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Un premier acte de rêve

Paris
Théâtre du Châtelet
01/26/2006 -  et 31 janvier, 5, 8 février, 3 et 12 avril 2006
Richard Wagner: Siegfried

Jon Fredric West (Siegfried), Volker Vogel (Mime), Jukka Rasilainen (Der Wanderer), Sergei Leiferkus (Alberich), Kurt Rydl (Fafner), Linda Watson (Brünnhilde), Qiu Lin Zhang (Erda), Natalie Karl (Stimme des Waldvogels)
Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach (direction)
Robert Wilson (mise en scène, scénographie et lumières), Frida Parmeggiani (costumes), Kenneth L. Schutz (lumières)


Entamés cet automne avec L’Or du Rhin (voir ici) puis La Walkyrie (voir ici), les quatre cycles complets de L’Anneau du Nibelung coproduit avec l’Opéra de Zurich reprennent leur cours au Châtelet cet hiver, avant les deux autres cycles qui seront donnés ce printemps.


Les espérances étaient-elles trop grandes? Les deux premiers volets avaient en tout cas suscité une relative déception, scénique et surtout vocale, et comme la logique voulait que la conception aussi bien que l’essentiel de la distribution ne fussent pas fondamentalement modifiées, l’on abordait donc Siegfried (1869) un peu à reculons… comme le Wanderer de Robert Wilson. Mais le premier acte a d’emblée apporté un étincelant démenti à tout ce qui avait pu refréner l’enthousiasme dans les deux opéras précédents.


Autour du personnage de Mime, incarné à la perfection, tant musicalement que dramatiquement, par Volker Vogel, la direction d’acteurs de Robert Wilson, sortant de ses habituels mouvements lents et géométriques, se révèle en effet d’une inventivité imprévue et en même temps d’une plus grande exigence pour les chanteurs: Mime, pour les francophones, n’aura jamais aussi bien mérité son nom, tant cette approche lui impose des attitudes et des expressions sans cesse changeantes. Mais tous ne se plient pas à l’exercice avec autant de succès ou de bonne volonté: si l’on sent ainsi Volker Vogel parfaitement convaincu (et, de ce fait, parfaitement convaincant) par la nécessité de cette contrainte, Jon Fredric West (Siegfried), quand il ne s’en abstrait pas, s’y coule visiblement avec peine.


Côté décors et accessoires, le dépouillement reste bien entendu de mise, mais d’épais montants et une enclume suggèrent la forge, tandis que ne manquent à l’appel ni le marteau (même si c’est un percussionniste qui en assure le bruitage dans la fosse), ni le glaive, ni la lance, ni la fiole de poison. Quant aux lumières projetées en fond de scène ou aux faisceaux éclairant les protagonistes, réglés par Wilson lui-même avec Kenneth Schutz, ils continuent à tenir une place capitale dans le dispositif, collant de près à la partition. Les costumes de Frida Parmeggiani suggèrent toujours un orient théâtral qui s’accorde à l’épure globale.


Bien que conservant des tempi globalement lents, Christoph Eschenbach soutient efficacement l’action et parvient à éviter les «tunnels». Malgré quelques soucis de mise en place, il œuvre en finesse, même s’il n’hésite pas ici ou là à faire sonner généreusement l’orchestre. Mais les trois voix réunies sur le plateau sont de force à résister, qu’il s’agisse, comme on l’a vu, de Mime, mais aussi de Siegfried – qui démontre, au-delà d’une belle puissance, une véritable sensibilité – et du Wanderer. Car paradoxalement, en dieu affaibli parcourant le monde, Jukka Rasilainen, très en retrait à l’automne en Wotan, paraît ici métamorphosé, ayant gagné en autorité, en justesse et en rondeur.


Après ce premier acte de rêve, le deuxième marque un léger recul. Le décor – des troncs d’arbres qui, par moments, se déplacent – demeure certes opulent au regard des standards wilsoniens. L’on retrouve certes l’Alberich impressionnant et atypique de Sergei Leiferkus et l’on découvre certes l’excellent Fafner de Kurt Rydl, bénéficiant d’une amplification caverneuse, tandis que Natalie Karl prête sa voix de façon tout à fait satisfaisante à l’Oiseau de la forêt. Et l’orchestre se montre certes à nouveau sous son meilleur jour, à commencer par André Cazalet, qui réussit impeccablement son redoutable solo de cor.


Mais Rasilainen devient plus irrégulier, multipliant les ports de voix hasardeux, tandis que les idées de mise en scène alternent le meilleur – Wotan apparaissant à l’arrière-plan pendant les «murmures de la forêt» – et le bizarre – un jeune garçon en tutu évoquant Arno Breker ou Balthus, qui, portant des branchages, traverse le plateau à chacune des interventions de l’Oiseau – sans parler d’un dragon très «Nouvel An chinois», avec ampoules électriques et bouffées de fumée.


Le troisième acte finit de nous ramener aux incertitudes des deux premières étapes de cette Tétralogie. Fort logiquement, le plan incliné au sol craquelé et les trois rampes à gaz du troisième acte de La Walkyrie sont de retour, de même que l’Erda au timbre capiteux et au large vibrato de Qiu Lin Zhang. Surtout, la fatigue finit par atteindre Jon Fredric West – en tout état de cause, c’est Nikolaj Andrek Schukoff qui tiendra le rôle dans Le Crépuscule des dieux. Linda Watson, un peu plus solide que dans La Walkyrie, s’en tient à une prudence qui se traduit par une Brünnhilde plus appliquée que rayonnante, pouvant difficilement rivaliser avec son partenaire. Il est vrai que la lenteur des déplacements et la raideur de la gestuelle auxquelles ils doivent se soumettre n’encouragent pas la spontanéité et les effusions qu’appellent tant le texte que la musique. La somnolence gagne également la direction d’Eschenbach, retombant dans certains des travers qui avaient marqué le début de ce Ring, que ce soit une tendance à l’emphase ou une difficulté à animer le discours.


Les réactions de la salle ajoutent un soupçon d’amertume sur une soirée pourtant si bien commencé: un spectateur résume finement le dernier tableau à l’attention de sa voisine («Michou et Maïté», se référant au manteau bleu de Siegfried et à la corpulence de Brünnhilde); un tiers du parterre se lève dès le tomber du rideau, refusant le respect le plus élémentaire dû à la réalisation de ces quatre heures de spectacle; quelques huées accueillent Eschenbach, plus nourries lorsque Wilson se joint aux saluts, entouré de ses collaborateurs. On se demande quand même qui peut encore prétendre être surpris par les choix de l’Américain…



Simon Corley

 

 

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