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Vivat! Vivat Don José!

Berlin
Staatsoper
12/04/2004 -  et les 07, 11*, 14, 19, 22 et 26 décembre 2004.
Georges Bizet : Carmen

Rolando Villazon (Don José), Hanno Müller-Brachmann (Escamillo), Gustavo Peña (Remendado), Jan Zinkler (Dancairo), Christof Fischesser (Zuniga), Henk Neven (Morales), Marina Domashenko (Carmen), Dorothea Röschmann (Micaëla), Susanne Kreusch (Frasquita), Julia Rempe (Mercédès), Olaf Weißenberg (Lillas Pastia)
Staatsopernchor, Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboïm (direction)
Jens Kilian (décors), Heidi Hackl (costumes), Reinhard Traub (lumières), Regula Rapp (dramaturgie), Martin Kusej (mise en scène)

Cette nouvelle production de l’Opéra de Berlin était très attendue car elle marque les débuts du ténor mexicain Rolando Villazon dans le rôle de Don José et ceux du directeur musical du Staatsoper, Daniel Barenboim, dans cette œuvre. Tous deux, entourés d’une équipe de chanteurs excellents et aidés aussi par une mise en scène inventive et juste, ont mené Carmen au triomphe.



La mise en scène de Martin Kusej déborde d’idées. Il se montre très respectueux du livret mais également de la nouvelle de Mérimée puisque l’ouverture sert de prétexte à l’exécution de Don José par les autres soldats. De même, pendant la dernière scène de l’opéra, Escamillo apparaît couvert de sang, mort. Les décors sont assez sobres, voire stylisés: la scène s’ouvre sur un plan incliné en forme de maison qui ne cessera de tourner pour symboliser les différentes entrées des personnages, comme les cigarières qui sont dévoilées peu à peu. Le deuxième acte montre une sorte de tour grise-marron entourée d’un bassin d’eau où les chanteurs vont patauger allégrement. Les montagnes du troisième acte sont réduites à des pans de décor. Enfin Jens Kilian dépouille complètement la scène au dernier acte, dans la mesure où il n’y a rien si ce n’est le sable au sol qui est présent pendant toute la représentation. Tout est jeu de lumière pour éclairer les personnages quand ils se trouvent dans des positions dangereuses ou bien quand ils doivent prendre une décision importante. Les costumes sont intemporels: Carmen ne se dépare pas de sa robe noire moulante, mais non vulgaire, et elle a toujours avec elle une étole rouge-bordeaux qui servira ensuite de bandeau à Don José au moment de son exécution. Seul Escamillo a droit à quelques couleurs au quatrième acte ainsi que le groupe de toréadors qui l’accompagne. La gestuelle et les déplacements scéniques sont vraiment intéressants et mettent en lumière certains aspects de l’opéra. Les personnages sont parfois seuls sur scène: pour la Habanera, Carmen et Don José sont face à face et si le soldat tourne le dos au début à sa future maîtresse, il se retourne peu à peu, se laissant facilement séduire. De même, au dernier acte, le chœur est couché à terre et dans l’obscurité et Carmen et Escamillo sont debout pour leur unique duo d’amour.


Après un magnifique Hoffmann au Covent Garden en janvier dernier, Rolando Villazon continue l’exploration du répertoire français et ses débuts en Don José ont largement répondu aux espérances fondées sur lui. Le chanteur prend à bras-le-corps le personnage et le fait évoluer tout au long de la représentation, ne serait-ce que par l’émission même de sa voix, car il semble exécuter un long crescendo de trois heures. Dans le duo avec Micaëla “Parle-moi de ma mère”, il accompagne son chant d’une grande douceur et ce n’est qu’à la fin du deuxième acte, quand Don José commence à être jaloux de Carmen, que Rolando Villazon chante à pleine voix et avec toute la puissance qui le caractérise. Sa colère ne le quittera plus jusqu’à la fin de l’opéra, sauf pour clamer l’amour qu’il porte à Carmen, même morte. Il fait de Don José un personnage assez naïf et entier, se livrant à un amour sans limites pour Carmen et le texte, parfois ridicule avec d’autres que lui, prend vie dans ses notes. La fameuse réplique “Il va pleuvoir des coups” est même logique! Il s’appuie aussi sur un français excellent qui lui permet de rendre crédible le héros surtout dans le duo final (“Une autre vie”) qui est une véritable bataille entre sa douleur, son amour et son honneur, enfin du moins ce qu’il en reste. La voix est toujours aussi belle, lumineuse et expressive grâce à ses attaques qui en disent long sur l’état d’esprit du personnage. Espérons que Rolando Villazon mettra régulièrement ce rôle à son répertoire car il deviendra vite un Don José de référence!
Marina Domashenko, déjà entendue dans ce rôle il y a deux mois au Met, est une excellente Carmen vocalement et scéniquement. Elle connaît les limites du personnage et ne veut pas faire de Carmen une femme vulgaire, seulement aguicheuse. Son chant est tout en nuances et en subtilité lors de la scène de séduction “Près des remparts de Séville” ou bien dans le “tralala” du deuxième acte. Sa douleur et sa déception n’en sont que plus poignantes ensuite dans “Je faisais des frais”, pris sur un tempo très lent. La Habanera est également superbe car la mezzo utilise la chaleur et le velours de sa voix pour ensorceler et charmer. Une très grande Carmen!
Hanno Müller-Brachmann est un excellent Escamillo et, s’il se montre un peu timide dans son grand air de bravoure, il devient plus musical dans l’acte III et le duo entre Escamillo et Don José est criant de vérité. Il utilise la grande douceur de sa voix dans la scène de séduction au dernier acte “Si tu m’aimes, Carmen”. Il impose son allure de grand seigneur sur scène et est un Escamillo convainquant. La voix est très belle, expressive, et ses graves sont somptueux.
Dorothea Röschmann déçoit un peu dans le rôle de Micaëla car elle n’apporte ni innocence ni fraîcheur au personnage. La mise en scène prend le parti d’en faire une rivale directe de Carmen et de la montrer constamment face à elle comme dans la fin de l’acte III où elle s’interpose physiquement entre Don José et Carmen. La voix est belle, mais les aigus manquent parfois d’épaisseur et ne sont pas toujours très justes. Son air est correctement mené, avec un peu d’émotion, mais elle est dramatiquement peu crédible.
Les rôles secondaires sont très bien tenus à commencer par le couple formé par le Dancaïre et le Remendado, qui possède une certaine épaisseur et se montre drôle lorsqu’il se moque ouvertement de l’amour de Carmen. Quant aux deux femmes qui les accompagnent, elles ne ménagent pas leurs efforts pour donner une consistance à leurs personnages. Si les aigus de Susanne Kreusch (Frasquita) sont un peu courts. Julia Rempe, en revanche, est une superbe Mercédès et laisse entrevoir une voix plus que prometteuse avec une belle profondeur. Mention spéciale pour le Zuniga de Christof Fischesser, qui possède une très belle voix, riche de nuances et de couleurs.


La direction de Daniel Barenboim est intelligente et imaginative. Il faudrait pourvoir noter toutes les trouvailles dramatiques qu’il apporte à la partition comme la montée en puissance, avec une certaine retenue, entre les deux interventions du chœur des femmes au premier acte “C’est la Carmencita…”. Le chef diffuse une énergie incroyable et ce dès les premières notes de l’ouverture. Mais il est également sensible à la douleur des personnages notamment dans le final du deuxième acte qui est d’une grande intensité. Barenboim présente également Carmen comme un personnage effrayant, notamment dans le passage qui précède la Habanera. Le trio “Les tringles des sistres sonnaient” est envoûtant, l’accélération du tempo mettant presque mal à l’aise le spectateur. Le travail du chef est brillant mais dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qu’il met en valeur avec des couleurs claires et fortes des passages de l’œuvre. Surtout il se dégage une telle expressivité de bonheur (début du dernier acte dans la scène de liesse) ou de douleur (duo final de ce même acte) que l’œuvre devient presque méconnaissable tant elle se libère d’une direction parfois un peu conventionnelle habituellement entendue. Une grande redécouverte!
L’orchestre du Staatsoper de Berlin sonne magnifiquement et on ne sait qui louer le plus, la flûte ensorcelante dans l’intermède du troisième acte, ou bien les percussionnistes qui mettent tout leur cœur à rendre cette musique vivante et énergique. Le chœur est également excellent et colore les mots de mille nuances notamment dans le premier morceau “drôles de gens” où ils accentuent à l’excès le “drôles” montrant un certain mépris pour les gens “qui passent”.



Une soirée magnifique comme on en vit assez rarement à l’opéra puisque tous les éléments étaient réunis pour servir l’œuvre et pour l’embellir. La lecture de Daniel Barenboim est passionnante et originale et les détails mis en relief par le metteur en scène se révèlent être très efficaces. Les chanteurs se sentent alors soutenus et ils peuvent donner le meilleur d’eux pour le plus grand plaisir d’un public qui ne cesse de les rappeler et de les ovationner.




A noter:
- reprise de cette production avec la même distribution les 20 et 23 mars 2005 dans le cadre des Festtage du Staatsoper de Berlin.


Manon Ardouin

 

 

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