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Beaumarchais a trouvé son alter ego…

Tours
Grand-Théâtre
03/03/2006 -  et le 1er, 5 et 7 mars 2006.
Gioacchino Rossini : Le Barbier de Séville
Caroline Fèvre (Rosine), Ghyslaine Raphanel (Berta), Sébastien Droy (Le Comte Almaviva), Jean-Sébastien Bou (Figaro), Franck Leguérinel (Bartolo), Mark Beesley (Basilio), Jean-Louis Mélet (Fiorello), Jean-Marc Bertre (Ambrogio), Alexandre Richez (Un Officier), Sylvain Bocquet (Un Notaire), Olivier Castain (Le Guitariste), Yannick Guillot (Le joueur de Cistre)
Gilles Bouillon (Mise en scène), Bernard Pico (dramaturge), Nathalie Holt (décors & scénographie), Marc Anselmi (Costumes), Marc Delamézière (Lumières), Vincent Lansiaux (Chef de chant), Marie-Anne Pottier (claveciniste)
Chœurs de l’Opéra de Tours, Emmanuel Trenque (direction)
Orchestre Symphonique de l’Opéra de Tours, Guido-Johannes Rumstadt (direction



L’Orchestre Symphonique de Tours, moins canalisé qu’à l’accoutumée sous la baguette de Guido-Johannes Rumstadt, sonne un peu fort et ronflant sous un plateau heureusement vocalement tonique et ébouriffant de vitalité puis de présence physique.
L’orchestre, on le comprend, veut lui aussi s’affairer fébrilement et transmettre l’allégresse d’une journée où tout est possible puis, effectivement, disons-le : la partition permet quelques débordements, quelques coups d’archet hystériques, quelques accords un peu envahissants.
Mais l’orchestre, sous ses dehors exubérants, soigne assez les changements d’articulation, la finesse d’élocution des notes, même si ses paliers sonores ne se déclinent qu’entre le forte et le triple forte.



Sur scène, le spectacle est vivement coloré par les costumes de Marc Anselmi (vêtements très saillants vert et orange pour les alguazils ; une robe à cerceau d’un blanc immaculé de jeune fille pour Rosine ; un Figaro coiffé d’une perruque rouge dans des habits style Pagageno; un Bartolo en médecin moliéresque et un comte aux déguisements typiques) qui caractérisent des personnages aux allures de marionnettes et authentifie un aspect conte de fées nouveau tout à fait à propos, dans un décor étonnant, merveilleux (au sens littéraire du terme comme en son sens commun) de Nathalie Holt, n’oubliant rien : ni l’échelle, cette précaution inutile (sous-titre de l’ouvrage), de couleur rouge - sans doute pour montrer le rôle de fil rouge, de fil conducteur qu’elle joue - ni l’aspect évaporée de Rosine, qui voit en scène, parce qu’elle se sent aimée, des nuages mouvants à la place des murs. On perçoit également une vision « illustration pour enfants » dans la construction des meubles (l’armoire, notamment), dans l’aménagement de l’espace (des rideaux en notes de musique) ou dans l’effet « maquette surdimensionnée » (un violon gigantesque, trait d’humour ou clin d’œil de la scénographe pendant la leçon de musique : le comte «sort les violons » pour conter un amour, peut-être peu sincère…) Aussi la maison de Bartolo, qui occupe tout l’opéra est-elle parfois représentée par une maison de poupée, fenêtres éclairées, qui est posée sur la scène surélevée, elle-même réplique miniature, échelle rouge comprise, de celle que l’on voit pièce par pièce, grandeur nature, au fil des actes. Ont été fabriquées également d’ingénieuses petites poupées représentant Bartolo ou Rosine : elles permettent au personnage qui les tient en main de dire « plus » et d’agir physiquement contre ces substituts absents de corps mais présents en chiffon. Notons enfin (bien qu’on devrait décrire davantage) la magnifique cage ronde qui descend sur scène pour illustrer le propos coléreux de Bartolo envers Rosine et dans laquelle celle-ci se trouve enfermée un instant. Nathalie Holt livre donc un décor en mouvement dont le metteur en scène Gilles Bouillon se sert de façon optimale : ses personnages y sont à la fois libres et les instruments d’autrui, ils s’instrumentalisent même mutuellement. Dès lors, les comédiens-chanteurs utilisent les trappes, les portes de l’armoire, le grand violon et tous les accessoires mis à leur disposition (y compris en grimpant dessus ou en se cachant derrière) pour bouger juste, pour chanter vrai. Parfois, ils se meuvent comme s’ils étaient des marionnettes rouillées, parfois ils sont agiles comme s’ils avaient des ailes (étonnant Jean-Sébastien Bou traversant le plateau de long en large en presque deux pas).

La lumière de Marc Delamézière accentue l’originalité de ces caractères (utilisation de flashs pour suggérer des arrêts sur image), rend à l’univers féerique sa pleine mesure (mise en lumière-focalisation sur certains personnages) et change parfois les teintes des costumes. Elle aussi permet le jeu de la mobilité, la visibilité des expressions du visage sur lesquelles Gilles Bouillon travaille toujours efficacement.




Chez Gilles Bouillon, c’est souvent le traitement des scènes de groupe ou à plusieurs personnages qui est le plus fameux. Ici, puisque les personnages sont dans le jaillissement, dans la manigance, le dramaturge Bernard Pico et le metteur en scène ont choisi de montrer le jeu des alliances, la promptitude des décisions, l’art du rebondissement. Les « gens marchent ensemble » (au sens mécanique), les têtes se tournent rapidement (dans tous les sens du terme), certains personnages en assiègent d’autres puis, parce qu’il s’agit chez Beaumarchais de lier les affaires à l’amour, il est des instants plus poétiques (Rosine seule dans sa chambre), des passages où l’on a l’impression que l’effervescence reprend son souffle et nous laisse, par la même, contempler « un tableau ».



La comédie de caractères est visuellement mise en place : Gilles Bouillon et son entière équipe n’ont presque pas besoin de Rossini pour faire comprendre qu’on joue ici Le Barbier de Séville tant les tableaux représentés et le jeu des protagonistes sont limpides, tant les sforzandi sont visibles dans le geste, tant le jeu de mots est incarné dans une mimique, tant les répliques rapides s’entendent par les regards furtifs et les mouvements vifs des jeunes chanteurs présents.



En effet, ce qui fait que le public s’émerveille à l’entracte, c’est bel et bien que « en plus, ils chantent ! » (comme a dit ma voisine à son mari), c’est qu’en plus d’avoir sur scène une scénographie et des costumes épatants, une mise en lumière, une dramaturgie, une mise en scène exceptionnelles et des comédiens fascinants : on a des chanteurs, rythme rossinien oblige, qui jouent les virtuoses avec succès.



Les caractères les plus conventionnels, comme celui de Berta, sont ceux par lesquels les finesses d’une mise en scène sont les plus visibles : Ghyslaine Raphanel qui possède la voix, avec celle de Jean-Sébastien Bou, la plus impressionnante de la production, nous décrit, en un monologue agité et cru, la situation chaotique et étouffante dans laquelle la maison est depuis peu plongée. Le personnage, dont les mots comiques cachent une certaine détresse, se déshabille avec une violence progressive, dégrafant jusqu’à son corsage. Ce geste, tout amusant qu’il soit, émeut parce qu’il vient révéler un peu de l’amertume du personnage, parce qu’il lui confère une profondeur qu’on lui octroie rarement.



L’autre grande voix, Jean-Sébastien Bou, qui était déjà un Don Giovanni léger et mobile (mais moins époustouflant qu’ici), parvient maintenant à ce qu’on ne le reconnaisse pas sous sa perruque rouge feu et semble avoir travaillé encore davantage ses capacités à se dissimuler sur scène, à occuper l’espace scénique sans qu’on sache vraiment quand il y entra et quand il en partit. Comme pour son personnage de Marcello dans La Bohème, Jean-Sébastien Bou est doué pour jouer les camarades avec Sébastien Droy, superbe Lindor à la fois canaille et noble.



Les deux barbons, compères aussi, rivalisent de bouffonnerie : Bartolo par Franck Leguérinel n’est pas un bouffon niais, il fait même assez peur, il calcule, il échafaude autant de plans que Figaro et Lindor réunis, c’est un adversaire de taille, servi par l’excellent Basilio de Mark Beesley, résolument dépassé par les évènements. Tous deux, même dans leurs instants les plus calculateurs sont assez impuissants face à une Rosine plutôt garce et rouée, qu’incarne parfaitement Caroline Fèvre, très vive, à la voix pointue, au regard un peu fuyant et à l’air faussement candide.



Ce monde féérique rejoint donc celui de la farce, celle qui fait rire tout public (lorsque l’un fait mine d’avaler un papier et que l’autre ronfle en dormant) mais la comédie impulsive, énergique se meut en aventure. Quand le comique d’action s’accélère, c’est l’aventure qui prend le relais et tout s’emballe, tout le monde ose, va presque trop loin. Peut-être que cette témérité revendiquée par tous, est, pour Bernard Pico, l’occasion, dans ce qu’il nomme cette première « folle journée » d’annoncer la prochaine, celle du Mariage de Figaro.
Au début de la seconde « folle journée », la vraie, celle qui sert de premier titre au Mariage, la folie de la première est retombée, l’aller « trop loin » de Séville n’a enfanté que du banal à Aguas-Frescas : Rosine en Comtesse se lamente et devient lasse car l’illusion de l’amour est passé, Lindor amoureux est devenu un Comte agressif et sournois, Figaro entravé (car au service du Comte) est maintenant maladroit…La liberté n’est plus pour personne et le délire d’ivresse qu’elle entraînait s’est estompé.
Le versant picaresque de la première « folle journée », le côté « parade » à l’espagnole avec barbier entremetteur qui « fait la barbe à tout le monde » et jeune Comte téméraire n’étaient donc que pour ériger la bravoure et la virtuosité (ce dont se sert amplement Rossini) comme seuls, uniques et véritables préceptes ? Ainsi l’amour n’était-il alors que façade, qu’un moyen pour se lancer des défis, pour se faire un peu tourner la tête.



Peut-être aussi que Le Barbier de Séville de Gilles Bouillon est une mécanique astucieuse : au fond, nous sommes, nous public, tous des Bartolo, nous sommes comme lui, « de ceux que l’on trompe au théâtre » (comme disait Beaumarchais) et parce qu’on y a des effets de réel (des échelles, des tâches d’encre sur les doigts, des billets écrits…), on croit à tout sans condition. Même quand Almaviva travesti finit par être démasqué, bien avant le dénouement, même quand on nous montre que les ruses de théâtre ne fonctionnent pas, nous attendons, nous espérons une suite…encore plus rocambolesque. Et on l’a…et comme on serait malheureux si on ne l’avait pas !
Alors, si nous sommes debout, applaudissant à tout rompre à la fin de la représentation, c’est que nous, public, sommes reconnaissants qu’on ait mis pour nous, dans cette production-ci, l’illusion théâtrale sur la corde raide afin d’en révéler le pas, les mécanismes, l’essence : le sens premier, enfin, du terme « comédie ».



Pauline Guilmot

 

 

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