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Une semaine à La Roque-d’Anthéron

La Roque
Parc du Château de Florans
07/22/2000 -  

A La Roque-d’Anthéron, tous les pianos se côtoient, du piano seul – mais un piano, c’est déjà presque un orchestre – au concerto, en passant par le duo de pianos. Les compositeurs s’y croisent le temps d’un concert ou par-delà les interprètes. Ainsi les Concertos de Brahms se jouent à quatre mains, ainsi Mozart circule d’un interprète à l’autre, et, via les bis, Bach se permet quelques sorties.
D’une scène à l’autre, d’un jour à l’autre, c’est un parcours entre des musiciens au jeu à chaque fois unique Les belles rencontres y sont fréquentes, les déceptions rares : les grands artistes du piano ne manquent – heureusemen t – pas.

Piano pour deux

La Roque-d’Anthéron
Samedi 22 juillet 2000
Parc du Château de Florans
Johannes Brahms : Variations sur un thème de Haydn op. 56b (pour deux pianos)
Serge Rachmaninov : Suite n° 2 op. 17 (pour deux pianos)
Sergheï Prokofiev : Symphonie n° 1 en majeur (transcription pour deux pianos)
Franz Schubert : Grand rondo en la majeur (pour quatre mains)
Maurice Ravel : La Valse (version pour deux pianos)
Martha Argerich, Nelson Freire (pianos)

Invitée surprise du festival, Martha Argerich a rejoint son compère Nelson Freire pour un récital pour deux pianos. Pour deux pianos ? Pas vraiment. Les deux briscards du piano se connaissent bien. Leur couple musical a de longues heures de vol derrière lui, et c’est d’un seul piano qu’ils jouent. Leurs jeux bien distincts – brillant et déroutant pour Argerich, plus sourd et stable pour Freire – se fondent en une unité miraculeuse dans laquelle aucun des partenaires ne disparaît tout à fait. Le jeu est hérissé de pointes, provenant tantôt de l’un, tantôt de l’autre, et avec lesquelles ils jouent, se taquinant et se caressant tour à tour. Avec un minimum de gestes et de regards, ils parviennent à une respiration commune, partageant le moindre écart, la moindre inflexion. Tout est parfaitement ensemble, jusqu’aux levers de pédales, lors même qu’Argerich dans un même geste quitte son tabouret.

La présence du public ne semble pas perturber leur intimité : ces amis de toujours jouent comme ils joueraient chez eux un dimanche après-midi. Leur décontraction est déroutante. Les artistes cachent leur métier : tout est facile, naturel. Ils échangent leurs commentaires entre les oeuvres, délibèrent entre chaque bis, palabrent entre les tabourets, et lorsqu’ils s’éloignent main dans la main, Nelson Freire en veste blanche et Martha Argerich le bouquet de fleurs à la main, c’est à de toujours jeunes mariés qu’ils ressemblent, des mariés qui fêteraient leurs noces d’or comme une nuit de noces.

Le répertoire pour deux pianos n’est ni un répertoire de puristes, ni un répertoire de stars – répertoire musicalement inégal, à la virtuosité souvent discrète, tapageur sans être fracassant. Nulle prima donna ici. Les deux pianistes ont concocté un programme jovial, varié, sans raz de marée ni mer d’huile. Une Symphonie classique allumée, une Suite de Rachmaninov enthousiasmante, une Valse de Ravel extraordinaire... tout est délicatesse et joie de vivre.

Nelson Freire et Martha Argerich n’ont rien à prouver, et c’est loin du cérémonial du concert qu’ils partagent et font partager leur art. Lorsque l’écoute fait place à l’entente, le grand piano n’a pas besoin de montrer sa grandeur.


Variations climatiques sur les concertos de Brahms

La Roque-d’Anthéron
Mardi 25 juillet 2000
Etang des Aulnes
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1 en mineur op. 15
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64
Orchestre Symphonique de Saint-Petersbourg, Yuri Temirkanov (direction), Lisa Leonskaja (piano)

Une légère atmosphère de panique précède l’entrée en scène des musiciens : de lourds nuages noirs ont pris d’assaut l’étang des Aulnes, que frappe une pluie drue. On s’agite, amassant des chaises au plus près de la scène, c hacun tentant de se faire une place à l’abri. Les premières notes du Concerto de Brahms s’élèvent au milieu des éclairs, cadre atmosphérique propice à cette musique sombre et colérique.

Probablement déconcentrés par l’incident, les musiciens y sont dans l’ensemble peu convaincants. Le jeu de Leonskaja, très inégal, rappelle les risées du vent : parfois trop en force, martelant dans le vide, parfois à la limite de l’audible. La pianiste ne soutient pas son geste. Entre de belles envolées – les passages legato sont sonvent superbes – Leonskaja ne parvient pas à s’imposer : des formules parfois un peu scolaires, de nombreux passages à vides composent un discours inégal et morcelé. Elle parvient cependant à toucher : Leonskaja joue en toute sincérité, sans faux-semblants.

L’Orchestre symphonique de Saint-Petersbourg est assez maladroit dans cette partition. Dès l’introduction, les violons sont raides, la sonorité mate et sourde et les imprécisions se multiplient L’orchestre ne se retrouvera qu’en seconde partie de programme, dans une partition sans aucun doute plus familière.

La pluie s’est arrêtée et les moustiques tentent un retour. L’électricité de l’air envahit enfin les interprètes. Sous la baguette de Temirkanov, l’orchestre renaît. Les cordes s’imposent, denses et riches, poussées par un irrésistible élan. Les faiblesses techniques de l’orchestre se font vite oublier. Les musiciens se laissent enflammer par ce chef à la direction faussement flegmatique. L’homme balance doucement le bras, se penche un peu et l’orchestre rugit, sucré à souhait, chaleureux. Du très beau Tchaïkovski.


La Roque-d’Anthéron
Mercredi 26 juillet 2000
Etang des Aulnes
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur op. 83
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 en si mineur " Pathétique " op. 74
Orchestre Symphonique de Saint-Petersbourg, Alexandre Dmitriev (direction), Nelson Freire (piano)

Nelson Freire emboîte le pas à sa consoeur pour un Second Concerto de Brahms, cette fois sous la baguette d’Alexandre Dmitriev. Le temps est au beau fixe, les insectes font un retour forcené : des nuées de volatiles en tous genres envahissent scène et gradins, s’écrasant parfois sur le queue-de-pie du pianiste. Au milieu de ce bombardement, Freire donne le meilleur de lui-même : la sûreté de son jeu n’entrave jamais sa liberté. Ses phrases sont amples et généreuses, sa sonorité puissante et souple. Freire trouve la juste présence, le juste toucher, s’imposant lorsqu’il le faut, puis cédant la place à l’orchestre pour mieux reprendre la parole. Un peu timide au départ, l’orchestre se laisse entraîner dans cette belle promenade. Le troisième mouvement du concerto est élégiaque, éthéré.

Bien que ses faiblesses se fassent toujours sentir, l’orchestre n’est plus le même que la veille, plus affirmé, plus libre. La direction de Dmitriev est souveraine, elle lui impose des phrasés souples et musicaux, qui répondent parfaitement aux interventions du soliste.

Dans la " Pathétique ", Dmitriev déchaîne la puissance de la mer – une mer parfois un peu lourde et épaisse, mais une mer à l’avancée implacable. Chaque instrumentiste, jusqu’au dernier rang des violons, joue son maximum. Les imprécisions demeurent mais tant de conscience musicale les fait oublier. Un orchestre de niveau moyen qui joue surpasse le meilleur des orchestres pris d’un accès de routine.


Mozart, sublime puis stupide

La Roque-d’Anthéron
Jeudi 27 juillet 2000
Parc du Château de Florans
Wolfgang Amadeus Mozart : Rondo en la mineur K 511, Variations en ré majeur sur un menet de Duport K 573, Fantaisie en ut mineur K 475, Sonate en ut mineur K 457
Anne Queffélec (piano)

C’est en toute modestie que la pianiste Anne Queffélec a proposé au public de La Roque-d’Anthéron une heure de très grande musique. Discrète comme toujours, elle s’installe dans le parc du Château de Florans dans la chaleur d’une fin d’après-midi pour un programme exclusivement consacré à Mozart. Les rangs sont étonnamment pleins. Cette élève de Brendel, lauréate des concours de Munich et Leeds, n’est pas des artistes dont le nom seul suffit à remplir une salle. Il faut croire que le public ne s’en laisse pas conter, et sait reconnaître une grande artiste.

Cette heure mozartienne, à laquelle des rayons de soleil filtrés par la végétation et les chants de la nature, cigales en tête, servent de cadre, est un pur moment d’enchantement. Le jeu d’Anne Queffélec est d’une finesse extraordinaire, léger et soutenu par une volonté de fer. Chaque note a son juste poids, le tout est d’une lisibilité sans faiblesses. La clarté ne suffit pas à cette pianiste exigeante : une expressivité sans emphase anime chacune de ces pièces. La pianiste investit dans ces partitions toute sa richesse, toute sa profondeur. Son piano est immense, en toute simplicité. Ses bis, Scarlatti et Satie, et son sourire, celui d’une femme épanouie, concluent en beauté un très beau concert.


La Roque-d’Anthéron
Jeudi 27 juillet 2000
Parc du Château de Florans
Karol Szymanowski : Symphonie n° 4 concertante pour piano et orchestre op. 60
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 21 en ut majeur K 467

Johannes Brahms : Symphonie n° 3 en fa majeur op. 90
Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, Hans Graf (direction), Piotr Anderszewski (piano)

Toute autre est la leçon de musique infligée par Piotr Anderszewski. Son Concerto de Mozart, accompagné par Hans Graf et l’orchestre national de Bordeaux Aquitaine, est d’une raideur à faire fuir un sourd. Le pianiste assène des notes sans queue ni tête, sa sonorité est dure, ses doigts tricotent sans qu’aucune émotion n’affleure. Un bis extrait des Variations Goldberg ne fait que confirmer son Mozart : Anderszewski s’y complet dans des effets qui sapent la logique de l’écriture, et rendent la partition de Bach proprement incompréhensible.

L’orchestre rivalise avec son soliste en matière de sécheresse. Les cordes jouent faux, les vents trop fort, à aucun moment les instrumentistes ne daignent phraser, oser un piano, tenter de faire de la musique. Leur Mozart est un improbable mélange d’aridité et de lourdeur. Si la direction – efficace dans sa raideur – de Hans Graf permet à la Symphonie de Szymanovski de tenir la route (et Anderszewski a les moyens techniques que recquiert la partition), elle massacre Mozart. La Symphonie de Brahms est victime des mêmes défauts, à peine masqués par l’effectif plus important de l’orchestre. Nulle poésie, nulle finesse : c’est dans le meilleur des cas martial, dans le pire un capharnaüm. Inutile de mentionner des bis imposés à un public qui n’en demandait pas tant.


Délicieuses incertitudes

La Roque-d’Anthéron
Vendredi 28 juillet 2000
Espace Forbin
Robert Schumann : Variations Abegg op. 1, Scènes d’enfants op. 15, Carnaval op. 9
Katia Skanavi (piano)

A l’espace Forbin, petite scène de bois perdue au milieu des platanes, la pianiste russe Katia Skanavi proposait un programme exclusivement consacré à Schumann. Ses affinités avec le compositeur apparaissent d’emblée : la pianiste est très vivante, un peu fantasque. Sans être empreint d’une véritable folie, son jeu est totalement habité, et délicieusement déroutant : ses sautes d’humeur sont vives, son rubato emporté. Katia Skanavi galope joyeusement dans les tempos rapides et se prélasse dans les lents, s’appuyant sur une belle virtuosité et un superbe legato. Elle joue en f eu-follet, prenant des risques et croisant parfois des ratés. Lorsqu’au hasard du jeu ses doigts frappent à côté, une fossette creuse sa joue, qui la fait aussitôt pardonner : la pianiste est de celles dont on n’attend pas la perfection, mais la vie.

Or la vie sied bien au répertoire choisi. Chacun des petits tableaux qui composent les Scènes d’enfants et le Carnaval est brossé avec grâce. Katia Skanavi parvient à animer un véritable théâtre de marionnettes, avec ses joies et ses peines, ses tourbillons et ses langueurs. En guise de bis, elle s’offrira un mini récital Chopin en trois pièces, visiblement aussi à l’aise dans ce répertoire luxuriant que dans l’intimité de Schumann.

Il ne lui manque peut-être qu’un peu d’assurance. La jeune femme est timide lors des saluts, pressée de quitter la scène. Elle joue un peu retranch&eacu te;e en elle-même, loin de son auditoire. Il ne lui manque que l’audace de s’adresser réellement à un public que son charme conquiert d’ores et déjà.


La Roque-d’Anthéron
Vendredi 28 juillet 2000
Parc du Château de Florans
Domenico Scarlatti : Sonates K 531, K 48, K 533, K 142, K 386, K 32, K 141, K 87, K 27, K 113
Wolfgang Amadeus Mozart : Variations en ré majeur sur un menet de Duport K 573
Franz Schubert : Trois Klavierstücke D 946
Zhu Xiao-Mei (piano)

La pianiste chinoise a choisi de proposer au public de La Roque-d’Anthéron un programme classique qui évite soigneusement son compositeur de prédilection, Bach, qu’elle ne glissera qu’en bis, dans une transcription de choral par Busoni. Son exact contemporain, Domenico Scarlatti, est convoqué à sa place. Les terribles sonates de Scarlatti, sous-titrés " Exercices pour le clavecin ", poseront quelques difficultés à une pianiste d’ordinaire plus sûre de ses moyens. Les doigts accrochent un peu, mais entre ces maladresses qui demeurent rares, le jeu est très posé – clair, précis, nuancé. Un Mozart très chantant fait vite oublier ces quelques scories.

Zhu Xiao-Mei est une artiste, elle connaît ses mauvais jours, et les artistes, même un mauvais jour, font de la musique. Si le jeu manque encore d’assurance et d’ampleur dans les Moments musicaux de Schubert, il est d’une expressivité subtile et fait de ces pièces des instants de chaleureuse intimité. L’art se nourrit aussi du doute.


Un maître

La Roque-d’Anthéron
Vendredi 28 juillet 2000
Parc du Château de Florans
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate en majeur K 576
Frédéric Chopin : Douze études op. 25
Serge Rachmaninov : Quatre Préludes op. 23 (n° 8, n° 9, n° 6, n° 5), Six Moments musicaux op. 16
Nikolaï Lugansky (piano)

Les gradins sont presque pleins. Nikolaï Lugansky, dont le nom commence à attirer les foules, présente à La Roque-d’Anthéron un programme mastodonte, exigeant et virtuose. D’emblée, le pianiste se distingue : on s’était habitué à une acoustique, aux excuses du plein air, et l’instrument d’un coup sonne tout autrement, puissant et concentré. Les cigales se sont-elles tues ? On ne les entend plus.

Lugansky est presque impassible. Il se tient très droit au piano, altier, et de temps en temps lève des yeux calmes au ciel. Il joue du haut de l’Olympe, et parvient à réconcilier Apollon et Dionysos  : il déchaîne des foudres dans un cadre d’une rigueur absolue. Les cascades de notes ne s’emmêlent jamais, la profusion est à chaque instant organisée. La technique du pianiste est incroyable, sa palette sonore apparemment sans limites. Il s’adapte à toutes les écritures, aussi juste dans Mozart que dans Rachmaninov.

Ses Etudes de Chopin sont sidérantes : à aucun moment le pianiste ne s’essouffle. Il est armé, techniquement et musicalement, pour des distances incommensurables. Après de fulgurantes escalades, le pianiste parfois s’attarde au sommet, contemplant un instant l’horizon avant de reprendre sa course. Si de loin en loin une mesure paraît un peu maladroite, un peu rigide ou pas totalement exploitée, c’est au regard de l’incroyable aboutissement de ce qui l’entoure.

Solide comme un roc, Lugansky sort d’un moule dont peu de pianistes sortent. Il est au-dessus de la mêlée. Qu’elle enthousiasme ou qu’elle laisse indifférent, sa souveraineté est indéniable.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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