970 – sacs à papier qui éclatent, plastiques froissés, sonnette de vélo, appeaux, mirlitons, coups de feu, flûtes à coulisses, galets qui s’entrechoquent, ballon en caoutchouc qui couine et qui fuse en se dégonflant, rien ne manque dans cet attirail dérisoire – l’écriture s’acharnant en outre à faire en sorte qu’ils ne recourent que rarement aux modes de jeu ordinaires de leurs instruments d’élection respectifs (hautbois, clarinette, cor, accordéon, percussions, piano, alto et contrebasse), à l’image du pianiste, qui intervient plus souvent debout de façon directe sur les cordes qu’assis à son clavier.


Dans un premier temps, c’est le côté potache qui semble devoir l’emporter. Finissant de s’installer après un bref entracte, le public ne se rend pas immédiatement compte que Vincent Figuri s’est installé, croquant une pomme et lisant un livre en silence, et quelques applaudissements indécis éclatent donc lorsque Maratka paraît et salue le récitant: celui-ci enfile un bonnet rouge et se saisit d’un sifflet à roulette pour convoquer les musiciens, que le compositeur lui présente cérémonieusement l’un après l’autre, bientôt rejoints par le second récitant, Alain Carré. Cette entrée en matière donne le la d’une première partie de pur délire verbal et sonore: surréalisme et humour (noir) côté textes, bribes et bruitages côté musique, même si quelques nuances plus inquiétantes surgissent ici ou là.


Au fil de trois «pauses» fictives – le récitant reprend la mastication ostentatoire de sa pomme et la lecture de son livre, l’altiste se remaquille, le corniste a sorti son téléphone portable et le chef quitte le podium en faisant mine à chaque fois de poser le pied sur une matière dont on dit qu’elle porte bonheur – le ton s’assombrit, le destin tragique de l’écrivain russe, persécuté par le régime stalinien, ressort de façon de plus en plus poignante, jusqu’à une conclusion difficilement soutenable: les musiciens passent la cagoule dont on revêt les condamnés à mort avant leur exécution et s’affaissent sur leur chaise, puis Vincent Figuri couvre à son tour la tête d’Alain Carré et le conduit lentement vers les coulisses.


Les applaudissements qui accueillent ce spectacle hors norme en paraîtraient presque indécents, mais tout a été prévu, même pour les saluts: l’humour étant bel et bien la politesse du désespoir, c’est aux sons d’une marche grotesque et dérisoire, à la Chostakovitch, que le compositeur et les récitants quittent la scène, au pas, après un caricatural salut militaire.



Simon Corley

 

 

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