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Vignettes musicales

Paris
Salle Gaveau
10/23/2004 -  et 24 octobre 2004


Au Festival Transclassiques, après une inauguration bariolée (voir ici), il fallait bien se décider parmi les quatorze concerts de quarante-cinq minutes offerts du vendredi au dimanche: quatre aperçus, autant de vignettes musicales d’un week-end dense et varié.


Samedi 23 octobre, 16 heures 30
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 1, opus 2 n° 1, et n° 13 «Quasi una fantasia», opus 27 n° 1
Hélène Couvert (piano)


Entourée de petits photophores et de caméras, la scène de Gaveau prend une tournure inhabituelle pour accueillir Hélène Couvert dans deux sonates de Beethoven, en avant-première d’un disque qui sort prochainement. Souple et naturelle, sa Première sonate (1795) regarde en arrière, vers un classicisme sage et mozartien, plutôt que d’en souligner les aspérités, même si le Prestissimo final, au prix de quelques scories techniques, est pris à une allure très vive. De même, dans la Treizième sonate (1801), elle lisse les excentricités de cette «quasi-fantaisie», pour une lecture très maîtrisée, sans affectation, aux tempi rapides, fondée sur un jeu typique de l’école française, privilégiant la clarté et l’articulation sur la rondeur ou la puissance.


Dimanche 24 octobre, 16 heures 30
Joseph Haydn : Quatuors n° 72, opus 74 n° 1, et 81, opus 77 n° 1 (transcriptions pour flûte et piano)
Juliette Hurel (flûte), Hélène Couvert (piano)


Photophores éteints et caméras disparues, mais toujours aussi peu de spectateurs, hélas, pour retrouver Hélène Couvert: familière de Haydn et ayant formé un duo depuis huit ans avec Juliette Hurel, il était logique qu’elle ait choisi deux des trois sonates pour flûte et piano tirées, du vivant du compositeur par un auteur anonyme, de trois de ses quatuors de la dernière période, tronqués de leur troisième mouvement. Démarche typique d’une époque où les modes de diffusion de la musique n’étaient évidemment pas aussi perfectionnés que ceux d’aujourd’hui, mais non moins étrange, s’agissant d’une formation idéalement constituée, d’ordinaire davantage destinataire que source de transcriptions.


De fait, la portée révolutionnaire de ces quatuors se trouve quelque peu atténuée par la réduction ainsi opérée, qui sonne de façon plus hédoniste et décorative. Mais qu’importe, car le plaisir de l’oreille est au rendez-vous, d’autant que les deux musiciennes entretiennent un dialogue parfaitement équilibré, avec une flûte sans doute plus expansive et colorée que le clavier, qui demeure transparent et dépourvu de fioritures.


Dès le Quatre-vingt-unième quatuor (opus 77 n° 1, 1799), Juliette Hurel, manifestement à la plus grande satisfaction de son tout jeune fils présent dans la salle, s’impose par une sonorité moelleuse et un souffle admirable, grâce auquel elle peut soigner des phrasés particulièrement onctueux. Si ces «sonates», issues d’originaux plus prospectifs qu’exclusivement brillants, n’ont pas de finalité virtuose, le souci, dans le Soixante-douzième quatuor (opus 74 n° 1, 1793), de mettre en valeur le violoniste Salomon rejaillit sur la flûte, davantage sollicitée. En bis, le voile sera partiellement levé sur la troisième de ces «sonates», autrement dit le Quatre-vingtième quatuor (opus 76 n° 6, 1797), avec son Allegro spirituoso final.


Dimanche 24 octobre, 20 heures
Fritz Kreisler : Prélude et Allegro – Liebesleid
Leopold Godowsky : Alt Wien (arrangement Heifetz)
Moritz Moszkowski : Guitarre, opus 45 n° 2 (arrangement Sarasate)
Antonin Dvorak : The song my mother taught me, opus 55 n° 4 (arrangement Kreisler)
Johannes Brahms : Scherzo de la Sonate «FAE»
Henryk Wieniawski : Polonaise de concert n° 1, opus 4
Felix Mendelssohn : Auf Flügeln des Gesanges, opus 34 n° 2
Pablo de Sarasate : Carmen fantaisie, opus 25

Marina Chiche (violon), Jérôme Ducros (piano)


Retour des photophores, mais pas du public: tant pis pour les absents, car ils auront raté Marina Chiche (vingt-trois ans), «révélation» aux Victoires de la musique cette année comme Juliette Hurel, qui proposait, avec le pianiste Jérôme Ducros (trente ans), un florilège prometteur de pièces de genre ou de bravoure, formes «ABA» délicieusement surannées. Le programme passait ainsi en revue nombre des plus grands violonistes et pianistes du XIXe et du XXe, souvent originaires d’une Europe centrale soumise aux aléas de l’histoire, virtuoses mais aussi compositeurs à leurs heures, même si la mémoire collective ne conserve parfois de cette part de leur activité que le titre d’un seul morceau.


De même que le Concerto «Adélaïde» de Mozart ou, dans une certaine mesure, l’Adagio d’Albinoni, Prélude et Allegro de Gaetano Pugnani (1731-1798) est une mystification, car ce diptyque (d’ailleurs complété par un Tempo di minuetto) se rangeait parmi les chevaux de bataille de Fritz Kreisler dont il était, en réalité, lui-même l’auteur. Cela étant, la violoniste française, avec une sonorité charnue et de généreux portamenti, empoigne énergiquement ce pastiche.


Alt Wien, onzième des trente «Impressions et pièces à trois temps» du Triakontameron (1920) du pianiste Leopold Godowsky (1870-1938), a été transcrite par un autre grand du siècle passé, Jascha Heifetz: nul doute qu’avec cette valse lente, il tenait ainsi de quoi damer le pion à la nostalgie de certaines pages de… Kreisler.


Après ces émotions évanescentes, un éclatant brio: également pianiste virtuose, Moritz – et non Alexandre, son frère, critique musical, comme indiqué par erreur – Moszkowski (1854-1925) est désormais bien oublié, mais c’est à Pablo de Sarasate que l’on doit l’arrangement de Guitare, l’une de ses innombrables miniatures pour piano.


Dvorak n’a pas connu une telle éclipse, mais Kreisler s’y est intéressé en adaptant, sous le titre The song my mother taught me, le quatrième de ses sept Chants tziganes (1880), qui permet à Marina Chiche de démontrer qu’au-delà d’évidentes qualités techniques, elle sait aussi faire ressortir le caractère expressif d’une mélodie.


La Sonate «FAE» (1853) fut conçue comme un hommage collectif destiné à Joseph Joachim: si les contributions d’Albert Dietrich et de Schumann ont presque été oubliées, son fougueux Scherzo, dû à Brahms, s’est maintenu au répertoire. Fougueuse et lyrique, la violoniste française joue décidément sur les contrastes, en poursuivant avec Kreisler à nouveau, mais cette fois-ci en tant que compositeur, et un Liebesleid – aussi célèbre que son pendant, Liebesfreud – plus capricieux que mélancolique.


Qualifiée, selon les éditions, de «grande» ou de «brillante», comme la Seconde, la Première polonaise de concert (1853) de Henryk Wieniawski (1835-1880) existe également dans une version orchestrale. On entre ici dans les acrobaties les plus échevelées, qui n’effraient pas Marina Chiche, se réservant ensuite une respiration avec Sur les ailes du chant (1835), un lied de Mendelssohn – qui n’a pas écrit que des Romances sans paroles – adapté par Heifetz.


Parmi les diverses paraphrases inspirées par l’opéra de Bizet, la Fantaisie de concert sur des airs de «Carmen» (1883) de Sarasate tient probablement le premier rang, ayant même inspiré à Franz Waxman une Fantaisie similaire popularisée par Heifetz. Même avec un accompagnement limité au seul piano, elle constitue toujours la conclusion appropriée d’un récital, d’autant que la violoniste y fait preuve d’éloquence et d’esprit: car même s’il cause ici ou là de petites embardées, on n’est pas près de regretter l’engagement délirant avec lequel elle aborde ce pot-pourri.


Ce festin de bis violonistiques ne pouvait naturellement pas se terminer sans le roi des bis pour cet instrument, une impeccable Méditation de Thaïs (1894) de Massenet.


Dimanche 24 octobre, 21 heures 15
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonates n° 13, K. 315c [333], et 15, K. 545 – Fantaisie en ut mineur, K. 475
Bruno Fontaine (piano)


Le concert de clôture de cette édition de Transclassiques était confié au héros de ces quatre journées, Bruno Fontaine: le jeudi, le concert d’ouverture le présentait comme soliste puis compositeur; le samedi, c’est l’accompagnateur qui se produisait avec la violoncelliste Ophélie Gaillard; il restait donc à entendre le récitaliste, puisqu’il possède en effet à son actif un enregistrement consacré à trois sonates de Mozart (paru chez Transart), ayant opté pour deux d’entre elles à l’occasion de cette soirée.


Même si elle relativement peu fréquentée, on comprend pourquoi il est attiré par la Treizième sonate (1778), dont l’Allegretto grazioso final comporte une cadence, certes entièrement notée, mais offrant à l’interprète d’importantes marges de liberté, d’autant qu’il enchaîne sur une reprise du thème principal dans un tempo extrêmement vif. Car bien que ne quittant pas la partition des yeux, c’est de liberté qu’est épris Bruno Fontaine, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, quand il refuse la mièvrerie et la routine, quand il se souvient qu’il dispose d’un toucher léger et fluide, quand il observe l’ensemble des reprises non par obligation de les respecter (l’œuvre dure ainsi vingt-sept minutes) mais pour réaliser une alternative ou une ornementation, quand il s’amuse avec le texte ou quand il le dramatise sans être aussi extravagant que Glenn Gould ou Fazil Say. Mais le pire n’est jamais loin, quand il fait fluctuer sans cesse le tempo, quand, oubliant la grâce, il se sent obligé d’appuyer en ajoutant des octaves ou accords, en durcissant et en raidissant le jeu, ou en accentuant démesurément certaines attaques.


Si leur sincérité ne sont pas en cause – on ne parlera donc pas de cabotinage – Dr. Jekyll et Mr. Hyde se montrent plus à l’aise dans les coups de théâtre de la Fantaisie en ut mineur (1785): si elle prend un tour plus beethovénien (Appassionata) que mozartien, elle n’en illustre pas moins une précision de mise en place que tous n’attendaient pas nécessairement de Fontaine. Curieusement, au lieu de la Quatorzième sonate qui est généralement associée à cette Fantaisie, il a préféré la Quinzième sonate (1788), dite parfois Sonate facile, comme s’il pouvait y avoir quoi que ce soit de «facile» chez Mozart: à-coups fracassants, jaillissement instinctifs, il ne modifie nullement son approche.


Soliste, compositeur, accompagnateur, récitaliste, on avait encore oublié l’improvisateur, peut-être inspiré, vu l’affluence restreinte, par le climat intimiste: sept minutes durant, ayant annoncé se fonder sur les notes du nom de Mozart, il va faire surgir de son Yamaha, presque comme des apparitions inquiétantes, l’air de la Reine de la nuit extrait du second acte de La Flûte enchantée et le dernier mouvement de la Onzième sonate, le fameux Alla turca. Ultime concession à un dernier carré d’enthousiastes, l’Invention à deux voix en si bémol majeur de Bach ramène un dépouillement inespéré.



Simon Corley

 

 

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