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Deux passionnantes créations

Berlin
Staatsoper Unter den Linden
09/16/1999 -  et 18, 22 et 25 Septembre 1999

Arnold Schönberg : Von heute auf morgen
Sten Byriel (Der Mann), Cynthia Lawrence (Die Frau), Pär Lindskog (Der Sänger), Carola Höhn (Die Freundin), Julius Kammel (Das Kind)
Elliott Carter : What next ?
Simone Nold (Rose), Hanno Müller-Brachmann (Harry or Larry), Lynne Dawson (Mama), William Joyner (Zen), Hilary Summers (Stella), Ian Antal (Enfant)
Nicolas Krieger (mise en scène), Gisbert Jäkel (décors), Jorge Jara (costumes), Franz Peter David (lumières)
Orchestre de la Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (direction)

Composé en quelques semaines au début de 1929, Von heute auf morgen marque la première tentative de Schönberg dŽadapter à une oeuvre scénique ses techniques sérielles mises au point une dizaine d'années auparavant. Il s'agit donc bien du premier opéra dodécaphonique, avant même Lulu et Moses und Aaron, en comparaison desquels on peut dŽailleurs fort s'étonner que cette oeuvre ait été jusquŽici si peu représentée, (il sŽagissait ainsi ces jours derniers de sa création à Berlin, si lŽon excepte une version de concert donnée en 1930) tellement la musique y paraît plus „accessible". Le compositeur vivait alors des jours particulièrement sereins (nouveau mariage, poste à lŽacadémie des beaux-arts), et par son caractère léger, très fluide, parfois même dansant, cette musique reflète ce bonheur. On y entend aussi bien sûr la perfection du contrepoint et la sûreté acquise dans le traitement de la série mais elle évoque avant tout, par sa grâce et sa suavité, la perfection d'un certain style viennois. On pourrait parler ainsi à son sujet, comme pour la célèbre Sérénade op.24, de "classicisme dodécaphonique". Le traitement des voix n'est dŽailleurs pas sans rappeler Strauss et sa conversation en musique. Conversation plus animée toutefois, plus „naturelle" aussi (malgré les harmonies particulièrement dissonantes qui la sous-tendent !), et débarassée de certaines afféteries qui agacent parfois chez l'auteur de Capriccio.

L'oeuvre s'appuie sur un livret plein d'esprit de Max Blonda, dont l'argument est une seule et longue scène de ménage : un couple bourgeois se dispute après un dîner, où chacun a entrevu de son côté une aventure galante. Le mari, en particulier, fait part de ses regrets avec une certaine muflerie. Mais il change brusquement d'avis lorsque son épouse se présente à lui dans une nouvelle tenue fort aguichante. Celle-ci a alors vite fait de reprendre le dessus... Toute la scène baigne alors dans une atmosphère de douce hystérie, qu'alimentent de menus événements extérieurs : l'arrivée de l'employé du gaz, le réveil de l'enfant, et surtout le coup de téléphone du ténor wagnérien qui donnera lieu, dans la meilleure tradition de l'opéra bouffe, à une savoureuse satire des milieux lyriques !

La mise en scène de Nicolas Krieger convainc dans l'ensemble par sa relative fantaisie, conforme à l'esprit du livret ; les efforts désespérés et muets que tente le pauvre mari, à grands renforts de masque à gaz et de vélo d'appartement, pour attirer l'attention de sa légitime pendant que celle-ci se laisse conter fleurette au téléphone, sont en particulier fort amusants. On regrette cependant ces mimiques sexuelles appuyées, bien triviales et tout à fait inutiles. On peut aussi trouver excessif que le mari, dont le rôle est certes un peu ridicule, doive rester en petite tenue les trois-quarts du temps. Il semble par ailleurs que ce soit désormais une mode bien établie dans la mise en scène d'opéras „non sérieux" de jouer dès que possible la carte de l'érotisme le plus platement démonstratif. Il s'agit peut être d'attirer un public nouveau, de montrer que la musique classique peut aussi s'encanailler derrière ses queues de pie et ses noeuds papillons blancs... Mais en règle générale, le résultat est aussi excitant qu'un film avec de Funès et Jacqueline Maillan, univers qui peut convenir à une mise en scène d'Offenbach où le propos n'est souvent guère plus subtil, mais qui semble ici quelque peu en décalage.

La partie strictement musicale soulève en revanche l'enthousiasme, surtout l'orchestre emmené par un Barenboim des grands jours, qui ressent cette musique jusqu'à la moelle. Il a de plus l'extrême politesse de nous la faire écouter autant comme une musique légère que comme une musique savante, et c'est en somme aussi bien à l'interprète des tangos argentins que du grand répertoire allemand que l'on a affaire. Peu de chefs seraient capables d'une telle audace.

Les chanteurs sont tous excellents. Cynthia Lawrence a de jolis moyens vocaux, et convainc surtout par l'intelligente caractérisation de son personnage. Belle diction du mari qui n'oublie pas non plus de bien chanter, de conserver ce phrasé bien lié voulu par Schönberg. Le riche soprano de Carola Höhn apparaît comme un luxe dans son rôle de soubrette colorature. Enfin, on aimerait bien entendre dans l'original le ténor wagnérien...

La seconde partie de la soirée donnait lieu à une véritable création, celle dŽun curieux opéra dŽElliott Carter, le premier dŽailleurs pour ce compositeur américain aujourdŽhui agé de 91 ans. Il est évidemment difficile de porter un jugement sur cette musique lors d'une première audition. Le parti-pris un peu miniaturiste (une trentaine de numéros dont aucun ne dépasse les trois minutes) peut gêner au début, donner l'impression que la partition manque de souffle et passe un peu facilement du coq à lŽâne. Mais cette relative discontinuité du discours convient somme toute assez bien au caractère un peu fantaisiste de lŽoeuvre, où il semble que le véritable projet de Carter ait été avant tout dŽexprimer un certain humour musical. Humour parfois assez proche de lŽunivers de Berio ou Kagel, mais souvent aussi plus caustique, plus noir. Cela sŽentend surtout dans lŽorchestre, aux percussions notamment, le traitement des voix sŽavérant lui plus classique. Le rôle de Rose en particulier, est riche en fioritures, roulades et autres sons filés, dans le plus pur style belcantiste. On sait gré à Carter de ne pas renoncer à cet hédonisme vocal, ce qui assez rare dans lŽopéra contemporain, mais on regrette aussi quŽil nŽait pas developpé le rôle de lŽenfant, dont la voix parlée ou non travaillée offrait des perspectives sonores intéressantes.

Le livret de Paul Griffith paraît sŽinspirer dŽun certain théâtre de lŽabsurde. Six personnages gisent sans connaissance dans les débris dŽune immense voiture, suite à un mystérieux accident. Ils reprennent peu à peu conscience et tous sŽavèrent sains et saufs mais rapidement, un sentiment de malaise sŽinstalle. Face au passé dont le contenu immédiat paraît lointain et flou, face à lŽavenir (le mariage de Rose et Larry) dont la signification est subitement bien incertaine. Chacun essaie alors de se raccrocher au souvenir de ce quŽil „était" (chanteuse, clown, astronome...) mais semble en réalité de plus en plus prisonnier de lŽinquiétante carcasse. LŽarrivée des sauveteurs ne fera que confirmer cette situation, puisque ceux-ci déblaieront la chaussée sans leur accorder la moindre attention. Seul lŽenfant, plus proche du „réel" (du présent), paraît finalement en mesure de s’en sortir... Cette atmosphère angoissée est a priori tout à fait séduisante et lŽon pense parfois à certaines scènes de En attendant Godot ou de LŽange exterminateur. Malheureusement, le texte même du livret est loin dŽatteindre un tel niveau ; les jeux de mots et les „raccords" verbaux qui le ponctuent donnent plutôt une impression de vacuité, sans parler des sentences philosophiques du professeur Zen qui, telles celles de notre Bernard Werber national, tombent complètement à l’eau.

CŽest dommage car lŽoeuvre est musicalement fort bien défendue, par un Barenboim très attentif et des chanteurs peut-être plus convaincants encore que dans la première partie, en particulier l'alto assez fantastique dŽHillary Summers et le ténor très bien timbré de William Joyner. On aime bien aussi le numéro d’Hanno Müller-Brachmann, plutôt reconnu comme distingué chanteur de Lieder, et dont la voix revêt ici une gouaille inattendue et réjouissante.

Thomas Simon

Note : Il nŽexiste à notre connaissance aucun enregistrement disponible de Von heute auf morgen. On signale en revanche une excellente mise en scène pour le cinéma de Huillet-Straub (1996), avec lŽorchestre de la radio de Francfort (celui de la création) dirigé par Michael Gielen. Le film ressort de temps en temps au Studio des Ursulines.


Thomas Simon

 

 

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