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Oui, mais...

Strasbourg
Opéra du Rhin
01/14/2006 -  et les 17, 20, 23, 25, 29/1* à Strasbourg, les 3 et 5/2 à Mulhouse (La Filature)
Hector Berlioz : Benvenuto Cellini
Paul Charles Clarke (Cellini), Anne Sophie Duprels (Teresa), Isabelle Cals (Ascanio), Philippe Duminy (Fieramosca), Fernand Bernardi (Balducci), François Lis (Le Pape Clément VII), Mario Montalbano (Pompeo), Chad Louwerse (Bernardino), Alain Gabriel (Francesco), Chœurs de l’Opéra de Nice, Chœurs de l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Oleg Caetani (direction), Renaud Doucet (mise en scène), André Barbe (décors et costumes).

Faut-il le rappeler : on doit la renaissance des opéras de Berlioz au 20e siècle (on a bien dit les opéras, donc Damnation de Faust exclue) essentiellement à l’industrie du disque, en l’occurrence le prestigieux cycle discographique dirigé par Colin Davis à Londres au début des années 1970. A l’époque les grincheux n’ont pas manqué de souligner qu’il s’agissait d’une initiative étrangère, et qu’en l’occurrence un chef britannique administrait de la sorte une cuisante leçon aux français quant à la gestion de leur patrimoine national. D’autres, plus pragmatiques, n’ont jamais manqué de pointer que d’une brillante renaissance au disque à une renaissance effective à la scène resteront toujours de multiples obstacles à franchir.


Ceci est resté particulièrement vrai pour Benvenuto Cellini, servi en 1972 par une distribution vocale exemplaire (Gedda, Eda-Pierre, mais aussi la fine fleur des seconds rôles du chant francophone de l’époque : Bastin, Berbié, Massard, Soyer), pour un enregistrement de rêve dont on n’a jamais pu retrouver ultérieurement l’équivalent scénique.


Et si effectivement aujourd’hui Les Troyens ont réussi un peu partout à franchir l’épreuve du vrai théâtre, avec des productions toujours au moins décentes voire brillantes (Munich, New York, le Châtelet à Paris), Benvenuto Cellini continue à rester dans les limbes, aucune mise en scène de cette œuvre impossible ne réussissant à bien passer la rampe. Responsabilité de scénographes qui n’ont jamais pu en faire autre chose qu’une sorte d’opérette géante surchargée de gags et de paillettes ? Peut-être. Mais force est de souligner aussi les défauts patents d’une structure dramatique sans ligne directrice évidente. En tout cas ni Denis Krief à Paris (Bastille), ni Andrei Serban (New-York), ni David Pountney (Zurich) n’ont échappé jusqu’à présent à des constats de demi-échec. Et le tandem Renaud Doucet/André Barbe n’y parvient pas davantage, dans cette brouillonne production strasbourgeoise qui transforme le couple d’amoureux en simples archétypes sans vraie personnalité et tous les comparses en marionnettes ridicules. On peut sourire aux pitreries d’un Balducci traité comme un Polichinelle dérisoire, s’esclaffer devant les gags éculés dévolus à Fieramosca, voire s'amuser grassement de la représentation du Pape en oisif passant son temps à caresser trois jeunes enfants/putti adipeux tenus en laisse (cela dit, on ne voudrait pas paraître bégueule, mais n’est-ce pas pousser ici le bouchon un peu loin ?).


Malgré le soin apporté aux costumes tout cela manque de cohérence, et ce n’est pas l’idée de transformer Cellini en sosie de Berlioz (le destin contrarié du sculpteur italien et celui d’un compositeur à la carrière lyrique non moins perturbée se confondent ici en un curieux jeux de miroirs) qui peut assurer une armature suffisante à la production. Au contraire, il résulte simplement de ce parti-pris un encombrement visuel supplémentaire, tout particulièrement dans l’ouverture, où l’on se passerait bien de la gesticulation parasite d’un Berlioz/figurant dirigeant son œuvre en même temps que le véritable chef. A l’heure du bilan, force est de constater qu’on laisse ici une fois de plus au placard la dimension la plus passionnante de l’œuvre : ce glissement constant du drolatique au tragique, comme les reflets changeants d’une vie italienne qui brasse en un seul tourbillon de multiples aspects, du plus dangereux (ecclésiastiques sournois, duels et spadassins) au plus ludique (carnaval, masques et comédies de tréteaux). A défaut, on en restera au plaisir visuel évident dispensé par certaines scènes de cette production luxueuse, notamment un carnaval impeccablement réglé, spectaculaire et crédible.


Musicalement, l’Opéra du Rhin a su trouver une distribution très honorable, menée précautionneusement par un chef manifestement peu familiarisé avec l’œuvre et qui aurait pu utilement rattraper certains dérapages de l’orchestre (notamment l’Ouverture, constamment décalée entre cordes et petite harmonie) au lieu de rester le nez plongé dans sa partition. Cela dit, en dépit de cette battue brouillonne, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’en tire avec les honneurs, créant même souvent un barrage sonore infranchissable pour la plupart des voix. Le timbre discrètement nasal mais adroitement projeté de la jolie Teresa d’Anne Sophie Duprels (chanteuse de surcroît très musicale, certainement un nom à retenir) passe bien, les coups de gueule du Fieramosca de Philippe Duminy aussi. Pour les autres l’audibilité fluctue (l’Ascanio d’Isabelle Cals, mezzo-soprano agréable mais quand même fort menu), voire laisse constamment à désirer (le Balducci de Fernand Bernardi, invariablement submergé). Difficile de se faire une idée objective du Cellini de Paul Charles Clarke, annoncé en méforme mais qui parvient à limiter la casse, au cours d’une représentation menée à terme sans accident majeur. Techniquement, le chanteur semble fait pour le rôle, avec une quinte aigüe aisément disponible en voix mixte mais un timbre sans rayonnement particulier et une prononciation du français plutôt laide, encore que remarquablement claire. Compte-tenu des évidentes difficultés de l’emploi, sans doute un choix acceptable. Indisposition annoncée aussi pour le Pape Clément VII de François Lis, dont les graves sont effectivement inexistants ce jour-là.
Satisfecit évident en revanche pour des chœurs d’une remarquable tenue, associant l’effectif de l’Opéra du Rhin à celui de l’Opéra de Nice (splendide ensemble des ciseleurs).

Quant à la version choisie, prudente synthèse entre les divers états d’un ouvrage abondamment remanié par Berlioz au cours d’exécutions successives, elle est assez pertinente mais trop longue. Se pose l’éternel problème des brèves coupures que l’on pourrait utilement y pratiquer, musicologiquement peu défendables mais fort souhaitables en revanche pour assurer un peu plus de fluidité à l’ensemble. De toute façon, on doute que le public se soit même aperçu de l’absence de l’intégralité du duo Teresa-Cellini du milieu du 3e tableau, passé à la trappe en toute discrétion cet après-midi là, pour cause de méforme du ténor. Eternel débat sur les coupures dans Berlioz, mais que l’on devrait pouvoir oser trancher avec davantage de pragmatisme. Autre problème : la curieuse présence de dialogues parlés, alors même que l’on s’accorde à considérer comme un progrès le retour récent aux récitatifs originaux de la version dite « Paris 1 ». En tout cas on peut penser que ces dialogues accentuent aujourd’hui à mauvais escient un aspect «Opéra-Comique» dont on n’est pas du tout sûr qu’il correspondait aux projets réels du compositeur.


L’initiative était courageuse et le public y aura gagné la découverte d’une partition d’une grande richesse. Cela dit, une fois de plus, pour cet impossible Benvenuto Cellini, force est de conclure à une demi-réussite seulement.



Laurent Barthel

 

 

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