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Le cri d’Ustvolskaïa

Paris
Musée d'Orsay
10/27/2005 -  
Galina Ustvolskaïa : Sonates pour piano n° 1 à 6

Markus Hinterhäuser (piano)


Dans le cadre du Festival d’automne à Paris mais aussi du cycle «Musique russe» organisé en parallèle à l’exposition «L’Art russe dans la seconde moitié du XIXe siècle : en quête d’identité», le Musée d’Orsay proposait l’intégrale des Sonates pour piano de Galina Ustvolskaïa (ou Ustvolskaya, selon la graphie anglaise d’usage plus courant). Née en 1919, mais seulement révélée au milieu des années 1980 et n’ayant rien publié depuis quinze ans, la Russe, indépendamment de compositions alimentaires (musiques pour le cinéma et autres Jeunes pionniers) qu’elle a d’ailleurs reniées, ne laisse que vingt-cinq œuvres. Mais dès la deuxième et jusqu’à l’avant-dernière ligne de ce catalogue «officiel», ce corpus pianistique y tient une place essentielle, couvrant plus de quarante ans d’activité créatrice.


Responsable de la programmation au Festival de Salzbourg à compter de l’automne 2006, Markus Hinterhäuser, familier des expériences extrêmes (Cage, Feldman, Scelsi, …), connaît bien ces six Sonates, notamment parce qu’il les a enregistrées pour Col legno. Il les présentait dans l’ordre chronologique et d’une seule traite, soit une heure de musique (significativement moins, au demeurant, que les chronométrages indiqués tant par le programme que par l’éditeur des partitions, Sikorski). D’un seul tenant et d’une durée allant de moins de six minutes au quart d’heure, elles ressemblent formellement aux dernières Sonates de Scriabine, mais, au-delà du mysticisme qu’on est en droit d’y percevoir, elles ne s’apparentent évidemment pas à cette esthétique.


La Première sonate (1947) date de la fin des études avec Chostakovitch, avec lequel la relation musicale et personnelle fut suffisamment intense pour que celui-ci l’exhorte à «persévérer dans le chemin d’erreur» que dénonçaient alors les autorités soviétiques, cite son Trio dans deux de ses propres pièces et lui écrive: «Ce n’est pas toi qui subis mon influence, mais moi la tienne». S’y affirme d’emblée une voix originale, où la sévérité d’un contrepoint mat et régulier est contrebalancée par le jeu sur les oppositions de registres. Non moins implacable, puissante et austère, la Deuxième sonate (1949) prolonge cette veine dont le radicalisme dépourvu de concessions se situe aux confins de l’Ecole de Vienne et de la future Ecole de New York.


Egalement apparue dans les pires moments du stalinisme, la Troisième sonate (1952) est la plus développée des six. Plus narrative et poétique, moins affirmative, elle marque une évolution vers la couleur ainsi que les contrastes de climats et de tempi. Moins grinçante et référencée que Schnittke, moins minimaliste et contemplative que Goubaïdoulina, Ustvolskaïa poursuit sa voie dans la Quatrième sonate (1957), avec toutefois un souci plus sensible du raffinement des textures, une fragmentation croissante du discours et une plus grande économie de moyens: ce faisant, le propos se fait toujours plus méditatif et hypnotique.


Près de trente ans plus tard, la Cinquième sonate (1986), sans être extérieurement virtuose, se caractérise par un style bien plus spectaculaire, à base de grands gestes pianistiques et de violents conflits, dont témoigne un martèlement d’accords chargés, répété jusqu’à l’obsession. La Sixième sonate (1988), la plus brève, est en même temps la plus paroxystique, les clusters joués avec l’avant-bras contribuant à une saturation sonore et expressive qui ne se déchire que pour laisser transparaître un choral frêle et laconique: déferlement orchestral qui ne surprend pas de la part de celle qui, dans l’une des rares considérations qu’elle a tenues sur sa musique, relevait que celle-ci «n’est jamais de la musique de chambre, même dans le cas d’une sonate».


Quelques spectateurs capitulent après les premières sonates, mais le reste de l’auditorium réserve un triomphe à Markus Hinterhäuser, qui s’impose dans cette épreuve à la fois physique et émotionnelle.


Le concert était précédé (et suivi) de la diffusion d’un film de trente-trois minutes, Un cri dans l’univers (2005), réalisé par Josée Voormans: une aubaine s’agissant d’un compositeur réputé vivre reclus dans son petit appartement pétersbourgeois, qui n’a que tout récemment voyagé hors de Russie, dont on n’a longtemps disposé que d’un petit nombre de photographies et qui rechigne à commenter son travail («Tous ceux qui aiment réellement ma musique devraient s’abstenir d’en livrer une analyse théorique.»).


Ce documentaire, centré sur les répétitions en mai dernier à Amsterdam de sa Deuxième symphonie «Félicité véritable et éternelle» (1979), dirigée du piano par le fidèle Reinbert de Leeuw, n’est certes pas sans défauts. Dans une traduction peu fiable (les noires deviennent ainsi des quartes), des témoignages épars se succèdent, apportant une contribution somme tout assez faible: l’un estime qu’Ustvolskaïa est une personnalité originale et importante, l’autre la trouve typiquement «russe», un autre encore plutôt pétersbourgeoise. Quant à savoir si son style aurait été différent sous un autre régime politique…


Mais le portrait de la matriochka aux cheveux roux et à la casquette rouge, se déplaçant désormais principalement en fauteuil roulant, concédant que ses partitions sont difficiles d’exécution et pointilleuse jusqu’à définir si l’acteur qui déclame le texte doit ouvrir ou non le col de sa chemise, est indéniablement attachant et même parfois drôle. Et il suffit ensuite de faire son miel de ses fortes paroles: son attachement à la nature, où elle dit trouver son inspiration, le caractère plus «spirituel» que «religieux» de son œuvre et une vie qu’elle qualifie de «triste».


Le site du Festival d’automne à Paris



Simon Corley

 

 

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