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Chic et toc

Baden-Baden
Festspielhaus
10/04/2006 -  et les 6*/10 à 20 h et 8/10 à 19 h
Mozart : Don Giovanni
Johannes Weisser (Don Giovanni), Marcos Fink (Leporello), Werner Güra (Don Ottavio), Malin Byström (Donna Anna), Alexandrina Pendatchanska (Donna Elvira), Sunhae Im (Zerlina), Nicolai Borchev (Masetto), Alessandro Guerzoni (Le Commandeur), Chœur des Innsbrucker Festwochen, Orchestre Baroque de Freiburg, René Jacobs (direction), Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Christian Lacroix (costumes)


Il est toujours dangereux de transplanter une production intimiste dans une salle de proportions trop vastes. Ce modeste Don Giovanni avait peut-être une certaine allure dans le cadre resserré du Landestheater d’Innsbruck (voir ici), mais il se dilue jusqu’à l’insignifiance une fois remonté dans un auditorium beaucoup plus grand. Le Festspielhaus de Baden-Baden offre pourtant une qualité acoustique et visuelle bien supérieure à l’Opéra Bastille, à jauge égale, mais rien n’y fait : on se désintéresse vite du sort de ces silhouettes de chanteurs trop petites, écrasées par un rapport de proportions absurde entre un cadre de scène très large et le vrai «décor» (une inamovible petite concavité hémisphérique, percée de trois ouvertures par lesquelles on rentre et sort en se bousculant). Au second acte la sphère pivote, laissant apparaître un chassis de lattes sur lequel on peut grimper, seule modification notable d’un dispositif que l’intégration d’un grand rideau rouge multi-tâches (auquel on invente quelques fonctions dramatiques intéressantes mais inabouties dans leur réalisation) ne parvient pas à dynamiser. Même les costumes de Christian Lacroix, qui portent la griffe d’un maître des drapés et des détails luxueux, sous-estiment la fonction théâtrale d’un costume d’opéra, qui est aussi est de valoriser la silhouette d’un chanteur vu de loin : carrures trop modestes, excès de tissus noirs uniformisants, prestance du rôle titre effacée par une surabondance de rayures verticales… Reste le plaisir de détailler à la jumelle le luxe des matières et la minutie des travaux d’ourlet : activité agréable mais des plus révélatrices de la futilité du propos. Quelques bonnes idées aussi dans le travail de direction d’acteurs de Vincent Boussard, mais dispersées dans un projet dont la finalité reste nébuleuse, la production tournant à long terme au simple défilé de robes du soir devant un décor sans intérêt.


Pour les téléspectateurs d’Arte, la perception de cette soirée retransmise en direct aura peut-être été différente. Encore que l’on s’interroge sur ce que les caméras ont bien pu tirer du falot Johannes Weisser, Don Giovanni longiligne au rictus boudeur de lycéen volage tout juste déniaisé, dont on peine à imaginer qu’il ait pu accumuler tant de conquêtes grâce à un sex-appeal aussi sommaire. Acoustiquement aussi, de multiples problèmes d’équilibre auront sans doute été corrigés : lisibilité insuffisante des voix intermédiaires d’un orchestre relativement fourni, perçu de loin comme une sorte de gros massif d’une couleur indéfinissable et inhomogène, rapport problématique avec des voix trop fréquemment couvertes… Reste que les spectateurs de Baden-Baden payaient ce soir-là leur place au prix fort, pour rester en dehors d’un spectacle sans doute mieux vu et entendu par d’autres, assis dans leur salon…


Jugées sur le vif, loin du confort et des possibilités de rapiéçage a posteriori offerts par un studio d’enregistrement, les propositions de René Jacobs laissent tout autant de marbre. On pourrait parfois s’indigner : par exemple devant le tempo d’une célérité risible du Batti, batti de Zerlina, où devant la subite lenteur de l’Air du Champagne, a contrario le seul moment véritablement posé d’une soirée où tout paraît accéléré. Mais au final l’impression est plus diffuse : celle d’un paysage scruté depuis les vitres d’un train lancé à trop grande vitesse, sorte de zapping permanent où l’attention ne peut s’accrocher qu’à des détails, et où l’architecture d’ensemble se perd. Rien de pire que ces airs démantibulés en sous-sections anarchiques d’inégale longueur, où la perception musicale vient constamment buter sur des accidents de parcours arbitraires. Quant aux grands ensembles, ils apparaissent ruinés par quelques idées encombrantes et souvent gratuites, qui phagocytent l’attention au détriment d’un caractère visionnaire systématiquement gommé. Approche délibérément passéiste en fait, qui ravale Mozart au niveau d’un bon compositeur lyrique du XVIIIe parmi d’autres, le vide d’inspiration ainsi créé justifiant ensuite que l’on décore, que l’on frisotte, que l’on se grise de petites enjolivures à volonté… une tâche dans laquelle se complait notamment un pianoforte insoutenablement bavard, les chanteurs se chargeant quant à eux de modifier les lignes vocales au gré d’une inspiration ornementale prétendument spontanée.


Au sujet de cette ornementation proliférante, cheval de bataille pour tous nos baroqueux mozartiens actuels : s’il est licite de penser qu’à l’époque la nature avait horreur du vide et que des chanteurs véritablement virtuoses ne se privaient pas d’y aller de leurs embellissements personnels, encore faudrait-il aujourd’hui nous convaincre de l’utilité d’un retour à de tels usages. Et quand on affaire à des tâcherons, qui peinent à rendre justice à une ligne vocale basique, peut-être vaudrait-il mieux les dispenser d’avoir à négocier des cadences qu’ils sont incapables d’exécuter correctement (la seconde partie de l’Air du catalogue, à titre d’exemple, devient franchement douloureuse à ce degré d’encombrement par des scories techniques peu ragoûtantes).


Un mot enfin sur la version présentée : celle de la création viennoise de Don Giovanni, qui diffère notablement de la version initiale dite « de Prague ». Il est plus courant aujourd’hui de présenter l’ouvrage dans une version hybride, souvent raccourcie de surcroît, que dans l’une de ces deux moutures originales, pourtant seules valables historiquement. Moins que la réapparition d’un duo bouffe entre Zerline et Leporello systématiquement oublié, mais guère passionnant à vrai dire, on appréciera surtout dans cette version « de Vienne » la présence du Mi tradi, d’Elvire, trop fréquemment coupé dans les productions actuelles alors qu’il s’agit vraiment d’un air essentiel, marquant l’indispensable palier médian que Mozart ménage toujours dans le second acte de ses opéras d’après Da Ponte (que ce soit le Dove sono de la Comtesse des Noces, ou le Rondo de Fiordiligi).


Outre cette originalité de découpage, que retient-on en définitive d’une telle soirée : que Werner Güra est décidément un chanteur intéressant, et que le tomber de la robe noire de Donna Anna était vraiment signé par un grand maître. C’est trop peu.



Laurent Barthel

 

 

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