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Une rentrée hors les murs pour l’Opéra de Rouen

Normandie
Théâtre des Deux Rives
11/02/2005 -  Du mercredi 2 novembre au dimanche 13 novembre 2005.


Francis Poulenc : Diptyque lyrique et mélodique sur un livret de Jean Cocteau La Voix Humaine et La Dame de Monte-Carlo


La Femme / la Dame : Sophie Fournier & Ingrid Perruche (en alternance). Mise en scène : Alain Garichot. Costumes : Claude Masson, Bruno Fatalot. Décors : Denis Fruchaud. Lumières : Marc Delamézière. Piano : Nicolas Krüger




Le théâtre des Arts de Rouen passera sa saison hors les murs. Des travaux pour un meilleur usage de la cage de scène sont en cours et les rentrées symphoniques et lyriques ont donc élu domicile en d’autres lieux rouennais.


La Neuvième Symphonie de Bruckner par l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et leur directeur musical Oswald Sallaberger, dans le cadre du « Nouveau Festival Octobre en Normandie » (nouveau parce que se poursuivant sur deux mois, rassemblant musique danse mais aussi théâtre et s’étendant géographiquement à l’Eure), fut donnée au Zénith de l’agglomération rouennaise le 7 octobre, précédée de l’Ouverture du Vaisseau Fantôme de Wagner jouée très lisiblement (petite harmonie impeccable), pour un coup d’envoi symphonique pour le moins osé, au retour de vacances.


De l’orchestre que l’on connaît bien, rien à redire, les vacances n’ayant pas entamé la conduite du son, la grande précision rythmique, les beaux équilibres sonores qui servaient justement le « Mystère » en cette symphonie et qui donnaient la pleine mesure de l’« offrande à Dieu ». Des trouvailles au niveau des tensions sonores (merveilleux coups d’archets pour le quintette à cordes dans le motif mouvementé et répétitif en ouverture du Scherzo) dans les élans forte tout à fait perceptibles malgré un lieu peu propice à l’écoute active, à l’attention, au « recueillement ». Un « Zénith » permet une jauge importante mais a malheureusement raison de la concentration de l’auditeur (le spectateur « visuel » ne voit pas bien la scène, l’ « auditif » ne perçoit que ce que renvoient des enceintes…)


Pour l’ouverture lyrique 2005-2006 de l’Opéra de Rouen au Théâtre des Deux Rives, centre dramatique régional de Haute Normandie, le nouveau directeur de l’opéra Daniel Bizeray se trouvait en terrain de connaissance en programmant, sur neuf représentations, deux chef-d’œuvres de mise en musique des textes de Cocteau par Poulenc : La Voix Humaine et La Dame de Monte- Carlo, mis en scène par Alain Garichot, reprise d’une production montée à l’opéra de Rennes en 2002.


Le lieu convient aux œuvres : petite jauge intimiste, scène permettant un contact direct avec le public (le premier rang a un pied sur scène). Alain Garichot et son scénographe ont choisi un décor unique pour les deux ouvrages, la sobriété d’un intérieur bourgeois limité au lit-sofa format cercle, à un téléphone année cinquante, à un guéridon qui sert plus à La Dame (de Monte-Carlo) qu’à la Femme (personnage de La Voix Humaine). La Femme passe de son lit à la chaise, située face au guéridon et revient à son lit, enveloppée d’une lumière suave. La Dame, plus mobile, raconte ses aventures en marchant, parfois assise puis finalement face au fond de scène représentant la mer (figurée par une belle mise en lumière de Marc Delamézière) dans laquelle elle va aller noyer son chagrin, sombrer pour en finir. Le piano ne se remarque pas, sauf le travail du pianiste pour La Voix Humaine : Nicolas Krüger a étoffé la version-piano, qu’on entendait sans doute pour l’une des dernières fois (volonté d’éditeur), afin de faire entendre une atmosphère moins lyrique à la fois dense, percussive voire même tranchante.


Après la création du texte théâtral La Voix Humaine de Jean Cocteau en 1932, Roberto Rossellini l’adapte dès 1947 au cinéma pour un moyen-métrage jouée par Anna Magnani. Un peu plus de dix ans plus tard, Francis Poulenc met le texte en musique et, de ce drame devenu lyrique, Dominique Delouche réalise un film en 1971, interprété par Denise Duval, créatrice du rôle opératique, muse de Poulenc ; film d’ailleurs présenté, avec celui de Rossellini au Cinéma Le Melville à Rouen pendant les représentations dont on parle. Mais peut-être manquait-il, dans cet échange entre les arts, un « liant » intéressant : le document filmé en 1999 titré Denise Duval revisitée ou la « voix » retrouvée, du même Dominique Delouche ? Documentaire qui nous a fait penser, en se ressouvenant de la formidable leçon d’interprétation de Denise Duval pour La Voix Humaine à Sophie Fournier, émue, émouvante, que, si sept années déjà ont passé depuis ce témoignage, cette Leçon-là a servi l’art lyrique.


En effet, Sophie Fournier, qui assurait « la première », assure maintenant, au delà des représentations rouennaises qui nous occupent, la succession vocale de Denise Duval chantant Poulenc. Sa maîtrise du parlé-chanté, ses pianos de tendresse expressive et très denses, ses forte violents mais textuellement audibles, sa recherche du sobre, du fragmentaire, des points de rupture, du Silence et non du mélodique replet, du vocalement « plus joli mais moins dans le style » sont autant de qualités transmises et travaillées. Comme son personnage, Sophie Fournier a du courage, de lutter contre un piano qui savamment la harcèle, contre ce téléphone qui sonne de façon de plus en plus oppressante, qui fonctionne mal et qui ne lui dit rien de ce qu’elle voudrait entendre.


Le texte est délicat pour la mémoire, la partition douloureuse se veut faite d’embûches musicales surlignant les propos déjà sombres de Cocteau pour mieux faire ressortir le drame, certes commun, des amours déçues et des séparations déchirantes : c’est une tragédie lyrique et moderne. Le « moderne » de l’ouvrage nous dérange presque car on le sent proche de nous. Il ne s’agit pas d’une Phèdre errant dans un des palais de la lointaine Antiquité, il s’agit d’une femme encore jeune qui doit accepter une rupture, qui doit simplement cesser de joindre son amant, renoncer à lui, futur marié (à une autre), et qui fait durer trois quarts d’heure une conversation ordinaire qui ne cesse de s’interrompe (la communication est coupée puis rétablie à plusieurs reprises) comme autant de fins (Alain Garichot joue également sur le motif. Il fait par exemple passer à Sophie Fournier le fil du téléphone autour de son cou un moment, pendant un rappel à l’amant) avant la Fin, celle de la liaison clandestine, celle aussi, plus tragique de la vie de cette femme amoureuse. Ce n’est pas Phèdre mais est-elle moins sublime ?


La Dame de Monte-Carlo, personnage d’une œuvre très courte un peu plus tardive (1961, pour la musique) est, pour Alain Garichot, le fantôme de la Femme. Les premiers mots du rôle (« Quand on est morte parmi les mortes ») donne clairement le ton et Ingrid Perruche, prenant nonchalamment le bras de Sophie Fournier pantelante, chante comme l’épilogue de la vie que la Femme aurait pu connaître si elle s’était laissé aller à vivre « malgré tout » ou bien, peut-être, voyons-nous ici, dans ce geste de la Dame à la Femme, un signe de sympathie en hommage à leur destinée tragi-commune ?


L’anxiété de la Femme lucide est remplacée par l’ironie de la Dame délaissée. Voix claire, regard encore rieur, La Dame d’Ingrid Perruche, décadente, occupe la scène pour donner pleine saveur à ce beau portrait de société croqué finement par Cocteau. Décontractée dans son malheur, femme rejetée mais toujours digne, rodant près des Casinos interdits, la Dame nous parle tout en préparant son suicide : une Socrate des temps modernes ? Pas moins sublime, elle non plus, en tout cas.






Pauline Guilmot

 

 

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