About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un Lohengrin venu d'ailleurs

Baden-Baden
Festspielhaus
06/03/2006 -  
Richard Wagner : Lohengrin
Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Solveig Kringelborn (Elsa), Tom Fox (Telramund), Waltraud Meier (Ortrud), Hans-Peter König (Heinrich der Vogler), Roman Trekel (Le Héraut), Chœurs de l’Opéra National de Lyon, EuropaChorAkademie de Mayence, Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, Kent Nagano (direction), Nikolaus Lehnhoff (mise en scène), Stephan Braunfels (décors), Bettina Walter (costumes)
Festspielhaus, les 3*, 5 et 7 juin

Robert Schumann : Concerto pour piano
Johannes Brahms : Symphonie No 1

Martha Argerich (piano), Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Herbert Blomstedt (direction)
Fespielhaus, le 4 juin

Le Festival de Pentecôte de Baden-Baden propose traditionnellement chaque printemps une grande production lyrique et quelques concerts de prestige, programmation malheureusement perturbée cette année par l’annulation en dernière minute de plusieurs têtes d’affiche.


Défection d’Hélène Grimaud d’abord, quelques jours avant le concert d’ouverture dont elle devait assurer également la direction musicale, soirée finalement assurée par le pianiste finlandais Olli Mustonen dans un programme modifié. Puis, plus problématique encore, l’hospitalisation subite de Riccardo Chailly, moins de vingt-quatre heures avant le concert Schumann/Tchaikovsky qu’il devait diriger à la tête de son Orchestre du Gewandhaus de Leipzig.


Finalement c’est Herbert Blomstedt, ancien directeur musical de l’orchestre, que l’on a pu joindre à temps pour diriger ce concert au pied levé, avec à peine quelques raccords préalables et moyennant un changement partiel de programme, la plus usuelle Première Symphonie de Brahms venant se substituer à la Cinquième Symphonie de Tchaikovsky initialement prévue. Périlleux rétablissement de situation, qui a dû valoir quelques sueurs froides à l’Intendant du Festspielhaus, pour un concert qui s’est finalement maintenu à un haut niveau en dépit de ces impondérables.


Le professionnalisme de l’Orchestre du Gewandhaus y est sans doute pour beaucoup, et bien sûr sa longue familiarité avec la gestique d’Herbert Blomstedt, un chef qui anticipe énormément et dont la battue ne doit pas toujours se révéler aisément déchiffrable. Quoiqu’il en soit la Première Symphonie de Brahms se déroule ici sans accroc, servie par une phalange d’une qualité exceptionnelle, à quelques minimes faiblesses près du côté des trompettes et des trombones. Une interprétation claire et lisible, qui n’a pas forcément la densité sonore de certains points de repère incontournables de la tradition brahmsienne, de Furtwängler à Karajan, mais qui convainc par sa belle variété de climats et quelques sublimes moments, notamment dans le 4e mouvement (superbes phrases des cors, dialoguant avec une flûtiste extraordinaire…).


Dans le Concerto pour piano de Schumann, Martha Argerich semble davantage déstabilisée par ce changement de partenaire imprévu. Les premières attaques du piano sont prudentes, le chef renchérit encore en ralentissant excessivement l’exposition, le 1er mouvement avançant ainsi à vue, d’un coup de patte de la pianiste à l’autre, sans réellement trouver sa carrure. Et puis, après un second volet mesuré mais d’une retenue très poétique, Martha Argerich reprend naturellement ses marques, retrouvant dans le Final l’aisance souveraine et la technique irréprochable qu’on lui a toujours connues. En bis, accordé par la soliste après quelques rappels, une fulgurante Toccata de Scarlatti, qui semble pousser le double échappement du piano dans ses ultimes retranchements.


La nouvelle production de Lohengrin, en collaboration avec l’Opéra de Lyon et la Scala de Milan, a eu en revanche la chance d’échapper à cette vague d’indispositions. En dépit des aléas climatiques d’une semaine de Pentecôte météorologiquement désastreuse, tout le monde s’est présenté au rendez-vous, et au meilleur de ses possibilités. Ceci vaut tout particulièrement pour Waltraud Meier, parfois incertaine à ce stade de sa carrière, et qui déploie ici une Ortrud impressionnante et même assez ordonnée vocalement, jusque dans ses imprécations les plus tonitruantes. Le cas de Tom Fox, beau tempérament héroïque mais profération et surtout prononciation débraillées, et celui de Roman Trekel, bonne voix de chanteur de Lieder mais d’une projection trop confidentielle, sont plus problématiques mais ne déparent pas l’ensemble. Aucune réserve en revanche pour l’Elsa lumineuse et émouvante de Solveig Kringelborn. Quant au Lohengrin de Klaus Florian Vogt, il s’agit là d’un phénomène vocal qui laisse songeur. On a pu se familiariser déjà depuis quelques mois avec la voix très particulière de ce chanteur qui commence tardivement une carrière de heldentenor surprenante (il était antérieurement corniste au sein de l’Orchestre de Hambourg). Le timbre est insolite, d’un métal assez clair, semblant amplifié très haut dans le masque par des résonateurs surpuissants. La colonne d’air apparaît sans réelle limite (et pour cause: un ancien corniste !) et les possibilités de coloration peuvent être sollicitées quasiment à la demande, la voix pouvant s’épanouir ou se replier en fonction des besoins, jusqu’à acquérir quelques couleurs barytonales toujours utiles pour un ténor wagnérien. Dans Florestan, entendu à Bonn en septembre, et dans un formidable Siegmund à Karlsruhe l’hiver dernier, le résultat était déjà troublant, mais à présent cette interprétation hors normes de Lohengrin peut vraiment prétendre au statut d’exception vocale : pas la moindre fatigue, à aucun moment de ce rôle pourtant inhumain, et même une aisance qui s’affirme à mesure que la soirée avance, l’instrument ne trouvant son vrai régime qu’au moment où habituellement les titulaires du rôle commencent à s’effondrer. Le Récit du Graal est escaladé sans problème, la voix gardant en réserve pour les toutes dernières répliques de l’œuvre des couleurs encore nouvelles, d’une luminosité ineffable. Assurément une interprétation historique, que l’immortalisation de ce spectacle sur un DVD permettra de diffuser bientôt plus largement (donnant lieu, on l’imagine, à de multiples commentaires, s’agissant d’une voix aussi atypique…). En tout cas, l’avenir au plus haut niveau de Klaus Florian Vogt, que l’on pourra notamment écouter dès la saison prochaine à Genève dans Die Meistersinger von Nürnberg, paraît d’ores et déjà assuré.


Visuellement, la production de Nikolaus Lehnhoff bénéficie de l’apport décisif des superbes décors de l’architecte allemand Stephan Braunfels (escaliers monumentaux, hémicycles mobiles, lignes de fuite savamment obliques : une fantastique machinerie monumentale, qui peut occasionnellement se déplacer à vue sans le moindre bruit parasite) mais souffre de la constante laideur des costumes contemporains de Bettina Walter, qui semble avoir réquisitionné en vrac tout le rayon soldes des grands magasins locaux pour habiller ses choristes. Ortrud ne manque pas d’allure dans ses grands manteaux de Cruella, en revanche la pauvre Elsa, en mariée écrasée par d’interminables flots de tulle, et surtout le malheureux Lohengrin, en tenue de séducteur de boîte de nuit couvert de paillettes, ne sont vraiment pas gâtés.


Parfois problématique, la direction de Kent Nagano tire des couleurs somptueuses et variées du Deutsches symponie Orchestre de Berlin (un inoubliable Prélude, d’une sidérante étrangeté) mais se révèle incapable de contrôler correctement une masse chorale qui multiplie les décalages et les attaques incertaines. Problèmes de mise au point qui s’arrangeront, on l’espère, au cours des deux représentations suivantes. En tout cas une soirée de haut niveau festivalier, avec laquelle Baden-Baden s’impose définitivement comme l’une des scènes européennes de prestige avec lesquelles il faut compter, au moins une fois par an.




Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com