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Le Tristan ténébreux d’Olivier Py

Geneva
Grand Théâtre
02/10/2005 -  et 13, 16, 19, 22, 25, 28 février 2005
Richard Wagner : Tristan et Isolde
Clifton Forbis (Tristan), Alfred Reiter (Marke), Jeanne-Michèle Charbonnet (Isolde), Albert Dohmen (Kurwenal), Mihoko Fujimura (Brangäne), Philippe Duminy (Melot), David Sotgiu (Un jeune marin, Un berger), Nicolas Carré (Un pilote)
Orchestre de la Suisse romande, Armin Jordan (direction)
Olivier Py (mise en scène et lumières), Pierre-André Weitz (décors et costumes)

Ceux qui s’attendaient à des extravagances ou à des provocations ont été déçus : l’iconoclaste metteur en scène a compris que le chef-d’œuvre wagnérien était un opéra de l’intériorité et s’est surtout attaché à expliciter scéniquement ce que disent la musique et le texte. Au premier acte, le bateau est noir, comme la voile, éclairé par quelques néons : n’oubliant pas que la lumière y est haïe et redoutée, Olivier Py a conçu un Tristan ténébreux, où domine la pulsion de mort. On voit la nef glisser sur l’eau, entraînée vers le port par un irrésistible destin. La robe de mariée d’Isolde, accrochée à son portemanteau, a quelque chose de dérisoire, comme le bouquet de Marke à la fin alors que Tristan et Isolde se sont enfin reconnus – très belle scène où l’érotisme passe par de très subtils jeux de mains, à la fois impatientes et timides. Au deuxième acte, tout continue à glisser ; les deux amants passent ainsi d’une chambre à l’autre, obscure ou blanche de lumière, qui peut tenir du galetas ou de la grotte, où la mort reste omniprésente même au plus fort de la passion – dont l’intensité brûlante est suggérée sans être exhibée. Là encore, contrepoint avec l’arrivée de Marke, roi puissant et toujours aussi dérisoire avec son manteau de fourrure, ses gardes du corps et ses chiens, défait ensuite par la douleur. Au troisième acte, le château, vaguement gothique, rappelle un peu le vaisseau du premier acte ; mais l’eau, cette fois, a envahi le plateau : eau originelle, matricielle, d’où émergent les fantômes de l’enfance qui peuplent le délire de Tristan, d’où semble émerger aussi, comme du plus profond des âges, « le vieil air » du cor anglais (dont le remarquable Sylvain Lombard, devenu le double du Berger, joue sur scène). Plus rien ne glisse cette fois, comme si le temps s’était arrêté pour faire place à celui d’avant la naissance et à celui d’après la mort. Et la transfiguration d’Isolde se fera dans l’obscurité, assomption vers le ciel ou le néant. Tout en restant fidèle à lui-même, le metteur en scène a évité la surenchère de signes et de symboles dont souffrent trop de productions actuelles, à laquelle lui-même a pu parfois succomber, au profit d’une lecture finalement très sobre, même si tel ou tel détail a pu paraître inutile – la bagarre avec les hommes de Marke à la fin, dans le style arts martiaux, n’a aucun intérêt.
Tout aussi subtile, la direction transparente d’Armin Jordan adopte le même ton intimiste, respectant scrupuleusement les nuances de la partition, très attentif aux timbres, à l’équilibre entre les pupitres, dirigeant un peu Tristan comme il dirigerait Pelléas, montrant bien tout ce que Debussy devra à Wagner. En bon chef de théâtre, il veille à ne jamais mettre les chanteurs en difficulté, sachant bien que l’âge d’or du chant wagnérien appartient à un passé de plus en plus lointain. Chez Jeanne-Michèle Charbonnet, c’est l’aigu qui pèche, soit qu’il soit pris trop bas, soit qu’il se dérobe, notamment au début du duo du deuxième acte. On s’en étonne, car la voix est ample et riche, avec un très beau médium, l’émission assez souple. Et l’interprétation convainc par sa noblesse et sa sincérité, sans rien d’outré dans le premier acte. Ceux qui s’apprêtaient à déplorer un vibrato un peu large ont rendu les armes quand ils ont entendu le Tristan de Clifton Forbis, puissant mais instable, parfois à la limite de la justesse, surtout dans le duo du deuxième acte où il frise plus d’une fois l’accident. Il assume mieux – comme la plupart des Tristan n’ayant pas vraiment les moyens du rôle – le monologue du troisième acte, trop prudent malgré tout pour l’habiter vraiment. Et comme Alfred Reiter est un Marke bien pâle, tant vocalement que scéniquement, nos suffrages vont surtout à la Brangäne de Mihoko Fujimura et au Kurwenal d’Albert Dohmen, superbes l’un et l’autre, de voix, de style et de présence.



Didier van Moere

 

 

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