About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Dutilleux-ci…

Paris
Maison de Radio France
01/22/2006 -  
Henri Dutilleux : Deux sonnets de Jean Cassou – Métaboles – Figures de résonances (*) – Trois strophes sur le nom de Sacher (§) – Les Citations – Ainsi la nuit
Maurice Ohana : Sorôn-Ngô (+)
Gérard Grisey : Accords perdus
Witold Lutoslawski : Sacher-Variationen (#)
Luis de Pablo : Cuatro fragmentos de «Kiu» (extraits) (~)
György Ligeti : Trio pour violon, cor et piano (^)
Betsy Jolas : Quatuor VI (&)

Neal Davies (baryton), Laurent Decker (hautbois), Patrick Messina (&) (clarinette), Antoine Dreyfuss, David Guerrier (^) (cor), Nicolas Dautricourt (^), Luc Héry (~ &) (violon), Sabine Toutain (&) (alto), Raphaël Perraud (§ &), Sébastien van Kuijk (#) (violoncelle), Stéphane Logerot (contrebasse), Emmanuel Curt (percussion), Dana Ciocarlie (+ ^), David Fray (*), Franz Michel (* + ~) (piano), Mathieu Dupouy (clavecin), Quatuor Castagneri: Elisabeth Glab, Martial Gauthier (violon), Emmanuel Haratyk (alto), Jean-Luc Bourré (violoncelle)
Orchestre du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Patrick Davin (direction)


«Il est presque impossible de parler de «fête» à mon âge.» Tout Dutilleux est dans cette remarque: malgré son implacable lucidité, il s’est prêté avec grâce aux nombreuses manifestations qui se tiennent en son honneur, en particulier à cette longue soirée organisée salle Olivier Messiaen par Radio France le jour même de son quatre-vingt-dixième anniversaire, retransmise en direct sur France Musique en conclusion de son week-end «Porte ouverte» de concerts gratuits intitulé «Musique et héros». Installé sur le côté de la scène et conversant avec Jean-Pierre Derrien, qui lui consacre cette semaine la série matinale d’émissions «Au bonheur des gammes», le compositeur parle tour à tour de ses propres œuvres et des amis – trois disparus, trois vivants – qu’il a associés à cet hommage, témoignant de sa curiosité et son ouverture d’esprit: le héros évoqué par ce week-end, c’était peut-être aussi le spectateur régalé d’un menu aussi gargantuesque…


Le début de ce marathon constituait en réalité la seconde partie d’un concert de l’Orchestre du Conservatoire de Paris (CNSMDP), dont la première présentait déjà deux sorciers de l’orchestre, Schmitt et Prokofiev. S’agissant de Dutilleux, c’est d’abord la version orchestrale des Deux sonnets de Jean Cassou (1954), chantés par Neal Davies, qui les a enregistrés pour Chandos voici déjà dix ans: malgré un beau legato, le baryton est comme prisonnier des lianes d’une instrumentation somptueuse.


L’effectif au grand complet vit ensuite un moment important, dont tous se souviendront certainement avec fierté et émotion: en effet, ils pourront dire qu’ils ont interprété les Métaboles (1964) en présence du compositeur, qui les décrit préalablement comme «un tournant dans [son] travail et [sa] recherche, sans renier tout ce qu’[il] avait fait avant». Sous la direction de Patrick Davin, et même si celui-ci privilégie le statut de pilier du répertoire sur le caractère novateur du propos, elles prennent un relief tout particulier, à la fois analytiques, dramatiques et incisives, allant toujours de l’avant, avec un Obsessionnel au rythme duquel le compositeur se balance latéralement sur sa chaise, et servies par une formation d’une belle cohésion, à l’image de cet inhabituel salut collectif au public, parfaitement mis au point par le chef français.


La suite de la soirée rassemblait des partitions destinées à des ensembles plus réduits – pour lesquels Dutilleux regrette d’ailleurs de ne pas avoir davantage écrit, indiquant toutefois qu’il «pense souvent à un second quatuor» – réunissant des musiciens issus, dans leur majorité, des solistes des deux orchestres de Radio France.


Les Figures de résonances (1975), qui gagnent fortement à être entendues en concert et dans lesquelles David Fray et Franz Michel font découvrir un univers assez proche de celui des Métaboles, bien plus riche, en tout cas, que ces «recherches expérimentales d’ordre acoustique, sans lyrisme» qu’évoque Dutilleux, étaient précédées d’une autre partition pour deux pianos, Sorôn-Ngô (1970) d’Ohana, confiée à Dana Ciocarlie et Franz Michel. La confrontation est justifiée, car Geneviève Joy – qui célèbrera cette année ses noces de diamant avec un certain Henri Dutilleux – a participé à la création des deux œuvres; elle se révèle en même temps éclairante, car tout au long de ce quart d’heure primitif, Ohana, dans lequel Dutilleux voit l’illustration des bienfaits d’un apprentissage autodidacte (et celle du refus du contrepoint «germanique»), se fonde également sur les résonances, provoquées notamment par des clusters ou en frappant les cordes avec des baguettes.


Dutilleux rappelle ensuite un autre disparu, Grisey, son cadet de trente ans et l’un de ses élèves, qu’il incitait, dans la droite ligne de ses discussions avec Ohana, à «faire davantage de polyphonie», même si, avec sa modestie coutumière, il le décrit comme marqué avant tout par Messiaen et par Stockhausen. Le fondateur de l’école spectrale était représenté ici par Accords perdus (1987), dont Antoine Dreyfuss et David Guerrier, les très jeunes soliste du Philhar’ et du National, restituent les délires conflictuels et les délices sonores.


Avec Lutoslawski, au-delà d’une estime réciproque et d’un intérêt croisé pour leurs cultures respectives, les points communs abondent: une lointaine ascendance polonaise du côté de sa mère; un concerto pour violoncelle commandé par Rostropovitch et gravé sur le même disque par son dédicataire; surtout, un même souci d’exigence et une capacité à évoluer qui ont été des modèles pour des générations de compositeurs. Mais il y a aussi une admiration, un rien inattendue, pour Chopin. Dutilleux se remémore ainsi sa dernière rencontre, en 1993, non loin de son appartement de l’île Saint-Louis, avec son ami: une visite à la Bibliothèque polonaise toute proche, au cours de laquelle ils découvrent, avec un étonnement mêlé de respect, qu’une mèche de cheveux de Chopin y était conservée…


Autre personnage important pour les deux hommes, Paul Sacher, qui aurait eu cent ans le 28 avril prochain. Pour son soixante-dixième anniversaire, le mécène et chef suisse, auquel Dutilleux a réservé ensuite son Mystère de l’instant, s’était vu offrir un recueil pour violoncelle seul suscité, encore une fois, par Rostropovitch. Dans les brèves Variations Sacher (1975), défendues avec élégance par Sébastien van Kuijk, Lutoslawski n’est cependant pas à son meilleur face à une réussite aussi éclatante que les Trois strophes sur le nom de Sacher (1976/1982) de Dutilleux, où l’éloquence, la pudeur, la précision et la subtilité de Raphaël Perraud font en outre merveille.


En Luis de Pablo, Dutilleux salue celui qui a su promouvoir, malgré le régime franquiste, toutes les musiques, dont il vante le récent Concerto pour violoncelle et qui vient de lui dédier sa plus récente pièce pour orchestre. Luc Héry et Franz Michel jouent deux des Quatre fragments (1986), d’un lyrisme qui ne surprend pas lorsque l’on sait que le compositeur espagnol les a tirés de son opéra Kiu (1982).


Abordant Ligeti, dont les interprètes peinent à parfois trouver à trouver un équilibre satisfaisant dans le Trio pour violon, cor et piano (1982), Dutilleux, qui a assisté aux représentations controversées du Grand macabre au début des années 1980, remarque l’influence considérable que le Hongrois exerce sur son époque et admire son corpus pianistique, qu’il compare à celui de Messiaen et qui lui fait déplorer de ne pas avoir pu, de son côté, aller très au-delà de sa Sonate de 1947.


Les Citations (1985/1990) sont marquées chacune par des anniversaires, respectivement les soixante-quinze ans de Peter Pears et les cinquante ans de la mort de Jehan Alain, que Dutilleux admirait au point d’orchestrer sa Prière pour nous autres charnels. L’excellence du hautboïste Laurent Decker, très en avant dans For Aldeburgh 85, est à l’unisson de celle de ses trois partenaires dans la virtuosité très jazzy de From Janequin to Jehan Alain.


Né à l’occasion d’un autre anniversaire (les dix ans de l’ensemble FA), Quatuor VI (1997) de Betsy Jolas, qui fêtera pour sa part ses quatre-vingts ans le 5 août prochain, était complété par un plaisant Post-scriptum pour Henri (sur l’air de Happy birthday to you) spécialement ajouté par la circonstance. Patrick Messina et ses camarades de l’Orchestre national de France illustrent avec beaucoup de finesse une esthétique très proche de celle de Dutilleux, très «française» dans sa manière de suggérer par allusions furtives, de ramasser le discours et de flatter la qualité instrumentale.


Dans son propos introductif, Dutilleux avait d’ailleurs loué l’intelligence, le charme et le charisme de l’assistante de Messiaen au conservatoire, auteur d’un Quatuor II pour Mady Mesplé et les membres du Quatuor Parrenin. Ce sont précisément les Parrenin qui donnèrent en son temps la première d’Ainsi la nuit (1977), conclusion d’autant mieux trouvée que le Quatuor Castagneri s’investit dans une lecture limpide, riche et vivante. Ce programme de plus de trois heures de musique presque sans interruption s’achève donc sur la dernière des sept sections de ce quatuor, Temps suspendu: celui, pour Henri Dutilleux, d’étoffer un catalogue qui le sera déjà prochainement par une nouvelle page pour Renée Fleming.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com