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Trois cantates en forme d’opéra

Strasbourg
Opéra du Rhin
03/10/2006 -  et les 12 et 14 mars à Mulhouse, les 19 et 21 mars à Colmar, les 25*, 27, 29, 31 mars à Strasbourg à 20h, le 2 avril à Strasbourg à 15h
Johann Sebastian Bach
Cantate «du Café» BWV 211
Cantate « Hercules auf dem Scheidewege » BWV 213
Cantate BWV 198 « Trauerode »

Kimy McLaren (Lieschen), Christophe Dumaux (le Prince), Donat Harvar (Le Chambellan), Jérôme Varnier (Le Père), Nadia Bieber (L’écho), Chœurs de l’Opéra du rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Sébastien Rouland (direction), Jean Liermier (mise en scène), Philippe Miesch (décors), Werner Strub (costumes)

La jeune Lieschen raffole du café avec une obstination qui fait le désespoir de son père. En lieu et place de son breuvage favori la jeune fille accepte finalement… qu’on lui trouve un mari.
Sur ces entrefaites le souverain local fait proclamer qu’il n’épousera que la belle qui réussira à enfiler une pantoufle de vair égarée. Seule Lieschen y parvient, épouse son prince et l’entraîne dans une joyeuse débauche quotidienne dont le café n’est plus qu’un aspect très subsidiaire. Mais des sujets trop longuement délaissés rappellent leur roitelet amoureux à l’ordre et la vertu l’emporte : la raison d’état accule notre Circé au suicide.
S’ensuit une longue déploration, devant le catafalque de cette pauvre souveraine si adorable, et qui aimait tant le café !


Voilà donc l’argument que l’on a plaqué sur l’enchaînement de trois ouvrages atypiques de Bach : la Cantate dite «du Café» BWV 211, la Cantate « Hercule à la croisée des chemins » BWV 213 et l’Ode funèbre BWV 198. Les ficelles du montage paraissent énormes, même si elles permettent de préserver les textes d’origine. Cela dit, certains véritables livrets d’opéra de l’époque ne valent guère mieux… Le problème réside plutôt dans la compliance même de la musique de Bach à l’exercice.


On doit l’idée de ce spectacle à Nicholas Snowman, directeur de l’Opéra du Rhin, qui a enrôlé dans l’entreprise de jeunes scénographes initialement pris au dépourvu par un tel sujet. Il est vrai que dans ses Cantates profanes Bach s’approche parfois de façon troublante de l’opéra, un univers qu’il n’a cependant jamais eu l’occasion d’aborder réellement, ni à Cöthen ni à Leipzig. Mais de là à affirmer que Bach a écrit ainsi les ersatz des grandes partitions lyriques qu’il aurait pu nous laisser s’il avait vécu ailleurs… De telles assertions ne reposent sur rien de bien tangible, si ce n’est l’aplomb avec lequel on nous assène ce genre de vérité de cocktail-party pour musicologues mondains.


Au risque d’enfoncer à notre tour des portes ouvertes (un sport pratiqué avec une remarquable répétitivité par les rédacteurs du programme de salle, qui tombe des mains à force d’affirmations péremptoires), rappelons que le Bach théâtralement le plus impressionnant ne se trouve pas du tout ici mais bien dans ses Passions. De même d’ailleurs que Haendel ne s’est jamais révélé aussi convaincant dramatiquement que dans ses grand oratorios, à côté desquels ses opere serie écrits hâtivement à la douzaine ne valent souvent que pour la beauté de leurs meilleurs airs. Et encore, il convient de rappeler que ces appréciations ne valent qu’avec notre recul de public moderne, susceptible de mesurer le caractère formidablement visionnaire d’oratorios qui anticipent effectivement sur un opéra beaucoup plus mûr, celui de la fin du XVIIIe, voire le drame lyrique romantique naissant. Alors, par pitié, laissons à leur charme de circonstance ces Cantates profanes qui débordent de musiques splendides et décoratives mais qui ont décidément la fibre théâtrale bien ténue. Même Hercule à la croisée des chemins ne révèle ici que les insuffisances d’un livret rigide où tout est déterminé d’avance, sans aucun suspense, et où Bach ne fait que déployer son savoir-faire habituel mais en n’ayant cure (et pour cause) de toute vraie caractérisation dramatique, à coup d'airs ravissants et passe-partout. Amusante coïncidence, le No 9 de la partition, dans lequel Hercule abjure la luxure en des termes particulièrement vigoureux, va être récupéré ultérieurement dans l’Oratorio de Noël (No 4 : Bereite dich, Zion), avec cette fois des paroles diamétralement opposées, toutes de douceur et d’acceptation reconnaissante : une indifférence totale de Bach à la caractérisation mélodique qui en dit plus long sur le sujet que tout autre argument.

(N.B. : c'est bien l'Oratorio de Noël qui réutilise du matériel antérieur, issu notamment de la Cantate BWV 213, et non l'inverse, comme on peut le lire dans un programme décidément bien mal relu).


Au lieu de chercher à mettre en scène ces Cantates en bloc, peut-être aurait-il été plus intéressant de tenter une sorte de pasticcio, en confiant à un spécialiste un véritable travail d’exploration et d’adaptation d’extraits de l’œuvre vocal de Bach sur un nouveau livret. Mais il aurait fallu pour cela d’avantage d’audace, et peut-être le courage d’assumer des libertés avec la lettre dont de toute façon le présent spectacle, même s’il ne l’avoue nulle part, n’est pas exempt (le Trio final de la très intimiste Cantate du café n’a jamais été écrit, qu’on sache, pour un ensemble choral, et l’on est fort surpris par un court récitatif explicatif du ténor entre les Nos 1 et 2 de la BWV 213, qui sort d’où on voudra mais certainement pas de cette œuvre là).


Trève d’arguties. La production est bouclée en deux heures plutôt agréables, déséquilibrées par le massif très statique d’une Ode funèbre musicalement sublime mais difficile à habiter scéniquement, et gérée grâce à une série d’expédients qui en valent bien d’autres. Trop d’accessoires trop petits, qui ne sont identifiables qu’à la jumelle, trop de fugaces anachronismes contemporains qui paraissent futiles dans un spectacle par ailleurs picturalement très référencé (Vermeer, Gerard Dou, Fragonard, quelques costumes campagnards façon Brueghel...), trop de défaillances vocales d’une équipe jeune et sympathique mais déstabilisée par une écriture redoutable (Jerôme Varnier en fait tout particulièrement les frais, Kimmy Mac Laren s’en tire mieux, mais sa voix paraît fort menue, Christophe Dumaux utilise à bon escient d’intéressants moyens de falsettiste…), trop de couacs qui sortent d’une fosse où l’expressivité tous azimuts semble primer systématiquement sur la mise en place rythmique et la justesse.


Bref, Bach résiste à tout, y compris au zèle d’interprètes qu’il dépasse : si c’est là l’enseignement qu’on voulait nous laisser méditer, c’est réussi.



Laurent Barthel

 

 

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